En juin 2023, sans tapage – ni médiatique, ni autre -, en toute discrétion pourrait-on dire, trois plaques commémoratives ont été posées à Alger-Centre, pour rappeler des actions menées par le FLN, pendant la Guerre de libération nationale, le dimanche 30 septembre 1956 et le samedi 26 janvier 1957. Il s'agissait des premières bombes réglées par Taleb Abderrahmane et posées par Zohra Drif et Samia Lakhdari, qui explosèrent le 30 septembre 1956, l'une au Milk Bar (ex-place Bugeaud, actuelle place Emir Abdelkader) face au siège de la 20e Région militaire de l'armée française, et l'autre à la Cafeteria (rue Michelet, actuelle rue Didouche Mourad), face à l'Université. Près de quatre mois après, le samedi 26 janvier 1957, il y a eu trois autres bombes à retardement qui ont explosé vers 17h30, presque simultanément, à la brasserie Otomatic (posée par Zahia Kherfallah et Danielle Minne), 2, rue Michelet ; à la Cafeteria (posée par Fadhila Attia), 1 ter, rue Michelet ; et à la brasserie Le Coq-Hardi (posée par Djamila Bouazza), 6, rue Charles-Péguy (actuelle rue Abdelkrim El Khettabi), (établissements situés à quelque 100 mètres l'un de l'autre, dans le quartier des facultés, l'un des plus fréquentés de la ville, surtout en fin de semaine), avait commenté le journal français Le Monde du 29 janvier 1957 en rapportant le fait. Dans l'édition du 12/13 mai 1957, la presse colonialiste a rapporté les paroles de Djamila Bouazza après son arrestation : «J'ai conscience de l'honneur de mon geste», résumant sans doute, aussi, le sentiment des autres fidayates. Dans les conditions absolument périlleuses de la guerre, les toutes jeunes fidaiyates, engagées, au sein de la Zone autonome d'Alger du FLN, dans la lutte armée pour l'indépendance, ont accompli avec héroïsme, et de façon parfaite, la mission qui leur a été confiée. Elles ont posé les bombes au moment et à l'endroit qui leur ont été fixés. Sans commettre d'erreur sur les lieux, dont elles n'étaient pas des habituées, et sans se faire remarquer. Elles ont agi en réaction aux violences inouïes exercées par une bonne partie de la population européenne (ratonnades et lynchage) et par la police et l'armée françaises (tortures et exécutions sommaires) contre la population musulmane. C'était la riposte du FLN par la «stratégie de la bombe» à ce qui s'était passé dans la nuit du vendredi 10 août 1956, rue de Thèbes, dans la Casbah densément peuplée, quand des ultras partisans de l'Algérie française, issus de la communauté européenne, majoritairement raciste, ont placé une bombe au pied d'une habitation. L'explosion surprit les familles dans leur sommeil. Le bilan établi par les riverains était de 70 morts, dont des enfants, et de nombreux blessés. A la fin de l'année 1956, les ultras de l'Algérie française récidivent en profitant des obsèques de Amédée Froger (maire de Boufarik, tué le 29 décembre 1956, alors qu'il sortait de son domicile de la rue Michelet) pour entraîner la foule des Européens à donner libre cours à leur racisme en lynchant des Algériens. Là également, la riposte ne tardera pas avec les trois bombes du samedi 26 janvier 1957. Pour accomplir leur mission au cœur du «territoire ennemi», les jeunes fidayates ont dû parcourir un long trajet dans « une capitale assiégée, labourée en long et en large par la noria des patrouilles aux aguets». Elles ont transporté des bombes qui auraient pu exploser dans leurs sacs et déchiqueter leurs corps. Elles ont agi volontairement pour la cause nationale et ont ciblé les lieux qui leur ont été désignés par leurs responsables FLN. Rien ne les a perturbées. Ce n'est pas le cas de la personne qui a placé en juin 2023 (il n'est jamais trop tard) une des plaques commémoratives rappelant ces hauts faits d'armes. En effet, la plaque concernant la bombe de la Cafeteria (1 ter, rue Didouche Mourad), n'a pas été placée au bon endroit. Elle est sur le trottoir d'en face, (2, rue Didouche Mourad) sur le mur de ce qui était l'Otomatic (aujourd'hui Cercle Taleb Abderrahmane), attenant à l'Université d'Alger, et qui a été, également visé par une bombe. Qu'est-ce qui a pu perturber le «poseur» de la plaque au point de l'amener à se tromper de lieu de mémoire alors que les conditions d'exécution de cette tâche ne comportaient aucun obstacle? Ou est-ce par ignorance, ou par erreur, ou, pire, par désinvolture ? En juin 2024, cette plaque se trouve toujours à la mauvaise place, un an après. Il n'est pas inutile de préciser que la Cafeteria a été visée deux fois : le 30 septembre 1956 et le 26 janvier 1957. Il faudrait donc deux plaques commémoratives, et pas une seulement, au 1ter rue Didouche Mourad (anciennement rue Michelet), là où se trouve actuellement une agence de la CNMA (Caisse nationale de mutualité agricole). A cet endroit, aucune plaque commémorative n'a été placée. Autre anomalie : le contenu de la plaque concernant la bombe du Milk Bar qui reprend certainement une version du fait à partir d'un journal colonial de l'époque en se référant expressément à un « premier bilan ». Bouhandès En 1987, une plaque commémorative a été posée là où s'est déroulée trente ans auparavant, en 1957, un vendredi 13 septembre, la bataille de Bouhandès, à Chréa, dans l'Atlas blidéen, entre les moudjahidine de l'ALN et l'armée coloniale française. Les habitants qui ont été témoins de cette bataille sont pour la plupart décédés mais ils ont, heureusement, transmis la version des faits qui est rapportée aujourd'hui par leurs enfants. A Bouhandès, où se trouvait déjà, pas loin, une clinique abritant une dizaine de blessés, les moudjahidine formant les commandos des zones 1 et 2 de la wilaya 4 s'étaient rassemblés. Ils récupéraient des fatigues des marches, longues et pénibles, entrecoupées d'accrochages avec l'ennemi, et se préparaient à d'autres combats. Avaient-ils l'intention, comme on l'apprendra plus tard, de lancer, après avoir fait jonction avec le commando de la zone 3, une attaque sur la ville de Blida, ou sur Chréa ? Ou, comme on le rapportera plus tard aussi, allaient-ils tendre une embuscade à l'ennemi sur la route vers Boghari, du côté de Derrag ? Les forces coloniales, bien renseignées par leurs indicateurs, ont entrepris d'encercler les moudjahidine. Le matin du vendredi 13 septembre, l'artillerie a commencé à pilonner les positions de l'ALN pendant que l'aviation larguait des bombes au napalm sur les moudjahidines, faiblement dotés en armes légères. Il y a eu, ce jour-là, 84 chahids dans les rangs de l'ALN, une soixantaine ont été enterrés sur place par les habitants, dans une zone montagneuse difficile d'accès, d'autres n'ont eu aucune sépulture. Cet événement ne pouvait être laissé à la merci de l'oubli. Il fallait une plaque commémorative pour maintenir le souvenir des combattants de l'ALN qui ont participé à la bataille de Bouhandès et particulièrement de ceux d'entre eux qui sont morts sous le déluge de feu déclenché par l'ennemi. Il n'est pas surprenant que les survivants de cette bataille et leurs compagnons d'armes de la wilaya 4, comme les commandants Youcef Benkhrouf et Mohamed Bousmaha (connu sous le nom de Mohamed El Berrouaghia, décédé le 23 mai 2024), aient tenu à s'associer à l'initiative de la famille d'un des chahids de Bouhandès, pour la pose d'une stèle sur place. C'est ainsi que le 10 septembre 1987, le devoir était accompli : quelques phrases sur une plaque en marbre apposée à un talus dans la cuvette d'Oued El Merdja, rend hommage aux glorieux chouhadas qui ont péri dans la bataille de Bouhandès. Pour les habitants des lieux, c'est leur Maqam Echahid. Le 21 juin 2024, retour sur ce lieu. Pour arriver à Oued El Merdja, à partir d'El Hamdania, c'est, sans jeu de mots, un véritable parcours du combattant. Quant à Bouhandès, douar accroché en flanc de montagne plus haut, plutôt inaccessible. Là plaque commémorative n'était plus là, détruite par les terroristes intégristes qui sévissaient dans la région à partir des années 1990. Deux Moulins et Casino de la Corniche L'année 1957 a été celle de la généralisation de la pratique de la torture et des exécutions sommaires par l'armée coloniale française en Algérie. Pour les officiers parachutistes, la justice expéditive devait remplacer la justice «selon la procédure du Code pénal». A Saint-Eugène, banlieue d'Alger, le centre secret de torture a été installé aux Deux Moulins, près de la placette, dans la cave d'un petit immeuble en chantier, derrière un restaurant, sur une impasse qui mène à la mer. L'«administration», supervisée par le général Massu, se trouvait de l'autre côté de la placette dans une grande villa appelée «Cercle du Baron». La cave du restaurant avait été réaménagée par les parachutistes et partagée en box ceinturés de fils barbelés, sans cloisons entre eux, «comme en Indochine». Les suspects étaient détenus dans ces box. La cave donnait directement sur la mer. Les corps des détenus qui succombaient sous la torture ou qui étaient exécutés sommairement, étaient jetés à la mer. Aujourd'hui, aux Deux Moulins, il n'y a aucune plaque commémorative qui recense les noms des disparus et leur rend hommage. Les témoignages recueillis ici et là ne remplacent pas un travail systématique et institutionnel de collecte des informations sur l'identité et les circonstances de l'arrestation et de la disparition de ces chouhadas sans sépulture. Autre lieu d'exécutions sommaires, pas loin des Deux Moulins : le Casino de la Corniche, à la Pointe Pescade (Rais Hamidou, aujourd'hui), transformé en lieu de torture après l'attentat à la bombe qui l'a visé le 8 juin 1957. Il se trouve sur une falaise en bord de mer. Les «suspects» étaient attachés à une corde et plongés dans l'eau pour les obliger à «parler», et quand ils succombaient, leurs corps étaient jetés en mer. Il n'y a aucune plaque pour rappeler les crimes commis dans ce lieu par l'armée française.