Guerre, récession, dettes, morosité. Ce n'est pas l'Amérique qu'imaginait George W. Bush en arrivant à la Maison-Blanche, quand il promettait de déminer le terrain pour son successeur. Sans préjuger de ce que l'histoire retiendra de sa présidence, on peut poser la question chère à Ronald Reagan : les Américains vont-ils mieux aujourd'hui qu'en 2001 ? A cette aune, le bilan de George W. Bush paraît mitigé au mieux, désastreux au pire. Après une victoire controversée sur le démocrate Al Gore, sa présidence commence avec la pire attaque terroriste qu'aient jamais connue les Etats-Unis et s'achève sur la pire crise économique depuis la Grande Dépression des années 1930. Entre-temps ? Deux guerres, deux nominations à la Cour suprême, une réélection difficile, une popularité en chute libre, de gros gains et de grosses défaites aux élections législatives, un plan ambitieux de lutte contre le SIDA, l'effondrement du marché immobilier, la perte de prestige des Etats-Unis à l'étranger et le vice-président le plus puissant de l'histoire américaine, Dick Cheney. Le chef de l'Etat a, certes, fait passer des baisses d'impôts et une réforme de l'Education (2002) durant son premier mandat (2001-2005), mais au second (2005-2009) il s'est cassé les dents sur la Sécurité sociale et l'immigration. En 2001, le Parti républicain contrôlait la Maison-Blanche et le Congrès, en 2009, c'est le Parti démocrate. Il a galvanisé le pays frappé par le terrorisme et peut-être empêché d'autres attentats, mais il a repoussé toutes les limites légales pour mener la «guerre contre le terrorisme» et a laissé un ouragan le déstabiliser. Il avait un programme mais le 11-Septembre a tout bouleversé.»W» le reconnaît: «Ce n'est pas une de ces présidences où vous partez vers le soleil couchant..» L'économie se trouve en lambeaux. Plus de 11 millions d'Américains cherchent un travail, le taux de chômage est le plus élevé depuis 16 ans, 2,6 millions d'emplois ont été détruits, en 2008, un propriétaire de logement sur dix est en difficulté pour rembourser ou menacé de saisie. L'indice Dow Jones des valeurs industrielles a connu sa pire année depuis 1931, dégringolant de 33,8% en 2008. Des millions d'Américains ont perdu leurs économies, leur foyer, leurs rêves. Le pays est en guerre en Irak et en Afghanistan et, plus largement, contre une menace terroriste antérieure à l'arrivée de George Bush à la Maison-Blanche et aux multiples visages. Si le bout du tunnel semble se profiler en Irak, cette guerre aura englouti bien plus de vies, d'argent et de temps que le président lui-même ne le prévoyait. Le gouvernement des Etats-Unis dépense un argent qu'il ne possède pas. Le déficit budgétaire atteint un record de 455 milliards de dollars (337 milliards d'euros) et les divers plans de relance de l'économie devraient le porter à 1 000 milliards (741 milliards d'euros), voire plus. Pas étonnant que le moral des Américains plonge. La cote de popularité de George Bush navigue dans le rouge depuis 47 mois -- encore un record -- et près des deux tiers des personnes interrogées par le Pew Research Center estiment qu'on se souviendra de cette administration pour ses échecs. «Rien ne va. Il a hérité d'un pays qui allait plutôt bien, comment peut-on soutenir qu'il le rend en meilleur état ?», s'indigne Thomas Whalen, politologue à l'Université de Boston et auteur d'un livre sur le courage présidentiel. C'est pourtant la version que défendent MM. Bush et Cheney ou leurs conseillers, qui rendront les clefs le 20 janvier: certains résultats sont passés inaperçus, d'autres seront mieux appréciés avec le temps. Le Président sortant cite parmi ses réussites la loi sur l'évaluation des établissements scolaires; la réforme de Medicare (2003), l'assurance-santé des personnes âgées et handicapées, qui prend en charge une partie du coût des médicaments prescrits (2006); le plan d'aide d'urgence à la lutte contre le SIDA à l'étranger (2003), de 15 milliards de dollars (11 milliards d'euros) sur cinq ans, principalement destiné à l'Afrique subsaharienne; le rapprochement de l'Eglise et de l'Etat avec l'allocation de fonds publics aux oeuvres sociales des organisations religieuses (2001). George W. Bush a aussi donné une tonalité conservatrice durable à la Cour suprême, en nommant les juges à vie John Roberts et Samuel Alito, et malgré le rejet embarrassant de son amie et conseillère, Harriet Miers, par son propre camp. Mais c'est la guerre qui domine largement ses deux mandats à la Maison- Blanche. Le pays a perdu foi en son président quand la guerre en Irak a viré au cauchemar: les mensonges sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein, la «mission accomplie» (mai 2003) qui ne l'était pas, l'absence de véritable plan pour l'après-guerre, le cercle vicieux des violences entre chiites et sunnites, les pertes américaines. L'envoi très critiqué de 20 000 soldats supplémentaires, en 2007, s'est avéré un succès, rendant l'Irak plus stable, mais la plupart des Américains considèrent toujours cette guerre comme une profonde et coûteuse erreur. George W. Bush répond qu'il faut prendre du champ: 50 millions d'Irakiens et Afghans libérés conduiront la région à la paix et à la démocratie. Et de prôner la même approche à long terme pour le conflit israélo-palestinien. L'impulsion donnée par son implication personnelle dans le dossier fin 2007 a fait long feu et le Proche-Orient connaît une nouvelle guerre, avec l'offensive israélienne contre les roquettes du Hamas, dans la Bande de Gaza. «Je pense que quand les gens analyseront objectivement cette administration, ils diront: 'Ah, maintenant je vois ce qu'il a essayé de faire», réplique M. Bush. «Je serai mort quand ils finiront par s'en rendre compte.» Là où il vante sa détermination dans des temps difficiles, le pays a vu une obsession incompréhensible. Ainsi en est-il de la doctrine de la guerre préventive ou de la promotion inlassable de la démocratie et de la liberté dans le monde. «Les résultats sont douloureux pour les Etats-Unis, pas seulement à cause des 4 000 soldats morts (en Irak), mais aussi parce que la ferveur idéologique l'a emporté sur le pragmatisme et le sang-froid», analyse Douglas Brinkley, historien de la présidence et professeur à la Rice University. La réputation de l'Amérique dans le monde a énormément souffert aussi. Sur le plan intérieur, la débâcle de l'ouragan Katrina (2005) a marqué les esprits. L'épisode a imposé l'image d'un George Bush complètement coupé de la réalité et incapable de réagir à la catastrophe sanitaire, matérielle et surtout humaine, qui se solde par plus de 1 500 morts. Et alors que le Président pouvait espérer réaliser une sortie tranquille, la crise économique et financière s'abat sur sa dernière année. Il ne s'agit pas que d'une coïncidence malheureuse, car George W. Bush a prôné la dérégulation quand il pleuvait des prêts immobiliers et il s'est heurté à la résistance du Congrès quand il a voulu surveiller le secteur. La faute à Washington ou à Wall Street, reste que c'est cette crise qui referme le chapitre Bush. Le principal argument de George W. Bush est qu'il a toujours réagi aux problèmes de ses mandats avec détermination. «J'ai été un président en temps de guerre. J'ai essuyé deux récessions économiques. J'ai affronté de nombreux grands défis. Ce qui compte pour moi est que je n'ai pas compromis mon âme pour être un type populaire.» L'histoire jugera, dit-il. Mais les Américains ont déjà rendu leur verdict.