Ce récit ressemble à celui rapporté par Aïsha au hadîth 2 mais il s'agit bien d'un événement différent. En effet, Aïsha précise que chaque soir de ce Ramadân là le Prophète (QSSL) quittait sa chambre pour aller prier la nuit dans la Mosquée. Par contre, pour le Ramadân indiqué par Zayd ibn Thâbit, le Prophète (QSSL) faisait en réalité la retraite de la dernière décade dite 'itikâf en la Mosquée. Dans les deux cas il se produisit la même chose, le Prophète (QSSL) accepta la prière en commun quelques nuits puis en vint à la refuser, ce qu'exprime la phrase : « Lorsqu'il s'aperçut de leur présence il demeura assis » c'est-à-dire qu'il demeura assis derrière son paravent de sorte que les fidèles ne puissent plus suivre sa prière. La raison de ce refus en est ensuite donnée : « Je sais ce que j'ai vu de vos agissements ; priez donc, ô hommes, en vos demeures. La meilleure des prières est celle que l'homme accomplit en sa demeure, sauf les prières obligatoires prescrites. » Pour bien comprendre ce propos il faut s'en référer à une autre version de ce même récit, rapportée elle aussi par Al Bukhârî toujours selon Zayd ibn Thâbit, où l'on lit que les fidèles ne voyant pas le Prophète (QSSL) sortir de son abri de nattes ils « élevèrent la voix (pour l'appeler) et jetèrent des petits cailloux sur la porte (de son abri). Le Prophète (QSSL) sortit alors fâché et leur dit : Vous montrez une tel zèle que j'ai craint que cela ne vous soit obligatoire. Priez donc en vos demeures car la meilleure des prières est celle que l'homme accomplit en sa demeure, exception faite des prières obligatoires prescrites. » Ainsi, le « Je sais ce que j'ai vu de vos agissements » est aussi à mettre en relation avec un écart de comportement commis par les fidèles présents cette nuit là qui allèrent, poussés par leur excès de zèle, jusqu'à importuner le Prophète (QSSL) faisant retraite. Leur insistance à vouloir accomplir un acte surérogatoire pourrait s'opposer finalement à la sincérité qui préside à la spontanéité et engendrer une ostentation délétère... Dans ce contexte, et uniquement dans ce contexte, l'on peut alors comprendre la portée exacte de son propos : « Priez donc en vos demeures car la meilleure des prières est celle que l'homme accompli en sa demeure, exception faite des prières obligatoires prescrites. »Le Prophète (QSSL) a parfaitement discerné le risque ostentatoire encouru : « Je sais ce que j'ai vu de vos agissements », et il indique ce qui est meilleur pour la piété sincère et l'éducation spirituelle car les prières nocturnes en particulier n'ont de valeur que selon cette perspective. Telle est la signification de ces mots : « Priez donc en vos demeures car la meilleure des prières est celle que l'homme accomplit en sa demeure ». De plus, littéralement, et le contexte l'indique, il ne s'agit nullement en cette parole d'interdire, mais de conseiller ce qui est meilleur, la nuance est d'importance. Ceci est par ailleurs logiquement confirmé par les faits. D'une part, le Prophète (QSSL) a accepté initialement de prier ces prières en commun avant de se raviser pour les raisons que nous venons de mentionner et, d'autre part, d'autres hadîths authentifiés témoignent du fait que les Compagnons priaient à titre surérogatoire dans la Mosquée. Par ailleurs le Prophète (QSSL) a dit : « Etablissez une part de vos prières [surérogatoires] en vos demeures afin de ne pas en faire des tombes. » Que l'on n'aille pas prétendre qu'il aurait interdit cette pratique par notre hadîth car un conseil ne peut abroger une recommandation. Signalons que la traduction de Houdas et Marçais est ici encore fautive : « Dorénavant ; ô fidèles, priez dans vos demeures, car la meilleure prière pour un homme est celle qu'il fait chez lui, à moins qu'il ne s'agisse de la prière canonique. » Le « Dorénavant priez dans vos demeures » n'est pas conforme au texte arabe et pourrait laisser effectivement entendre qu'il y eut une possibilité existante et qu'elle aurait été par ce mot dorénavant interdite. Notre traduction « Priez donc en vos demeures... » est fidèle à la lettre et au contexte qui, comme nous l'avons montré, permet seul de comprendre la signification et la portée toute relative de cette réflexion du Prophète (QSSL). En une autre version de ce récit clef rapportée par Al Bukhârî, et toujours selon Aïsha, elle formule ainsi le propos du Prophète (QSSL) : « J'ai vu ce que vous avez fait, et ce qui m'a empêché de vous rejoindre et uniquement d'avoir craint que [cette prière nocturne de Ramadân] ne vous parût une