Les travaux historiographiques concernant la monarchie saoudienne et de la genèse de l'idéologie wahhabite ont toujours suscité beaucoup d'intérêt chez les historiens spécialistes du monde arabe. Cette tendance s'est accentuée ces dernières années au vu de la situation géopolitique brûlante au Moyen-Orient et à la montée de l'extrémisme religieux musulman qui est grandement inspiré par cette idéologie. Ainsi, plusieurs études élaborées tentent de déterminer la nature des liens qui excitaient entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux saoudien depuis la création du premier état saoudien à la fin du XVIII siècle. Cependant, ces travaux à quelques rares exceptions près, sont demeurés non exhaustifs. C'est effectivement le cas de plusieurs contributions produites qui se contentent seulement de légitimer le pouvoir en place ou de se limiter à une description à la fois chronologique des évènements historiques, d'une manière peu apologétique en s'appuyant exclusivement sur le récit officiel. L'historien Bernard Haykel décrit l'histoire de l'Arabie saoudite comme une histoire écrite sous domination d'un Etat-nation moderne. Selon lui, l'état Saoudien a entrepris de contrôler, et même de monopoliser le récit de sa propre histoire, réduisant au silence toute forme de dissidence, en essayant d'imposer sa propre vision de l'histoire du pays, avec pour objectif principal de renforcer la domination de la dynastie des Saoud. D'ailleurs ces derniers à certaine période n'autorisaient généralement pas les étrangers à visiter la région de Najd, berceau du wahhabisme. D'autres spécialistes parlent d'une écriture tardive de l'histoire saoudienne et de l'histoire des wahhabites. En effet, on ne peut parler de l'histoire de la création de la monarchie saoudienne et du wahhabisme sans faire référence à deux chroniques contemporaines de cette époque. La première est celle de Husayn B. al-Ghannâm (1739-1810), intitulée Tarikh Najd (L'histoire de Najd). Cette chronique est considérée comme l'une des sources d'informations la plus complète sur l'histoire de la genèse de monarchie saoudienne et du mouvement wahhabite. Son auteur est considéré comme le biographe attitré du prédicateur religieux Muhammad ibn' Abdul-Wahhab (1703-1792), elle couvre presque tous les évènements historiques dans la région de Najd et s'arrête en 1797. La seconde chronique est celle de ‛Uthmân b. Bishr (1795-1873), intitulée Unwan al-majd fi tarikh Najd. Ce dernier n'est pas un contemporain de Muhammad ibn' Abdul-Wahhab cependant il eut des contacts directs avec des proches de ces partisans, sa chronique s'arrête en 1854. Néanmoins, plusieurs historiens mettent en doute l'impartialité et l'objectivité de ces deux sources historiques. C'est le cas de l'historien allemand Jörg Matthias Determann qui établit dans son ouvrage, Historiographie en Arabie Saoudite, Mondialisation et Etat au Moyen-Orient, les traits d'une histoire marquée principalement par le wahhabisme, puis fortement dynastique. Il met au premier plan le rôle principal des deux chroniqueurs que nous avons cité précédemment, pour créer une historiographie mise au service des Saoud dès le début du XIXe siècle. Il précise que l'histoire développée par Husayn b. al-Ghannâm a atténué de manière considérable la production d'autres chroniques dans cette région. Jörg Matthias Determann relève que la région centrale « le Najd » décrite par cet auteur avant l'arrivée du wahhabisme ressemble curieusement à l'histoire de la région à l'époque préislamique (avant le VIIe siècle). Ainsi, il utilise dans plusieurs passages dans son livre, un lexique associé à l'époque précédant l'arrivée de l'islam pour distinguer clairement la période avant et après l'arrivée du prédicateur Muhammad ibn 'Abdul-Wahhab. Il utilise dans son récit du vocabulaire tel que « jâhîliyya » (ignorance), « takfîr » (incroyance). Or, ce lexique utilisé conduit à justifier d'un point de vue moral et religieux les conquêtes entamées, parfois même à aller commettre des massacres dans des régions voisines. Il présente cette entreprise comme une mission divine : par conséquent, toute insoumission à l'égard des Saoud et à celui de Muhammad ibn 'Abdul-Wahhab est considérée comme une insoumission à Dieu lui-même. Dans le même registre, l'historienne américaine Natana J. Delong-Bas cite dans son livre, Islam Wahhabite, quelques récits rapportés par Ibn Bishr. A titre d'exemple, elle relève l'histoire d'une querelle survenue en 1800 entre les caravanes wahhabites et