Des chercheurs ont récemment déchiffré de façon spectaculaire des rouleaux de papyrus vieux de près de 2.000 ans, carbonisés lors de l'éruption du mont Vésuve en 79 apr. J.-C. Découverts en 1752 dans la Villa des Papyrus à Herculanum, ces manuscrits étaient jusqu'alors illisibles. Trop fragiles et surtout trop calcinés, toute tentative de les dérouler menaçait leur intégrité. Les dérouler, physiquement… L'imagerie par rayons X et l'Intelligence artificielle font bon ménage chez les paléographes : quand la manipulation de documents s'avère dangereuse, au risque de provoquer leur dégradation — ou leur destruction — les machines prennent de plus en plus le relais. Ce dilemme écartelait les scientifiques, confrontés aux rouleaux d'Herculanum, mis au jour en 1750 dans la Villa des Papyrus : cette résidence fastueuse disposait d'une bibliothèque contenant près de 1800 manuscrits. Conservés sous une couche de cendres et de débris volcaniques, ils ont été calcinés par la chaleur extrême des coulées de lave, les transformant en blocs fragiles. Depuis plus de deux siècles, les équipes les observent avec convoitise, sauf que les dérouler était impensable. Leur déchiffrage n'aura été rendu possible qu'au moyen de technologies cumulées. Un défi volcanique En 2023, plusieurs entrepreneurs du secteur de la Tech ont lancé le «Vesuvius Challenge», un concours international mobilisant l'apprentissage automatique (machine learning) et la vision par ordinateur pour analyser ces documents. Objectif ? Identifier l'encre et reconstituer les textes cachés sous les couches de papyrus enroulées. En fin d'année, une équipe de trois étudiants a remporté le grand prix de 700.000 $ après avoir dévoilé environ 5 % d'un rouleau. « La quantité de texte que ce rouleau réserve est stupéfiante », s'enthousiasme Brent Seales, professeur en informatique à l'Université du Kentucky et cofondateur du Vesuvius Challenge. Pour la petite histoire, l'un des petits prodiges ayant accompli ce tour de force, Luke Farritor, débuta sa carrière comme stagiaire chez SpaceX. La tête dans les étoiles, et les pieds dans la cendre, ça fonctionne aussi. Un manuscrit livre ses secrets Le rouleau au cœur de cette avancée, baptisé PHerc. 172, est l'un des trois conservés à la Bodleian Library de l'Université d'Oxford. En juillet 2024, le laboratoire Diamond Light Source au Royaume-Uni l'a scanné à l'aide d'un synchrotron, une machine produisant des rayons X d'une intensité exceptionnelle. Les images obtenues ont ensuite été traitées par IA, pour détecter les traces d'encre et rendre les lettres plus lisibles. « Ce rouleau contient plus de texte récupérable que tout ce que nous avons vu jusqu'à présent sur un manuscrit d'Herculanum », souligne Brent Seales. Les premières analyses indiquent que le texte serait l'œuvre de Philodème de Gadara, un philosophe épicurien du Ier siècle av. J.-C. L'équipe de chercheurs a identifié plusieurs mots clés, dont «insensé» et «διατροπή» (dégoût), ce dernier apparaissant à deux reprises dans les colonnes de texte visibles. L'hypothèse de partenité du texte repose sur des similitudes dans l'écriture d'autres écrits attribués à Philodème – ainsi que sur la présence d'un symbole typique à la fin des lignes, indiquant une mise en page justifiée. Le traitement de texte était à l'oeuvre. L'impact de l'intelligence artificielle La principale surprise de cette étude réside dans la composition chimique de l'encre, qui contiendrait un élément plus dense, possiblement du plomb. Cela expliquerait pourquoi certaines parties du texte apparaissaient dès les premières analyses, avant même l'application des algorithmes d'IA. «L'encre a été une véritable surprise. Sa visibilité, dès le départ, était bien plus marquée que sur d'autres rouleaux », précise l'enseignant. L'équipe peaufine sa méthode pour rendre plus lisibles les parties encore illisibles. « Nous sommes encore dans les premières étapes d'un long processus », rappelle Peter Toth, conservateur des collections grecques à la Bodleian Library. Distinguer l'encre noire du papyrus carbonisé, afin de rendre le texte plus lisible, reste l'enjeu majeur de leurs recherches. Un avenir prometteur pour la recherche Elle convoite également les parties internes du rouleau, où se trouverait le titre de l'œuvre. Parallèlement, les organisateurs du Vesuvius Challenge ont annoncé de nouvelles récompenses, afin d'encourager la lecture complète des manuscrits restants. Cette percée marque un tournant pour l'étude des textes antiques. «C'est un moment historique où bibliothécaires, scientifiques et spécialistes de l'Antiquité collaborent pour rendre visible l'invisible », souligne Richard Ovenden, directeur des bibliothèques de l'Université d'Oxford. « Les avancées stupéfiantes réalisées grâce à l'imagerie et à l'intelligence artificielle nous permettent de lire des rouleaux qui n'ont pas été ouverts depuis près de 2000 ans. » À l'heure où l'IA générative et ses mutiples applications suscitent débats et levées de boucliers, cet accomplissement mettra un peu d'eau dans le vin collectif. Explorer des documents jusqu'alors inaccessibles et enrichir notre compréhension du passé, grâce aux outils modernes, une belle réussite. Ci-dessous, le parchemin et cette encre affichée, ce qui a facilité la lecture du texte.