obligation. » Les conclusions de ce hadîth corroborent et explicitent les précédentes : Les prières surérogatoires nocturnes peuvent être accomplies en commun à la mosquée ou chez soi. Le Prophète (QSSL) a prié le tarâwîh en commun, il en a accepté le principe.Par ailleurs, en conseillant les prières surérogatoires dans le secret des maisons, il a rappelé, à juste raison, que l'on devait en la recherche de l'agrément divin se défier de toute ostentation.Hadîth 5 : Il est, paradoxalement, au cœur de la controverse, alors même qu'il nous fournit des informations historiques de premier ordre. Un homme, Umar, répète-t-on à l'envi, aurait institué une innovation rituelle peu après le décès du Prophète (QSSL) ; qu'en est-il réellement ? Ce hadîth est rapporté par Al Bukhârî selon Ibn 'Abd, Al Qârî : « Une nuit de Ramadân je me rendis à la mosquée avec Umar ibn al Khattâb. Les hommes étaient répartis en groupes épars. Certains priaient seuls, d'autres dirigeaient la prière en petit comité. Umar dit alors : Je pense que si je les réunissais sous la direction d'un seul récitant cela serait plus parfait. Puis il mit son projet à exécution et les rassembla sous la direction de Ubayy ibn K'ab.Une autre nuit, je me rendis [à la mosquée] avec Umar et les fidèles priaient sous la direction de l'imâm récitant. Umar dit : Quelle excellente bida 'a que celle-ci ! Il ajouta, mais la partie (de la nuit) où ils dorment est meilleure que celle où ils prient. Il voulait dire que les gens priaient au début de la nuit mais qu'il aurait préféré que ce fût vers la fin ». Les traqueurs de bida'a, ou ceux qui de principe détestent Umar, voient là la preuve de sa culpabilité, c'est lui qui a institué la bida'a de tarâwîh et, qui plus est, il se fait gloire de son forfait : « Umar dit : Quelle excellente bida 'a que celle-ci ! »Ce hadîth est précédé du segment interpolé que nous avions signalé en fin de hadîth 2. Il s'agit en fait d'une remarque de Ibn Shihâb disant : « Le Messager de Dieu décéda et les gens demeurèrent ainsi. L'affaire resta comme telle sous le califat de Abû Bakr jusqu'au début du califat de Umar », ensuite le même Ibn Shihâb rapporte notre hadîth. Ceci pour comprendre que lorsque nous lisons : « Les hommes étaient répartis en groupes épars. Certains priaient seuls, d'autres dirigeaient la prière en petit comité » nous sommes bien en présence de la pratique des Compagnons laquelle, comme nous l'avons vu, est conforme à la latitude que le Prophète (QSSL) avait laissé quant à tarâwîh : ils priaient à la mosquée, seuls ou en groupes. Ce faisant, Umar, mesurant la situation, c'est-à-dire le désordre qui en résultait, prit l'initiative de généraliser une des solutions permises et de réunir l'ensemble des fidèles présents en la mosquée pour le tarâwîh sous la direction d'un seul imâm. Il n' y a là aucune trace d'innovation puisque nous voyons en la mosquée des groupes prier en commun exactement comme l'avait fait le Prophète (QSSL) à cette occasion. Le fait que le Prophète (QSSL) ait eu des scrupules à généraliser ces prières surérogatoires et, de même, qu'en des circonstances particulières il ait conseillé de privilégier leur pratique à domicile, n'impliquait en rien que cela fut interdit. Le texte de l'introduction de ce hadîth prouve d'ailleurs par les faits que les Compagnons l'avaient compris ainsi et qu'ils continuèrent à prier les tarâwîh à la mosquée. Donc, Umar, n'a en rien « innové » au détriment de la Sunna ! Il n'a fait qu'organiser ce que les diverses possibilités engendraient comme perturbation au sein de la mosquée. Il nomma au demeurant Ubayy ibn Ka'b, un des meilleurs connaisseurs et récitateurs du Coran parmi le Compagnons du Prophète(QSSL). Voyant par la suite l'harmonie de la prière toute ainsi concentrée sur la récitation et l'écoute du Coran, il s'exclama : « Quelle excellente initiative ! », et non pas « Quelle excellente innovation » ! Comme le fit observer fort judicieusement Ibn Taymyya, l'emploi du mot bida'a par Umar en ce propos est littéraire et sans rapport avec le sens technique qu'il prit conceptuellement par la suite. En d'autres termes, les dictionnaires en attestent, bada'a c'est bien sûr produire une chose nouvelle, d'où innover, mais aussi tout simplement commencer, d'où initiative. Qui plus est, ce verbe, et donc le terme bida'a, signifiait alors être étonné, émerveillé de la perfection d'une chose. Littéralement, Umar exprimant son enchantement dit : « Quelle excellente chose si parfaite ! » Bien que cette traduction soit la plus juste nous nous contenterons de : « Quelle excellente initiative ! »Evidemment, il ne s'agit nullement ici de jonglerie étymologique mais bien de mettre en évidence le seul sens qui soit conforme aux éléments narratifs et informatifs fournis par ce hadîth, le tout en parfaite cohérence avec l'ensemble des hadîths que nous venons d'examiner. Faisons observer que la décision, l'initiative, de Umar, sa "bida'a" donc, a été spontanément suivie par les Compagnons. S'il s'était agi d'une quelconque forme d'innovation religieuse nul doute qu'ils auraient contesté sa décision. Ce hadîth, ni aucun autre, ne signale de tels faits. Bien au contraire, son initiative souleva l'approbation générale. Umar n'est donc pas un mubtadi', un innovateur invétéré, et le tarâwih en commun à la mosquée n'est en rien une innovation, une bida'a... Toujours au sujet de la fameuse phrase de Umar : « Quelle excellente bida 'a que celle-ci ! » il nous faut signaler qu'elle est donc a tort exploitée dans le débat entre « bonne bida'a » et « mauvaise bida'a », Umar étant alors considéré comme ayant énoncé le principe de bonne bida'a. En réalité, Umar a dit très précisément : « ni'ma-l-bida'atu hâdhihi ». Le pronom démonstratif « hâdhihi », « celle-ci », n'est jamais rendu dans les traductions, « Quelle excellente "bida'a" que celle-ci », alors même que sa présence indique grammaticalement que Umar ne parle que de ce qu'il vient de faire réaliser, une action concrète déterminée, cette initiative ci, et non point d'un concept général, la bida'a, fût-elle bonne, telle qu'entendue en sharia. Enfin, les dernières phrases, mal traduites encore par Houdas, nous disent : « Mais la partie (de la nuit) où ils dorment est meilleure que celle où ils prient. Il voulait dire que les gens priaient au début de la nuit mais qu'il aurait préféré que ce fût vers la fin. » Cela indique seulement que Umar pensait plus méritoire encore de prier les tarâwîh en fin de nuit. En synthèse nous pouvons lire encore une fois Ibn Taymyya : « Quant au tarâwîh, il faut savoir que le Messager de Dieu, SBSL, en a fait une sunna pour sa Communauté et il l'a prié avec eux en commun un certain nombre de nuits. De son temps, l'on priait le tarâwîh soit en commun, soit individuellement, mais il ne fut pas prescrit obligatoirement de faire cette prière. Lorsque mourut le Prophète (QSSL), SBSL, la sharia était établie (sic) et lorsque Umar fut calife il réunit les gens sous l'autorité d'un seul imâm, c'est Ubayy ibn K'ab qui dirigea ce tarâwîh sur ordre de Umar. Conclusions Les prières de tarâwîh font donc partie intégrante de l'Islam. Les textes, les preuves scripturaires, existent, elles sont explicites et là réside la force de l'Islam et l'assurance de la foi. Mais les textes ne sont que des interfaces, des miroirs reflétant les lumières comme les doutes des âmes. Prier le tarâwîh, seul ou en commun, à la mosquée ou pas, est une sunna, ce qui en soi indique que cette pratique n'a de valeur réelle que si elle émane d'un élan du coeur, d'un mouvement de sincérité. En cela réside le secret de l'adoration surérogatoire, an-nawâfil, car, au delà des actes obligatoires, la proximité en Dieu en résulte : « (...) Mon serviteur ne s'approchera de Moi par rien qui ne me soit plus agréable que l'accomplissement des obligations que Je lui ai prescrites. Et Mon serviteur ne cessera de se rapprocher de Moi par les actes surérogatoires, an-nawâfil, jusqu'à ce que Je l'aime. Et lorsque Je l'aime... ». Ramadân, le Jeûne, appelle les hommes à Dieu, il dilate leurs cœurs et leur offre des horizons plus élevés, une pause dans le tumulte de la vie. Par ces mots : « Mois de Ramadân où fut révélé le Coran », nous sommes invités au festin de Dieu, la Révélation. Ce mois béni doit nous mettre à l'écoute du Coran ; chez nous, dans l'intimité de nos nuits, à la mosquée, ruche vibrante de la « Parole de Dieu », en secret et en public. Les actes ne valent que par l'intention qui les préside. Ramadân est le mois de l'abstinence et de la profusion ; abstinence de tout ce qui n'est pas Dieu, profusion des actes d'adoration et des grâces divines : «...Quelques biens que vous fassiez, Dieu en a connaissance. Faites donc provende car le meilleur des viatiques est la piété...». S2.V197. Le Coran conclut le chapitre consacré au Ramadân sur cette indication : «Lorsque Mes serviteurs t'interrogent à mon sujet...En vérité, Je suis proche et Je réponds à l'appel de celui qui Me désire. Qu'ils Me répondent donc vraiment, qu'ils croient en Moi afin de suivre la bonne direction ». S2.V186. Suite et fin