Après de longues années d'existence pénible, Dostoïevski quitta sa patrie, la Russie, pour se diriger à l'ouest, vers l'Europe qui était en plein renouveau dans tous les domaines : politique, économique, social et culturel. Le retard immense de la Russie tsariste En effet, la Russie tsariste, dirigée par une caste d'aristocrates durs et sans égards pour l'immense population -- la plus pauvre qu'on pouvait trouver à l'époque -- avait un très grand retard sur les autres nations européennes. Dans la partie ouest du Vieux Continent, la Révolution industrielle amorcée vers le milieu du XVIIIe siècle avait entraîné un changement radical au sein des sociétés des pays – surtout les précurseurs – comme l'Angleterre, la France et bientôt dans les provinces allemandes qui ne tarderont pas à être unifiées sous l'égide du royaume de Prusse ou régnait Guillaume 1er mais, en fait, dirigée et remarquablement administrée par son chancelier Otto von Bismarck. Dans les Etats de l'Europe Occidentale, Dostoïevski se rendit compte et de visu du grand retard accumulé par la Russie des Romanov, un géant aux pieds d'argile, où le pouvoir despotique local n'était capable que d'asservir les dizaines de millions de pauvres hères, d'opprimer les voix des libéraux qui appelaient au changement, et à réprimer toutes les tentatives de révoltes d'où qu'elles venaient. Le grand écrivain du pays du froid était profondément marqué par cette pénible situation dont il n'entrevoyait pas la fin, lui qui n'oubliait pas les dures années d'exil et de bagne passées dans la lointaine et glaciale Sibérie. Les années d'errance Deux ans plus tard, sa femme Maria, puis son frère Mikhaïl, moururent. L'écrivain était, alors, couvert de dettes et devait fournir de quoi vivre à la femme et aux enfants de son frère qu'il avait adoptés. Pour échapper aux créanciers, il continuait à voyager et tentait de faire fortune à la roulette. On trouve des échos de sa passion maladive du jeu dans le Joueur (1866) et l'Adolescent (1875). Ces années d'errance et de troubles avaient marqué profondément Dostoïevski. Son aversion pour l'Europe et la démocratie grandissait. Il publia les Carnets du sous-sol qui est en quelque sorte une réponse au roman Que faire ? du révolutionnaire Tchernitchevski (ouvrage que le chef de la Russie bolchévique Lénine connaissait par cœur). Selon Dostoïevski, l'égalité démocratique n'efface pas la violence des rapports humains mais l'exacerbe au contraire. L'homme crée selon lui un monde dominé par le matérialisme, l'individualisme et l'égoïsme. S'il s'opposait à la démocratie bourgeoise, c'est parce qu'elle donnait une place trop importante à l'argent. Il admirait, en revanche, la liberté de presse, lui qui avait tant souffert de la censure en Russie. Depuis son incarcération en 1849, jusqu'à la publication de son chef-d'œuvre les Frères Karamazov, en 1879, Dostoïevski était toujours placé sous la surveillance des services secrets du Tsar qui révisaient son courrier, surveillaient ses relations et contrôlaient ses bagages aux frontières. Politiquement, l'écrivain était un fervent libéral pour son pays et, surtout, un nationaliste convaincu. Il aimait le peuple russe avec passion et haissait profondément les usuriers qui saignaient les couches populaires. Le crime de Crime et Châtiment consistera, d'ailleurs, dans la vengeance gratuite d'un étudiant contre une usurière. Certains y avaient vu l'émanation d'un antisémitisme connu de Doistoïevski. La maturité En 1867, il engagea une jeune femme, Anna, comme secrétaire, et l'épousa peu après alors qu'elle n'avait qu'une vingtaine d'années. Grâce à son esprit pratique et à sa volonté, la situation du ménage s'améliorait considérablement. Dostoïevski renonça au jeu et se mit à travailler régulièrement, publiant ses œuvres les plus abouties : Crime et Châtiment, l'Idiot, les Démons (appelé parfois les Possédés). Ce dernier roman est inspiré d'un fait divers tragique : l'assassinat par les siens d'un des membres du groupe révolutionnaire de Netchaïev. Son œuvre romanesque s'acheva par les Frères Karamazov qu'il publia à l'âge de 60 ans. Cette œuvre incarnait l'apogée de Dostoïevski. Le roman synthétisait l'un des plus grands thèmes de réflexion : la force irrationnelle de la passion. Le livre connait un succès immense et assoit la place de l'auteur parmi les grands écrivains russes. En 1880, son Discours sur Pouchkine, où Dostoïevski évoquait sa vision sur le rôle de la Russie dans le monde fit de lui un héros national acclamé tant par la jeunesse, les femmes russes, que par ses anciens ennemis.Ses dernières années restèrent marquées par des discours enflammés sur l'âme et le peuple russe ainsi que la supériorité du «génie russe» sur les autres nations. Il attribuait un rôle messianique au peuple russe, seul peuple capable, selon lui, de comprendre tous les autres peuples et d'avoir ses propres spécificités nationales. D'après l'écrivain, le peuple russe a intrinsèquement pour mission d'apporter le bonheur à l'humanité. Dostoïevski, à la fin de sa vie avait été un fervent croyant et non plus l'agnostique de ses premières années. Mais épuisé par une grande charge de travail, l'écrivain succomba à une hémorragie, le 27 janvier 1881. Il fut enterré à Saint-Pétersbourg et ses obsèques furent suivies par une foule composée par plus de 30 000 personnes venues lui rendre un hommagé mérité. (A suivre)