des chiites en pèlerinage à la tombe sacrée de l'imam Ali dont les conséquences sont tragiques. Ibn Bishr avança le chiffre de deux milles personnes tués par les wahhabites à la suite de cette altercation. Les hommes et les enfants ont été massacrés, les femmes enceintes éventrées. Cependant ces événements sont racontés de manière peu apologétique par Ibn Bishr qui se contente simplement de s'attacher à une description des faits sans la moindre empathie et cela malgré les atrocités commises par les wahhabites. Nous rappelons que ces chroniques sont revues et réécrites voire corrigées avant même la création de la monarchie saoudite en 1932. Par la suite, elles seront diffusées à l'intérieur, mais également hors des frontières du nouveau royaume, et ceci grâce à l'apparition de l'imprimerie moderne. Très tôt, les Saoud utilisèrent les gros moyens en s'appuyant sur différents réseaux d'intellectuels arabes, dont la plupart ont été formés dans les universités occidentales, pour consolider ces mêmes écrits et diffuser l'idéologie wahhabite. Ceci avait également pour but à rétablir leur image, après plusieurs décennies de propagande défavorable menée par les Ottomans et leurs vassaux. Nous pouvons évoquer à ce propos les écrits de l'écrivain libanais Amin Al-Rihani (1876-1940), figure importante du mouvement littéraire du Mahjar (l'exil). C'est au début des années 1920 qu'Al-Rihani effectue un voyage dans la Péninsule arabique et fait la connaissance d'Ibn Saoud avec lequel il noue une relation d'amitié. Il publie par la suite, Muluk al-`arab (Les rois des Arabes), et Tarikh Nejd Al-Hadith (L'Histoire moderne de Nejd) qui font état de la situation de l'Arabie saoudite. Dans cet ouvrage, Amin Al-Rihani indique à titre d'exemple que la ville de Dar'iyya, ville historique de Mụhammad ibn 'Abd al-Wahhāb, serait une « ville consacrée entièrement à la spiritualité, la source des lumières ». Il participa activement à embellir l'image de la monarchie saoudienne et celle de l'idéologie wahhabite et ne laissa guère d'espace aux critiques les concernant. En somme, l'écriture de l'histoire de la monarchie saoudienne et de la naissance de l'idéologie wahhabite à partir de la région centrale « le Najd » reste difficile à cerner au vu de nombreuses incohérences des premières sources mises à disposition par les autorités de ce pays. De plus, nous constatons que le travail historique et le patriotisme vont de pairs chez nombreux historiens contemporains de cette époque. Ainsi, nous avons le sentiment que plusieurs zones d'ombres persistent à différentes échelles et cela, malgré l'immense travail apporté par plusieurs spécialistes. L'histoire doit être une « science objective » fondée sur la critique externe et interne des documents qui restent encore-restes enrichie et ouverte -à la vérité. Elle doit être capable de produire la vérité et, au moins dénoncer le faux. C'est la raison pour laquelle une nouvelle réécriture de l'histoire de ce pays nous semble nécessaire et pourrait probablement apporter des réponses claires concernant la vraie nature des relations qui ont perduré jusqu'à nos jours entre la mouvance wahhabite et la famille des Saoud de sorte à dénouer définitivement cette question épineuse. Encore faut-il une vraie volonté de la part des autorités saoudiennes à coopérer davantage avec les historiens spécialistes du monde arabe avec comme objectif la réécriture d'une nouvelle partie de son passé. L'histoire de l'Arabie saoudite ne serait-elle pas aussi riche et diverse que l'histoire de d'autres pays arabes, au lieu d'un simple récit politico-religieux centré exclusivement autour de deux familles, celle des Saoud et celle de la famille de Muhammad ibn' Abdul-Wahhab. Ce « roman national » prône la légitimité du pouvoir de la famille des Saoud et l'a inscrit dans la suite de l'histoire des grandes dynasties islamiques précédentes. Ainsi, la monarchie saoudienne tente de s'immuniser contre toute contestation, toute critique de la part de sa population et encore moins de la part du monde islamique. L'histoire nationale sélective promut par le pouvoir en place ne fait qu'accentuer davantage les maux de la société saoudienne. D'ailleurs le sociologue français Alexis de Tocqueville (1805-1859) rappelle, dans un tout autre contexte, les conséquences d'un travail de remise en cause historique non effectué lorsqu'il affirme dans son ouvrage, De la démocratie en Amérique : « Quand le passé n'éclaire plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres ».