Le toubib sourit largement, se lève, prend l'une des radios et la pose sur le bureau : - Eh bien, c'est exactement à cela que ressemblent vos poumons ! À une douara oubliée sur la cuisinière! Du coup, Si Qolqane ne rit plus du tout. Il s'étrangle, sent que son cœur bat à toute vitesse dans une écoeurante sauce noire où surnagent quelques débris peu ragoûtants... Le lendemain, il a pris sa décision : il va arrêter de fumer. Il sort son paquet de la poche et, d'un geste héroïque, le jette à la poubelle. D'autant plus que l'occasion reste propice avec l'avènement du ramadhan. Chez lui, il a averti tout le monde de sa détermination : alors, toute la famille se montre fort heureuse et lui promet de l'épauler. Quant à madame Si Qolqane, c'est une autre histoire, elle sait qu'elle va passer des moments... difficiles... Effectivement, cela ne fait pas une heure que Si Qolqane a jeté ses cigarettes que déjà il se montre nerveux et agacé. Mille fois en une heure, il met la main dans sa poche comme s'il espérait y trouver un mégot oublié, agite ses doigts avec contrariété. Il s'en prend à son fils, à sa femme, accumule les reproches, confisque le ballon de son fils qu'il dépèce en trois secondes.Il va, vient, retourne, repart, crispé d'amertume, s'apitoyant sur son triste sort.Il prend le journal mais ne réussit pas fixer son attention ; il finit par le rouler en boule en pestant contre les politiciens, les journalistes, les reporters sportifs, les chiens écrasés et même l'équipe de l'horoscope : «Pffff... pas fichus d'écrire quelque chose d'intéressant !» Il sort «prendre l'air», revient dix minutes après, encore plus exaspéré, rouge de révolte : «Fallait que ça m'arrive, à MOI !» Madame Si Qolqane essaie de le calmer ; elle est aux petits soins avec lui et accepte d'ores et déjà toutes les concessions qu'elle refusait. Rien n'y fait ! Pire, Si Qolqane la regarde à présent avec un regard funeste assez semblable à celui qu'on a lorsqu'on découvre la facture de téléphone ou d'électricité. Il lui dit : - Tout cela, c'est de ta faute ! - Hein ? - Parfaitement ! Tout ce que je subis, c'est à cause de toi ! Rien ne serait arrivé si tu avais été capable de cuisiner correctement ta douara !