«J'ai fui la veille de mon mariage, à 23 heures, raconte Catherine Sawadogo. Je suis allée d'abord chez le curé, mais il était parti pour une retraite à Yako. Alors je me rendis chez un catéchiste qui réside à 20 km de notre village. Je cheminais seule dans la nuit, avec pour seuls compagnons les oiseaux de la brousse ». A 19 ans, Catherine réside dans une paroisse à Kaya (voir encadré). Un des « refuges » ouverts par l'église catholique burkinabé pour accueillir toutes ces filles qui ont décidé d'échapper à une fatalité que ni les lois ni la sensibilisation, encore moins les drames qui l'accompagnent parfois n'ont réussi à faire éradiquer. De 1995 à février 2001, les paroissiens de Kaya ont reçu 326 filles ayant fui le cadre familial pour échapper au mariage forcé. Mariage précoce dans la plupart des cas, dans un pays à l'âge minimum requis est de 17 ans. A Pabré, à moins de 20 km de Ouagadougou, les portes du centre d'accueil se sont également ouvertes sur 94 filles entre 1990 et 1997. Mais pour ces quelques centaines de rescapées, combien de drames noués dans le silence ? « Il n'y a presque pas de dénonciation », confie la commissaire de police burkinabé Elisabeth Yonli. Même si le Code pénal burkinabé s'avère assez rigoureux sur la question, avec 6 mois à 2 ans de prison pour les personnes à l'origine des mariages forcés, et tient pour complices celles qui l'ont favorisé (oncles, tantes, etc.), l'arsenal répressif demeure sans effet. Il faut encore sensibiliser, souligne le juge Wenceslas Ilboudo. Sensibiliser « surtout les mineures parce qu'elles sont les premières concernées. Il faut qu'elles sachent que lorsqu'on les prédestine à un homme sans leur consentement, elles peuvent porter plainte. Libre au juge de poursuivre le ou les auteurs ». Perspective illusoire. A cet âge tout impose obéissance. Une attitude forgée à travers les schémas d'éducation familiale établis pour fixer le rôle et la place de la future femme dans la société. Les révoltes sont rares, les douleurs souvent muettes. Si la quasi-totalité des Etats africains ont ratifié la Convention des Nations-unies relative aux Droits de l'enfant, il est encore des tabous derrière lesquels se cachent certains drames qui jalonnent la vie des filles, de l'enfance à l'adolescence. Jeter les couteaux A 16 ans Catherine a pu échapper au mariage forcé, mais qu'aurait-elle pu faire à 5 ans, lorsque vient le moment d'endurer l'épreuve de l'excision ? Si elle avait vu le jour dans le septentrion béninois elle n'y aurait sans doute pas échappé. Dans le Borgou, l'Alibori, le Donga ou l'Atacora, la pratique venue du fond des âges s'accroche encore à des justificatifs contre lesquels les remises en cause n'ont encore que des effets limités. Les arguments avancés sont d'essence religieuse pour la plupart, même si les textes invoqués ne sont pas assez explicites, voire tranchés sur la question. Présentée comme un précepte de l'Islam, mais pratiquée également dans des contrées non musulmanes, l'excision passe pour un acte de purification préalable à la reconnaissance sociale de la femme. Mais cette mutilation reste surtout un moyen de contrôle sur la sexualité des filles. Pratiquée dans vingt-huit pays d'Afrique et du Proche Orient, les mutilations génitales féminines touchent quelque 130 millions de femmes et de filles. Dans l'Atacora et le Donga béninois, l'âge n'est pas limitatif. Il arrive que des femmes enceintes, parfois à terme, soient soumises à ce rite. Et si l'opération reste une spécialité féminine, des hommes y excellent. Jeune Béninois, Bio Birni n'arbore pas encore la trentaine, mais il traîne une solide expérience après six ans de pratique. Et c'est lui-même qui a procédé à l'excision de ses deux femmes. Dans le département du Plateau, au centre du Bénin, les jeunes filles Yoruba prêtes à être mariées sont obligées de passer par ce rituel avant de convoler. Beaucoup ne connaîtront jamais ce bonheur conjugal. Dans les conditions où se pratiquent l'opération, en dehors de toute expertise médicale, les morts par hémorragie ou par infection sont fréquentes. Les lueurs d'espoir engendrées par la lutte contre l'excision sont rares. L'exemple du Sénégal est souvent cité. Depuis 1997, des villages entiers, sous l'effet de la sensibilisation, ont décidé de tourner le dos à la pratique de l'excision. Dans des zones où elle était solidement ancrée, hommes, femmes et guides religieux se sont engagés à y mettre un terme, à l'occasion de manifestations publiques. Tout comme les exciseuses ont fait profession de foi de « jeter leurs couteaux » pour se laisser reconvertir à d'autres activités. Devant une telle évolution des mentalités le gouvernement sénégalais pensait trouver une belle opportunité pour faire voter une loi contre l'excision. Adoptée en 1998, elle a cependant fait l'objet d'une attaque en règle. Le Sénégal est encore loin d'un environnement favorable à son application, même si quelque cent quatre-vingt villages se sont engagés dans une dynamique d'abandon. L'excision continue de plus belle ; dans certains villages où on s'était décidé à l'abandonner, elle s'opère en cachette. Même chose au Bénin. On ne bat plus les tambours pour annoncer l'événement, mais la pratique perdure. De même, là où certains exciseurs et exciseuses ne peuvent plus opérer après avoir fait foi d'abandonner la pratique, d'autres, venus d'ailleurs, les ont suppléés. « La lutte est difficile à mener devant la réticence des leaders d'opinions que sont les chefs religieux et les chefs traditionnels, mais aussi le manque de confiance des exciseurs et exciseuses qui ne collaborent pas assez, regrette la présidente du Comité interafricain sur les pratiques traditionnelles ayant effet sur la santé de la femme et de l'enfant, Victorine Odoulami. L'indifférence marquée des structures étatiques et le manque de volonté politique n'aident pas non plus. Et pour nous qui sommes sur le terrain de la lutte, le manque de moyens logistiques, le déficit de formation des formateurs et des relais communautaires pèsent. (Suivra)