Détrompez-vous, ce n'est point une légende ou une action ubuesque et apathique. Ce phénomène existe et il est bien implanté chez nous. Il s'agit de la crainte du mauvais œil. Et pour lutter efficacement contre cette pratique à laquelle on manifeste sa pugnacité, certaines personnes ont recours à divers stratagèmes et ils sont nombreux. Ceux qui mettent toutes leurs économies pour la construction de leur maison vous le diront. Un vieux pneu et parfois une vieille marmite accrochés à un pilier bien en apparence afin que chaque passant l'aperçoive et s'en rende compte. Quand les travaux sont achevés, le rituel de faire couler du sang est de rigueur et les convives se dépêchent de vider le contenant des offrandes. Même obstination et même engouement pour le bélier que l'on vient d'acheter pour la fête de l'Aïd ou l'acquisition d'un véhicule. Le quadrupède lui-aussi n'échappe pas à la règle et voit sa tête badigeonnée de henné. Cette façon de faire s'est instaurée pratiquement dans toutes les familles algériennes et nous avons tous, à notre jeune âge, été témoins de beaucoup de pratiques qu'on ne comprenait pas, mais qu'on acceptait à l'aide de récits colportés qui sont devenus aujourd'hui électriques. Porter des vêtements neufs pour la première fois, oui, mais la bonne maman veillait à tout. Un morceau d'alun (echeb) soigneusement prélevé est passé sept fois autour de la tête avant d'être jeté au fond d'un brasier (majmer). Les braises feront le reste et la substance se gonfle pour former un cratère qui ressemble étrangement à un œil. Oui, criera la maman, le mauvais œil est là. Certaines personnes plus sensées que d'autres se rabattent inéluctablement vers «les professionnelles du métier». Celles qui ont le don de vous conjurer le mauvais sort à partir d'une barre de plomb. Le plomb est chauffé dans une bouche jusqu'à obtention d'un liquide que la «bonne dame» prend bien soin de verser délicatement dans un mortier rempli d'eau et de feuilles de henné séché. Le contact du liquide chaud avec l'eau entraîne irrémédiablement une petite explosion. La dame patiente quelques minutes avant de sortir le plomb entièrement défiguré. La lecture de cet amalgame commence et risque parfois de surprendre. Certains faits concordent avec le vécu et la réalité dans d'autres cas. C'est le sel (pincée ou poignée) qui est jeté sur le seuil de la porte, on se fait dans un vrai combat de suno. La célébration des mariages : le rituel obéit scrupuleusement aux règles strictes dans certaines régions. Le futur mari ne doit en aucun prononcer la moindre parole Il se contentera d'écouter et seul la personne censée s'occuper de lui, lui adresse la parole. A la journée retenue pour la consommation du mariage, le vieux élu doit franchir le seuil de la maison, sous la jambe tendue de sa mère. On aura probablement pris le soin de casser un œuf. Coups de croyances qui n'ont rien à voir avec la réalité et vous font avec et nul n'ose s'en soustraire. Une manière comme une autre de chasser le mauvais œil et de conjurer le mauvais sort que chacun voit, réfute et fuit, histoire de ne pas troubler ce qui se passe. Toutes ces balivernes, tous ces accessoires ne sont-ils pas le fruit de notre imagination ? Si on ne s'intéressait qu'à nous, ce serait peut-être mieux et notre moral s'en sentirait mieux. Attendons-nous ?