es limites du discours de la "guerre contre le terrorisme" sont vite apparues, y compris dans des milieux gouvernementaux responsables de la sécurité. Au milieu des années 1990 déjà, le défunt roi Hassan II faisait remarquer à ceux qui voulaient s'opposer au "fondamentalisme" que celui-ci ne saurait être combattu avec des chars ou des armadas, "mais avec d'autres idées" (International Herald Tribune, 14 mars 1995). Manifestement, plusieurs services gouvernementaux ont abouti au même constat. Et celui-ci les amène à entrer (au moins de façon indirecte) dans le champ des débats religieux pour essayer de contrer l'idéologie djihadiste — même si les différents acteurs qui s'engagent dans cette action contre-idéologique n'ont pas nécessairement, d'un pays à l'autre, les mêmes intérêts. Ce sujet mérite l'attention: quelques récentes publications et un colloque international qui s'est tenu en 2009 nous en donnent l'occasion. Ces questions ne sont pas seulement soulevées dans les pays occidentaux, puisque des programmes les plus importants, que nous évoquerons plus loin, ont été mis sur pied en Asie. Pour des gouvernements européens ou nord-américains, ces thèmes se mêlent inévitablement au débat sur la place de l'islam et l'intégration des musulmans dans des sociétés où ils sont des nouveaux venus. Chacun sait que différentes initiatives ont été prises pour développer de possibles cadres d'organisation et d'interaction à l'intention des musulmans; plus d'une fois pointe aussi le désir de coopter un "islam modéré" ou de trouver au moins des interlocuteurs avec lesquels une coopération efficace semble possible. Certains milieux islamistes voient dans ces efforts une volonté de contrôler la communauté musulmane et de la mouler dans des catégories occidentales, ce qui n'est d'ailleurs pas entièrement faux, mais rencontre aussi les désirs de musulmans de trouver leur place en s'ajustant à un nouvel environnement. Royaume-Uni et djihadisme : une action préventive ? Une initiative parmi d'autres: en avril 2008, le Home Office britannique annonçait vouloir inviter au Royaume-Uni plusieurs centaines d'imams modérés de l'Asie du Sud afin d'aider les communautés musulmanes installées dans les Iles britanniques à combattre l'extrémisme: puisque nombre de messages appelant au djihad proviennent d'autres pays, l'idée était de créer un réseau international pour contrer cette propagande, en faisant appel à des prédicateurs ayant plus de prestige et d'autorité que les imams locaux. Cette initiative s'inscrivait dans un projet de prévention de l'extrémisme violent, avec un budget annuel de 90 millions de livres (The Guardian, 17 avril 2008). Pursue Prevent Protect Prepare: ces quatre mots sont le titre du document de mars 2009 définissant la stratégie britannique de combat contre le terrorisme international, révisant la stratégie adoptée en 2003 sous le nom de CONTEST. Ce document de 178 pages (téléchargeable à partir du site du Home Office en cliquant sur ce lien - 2 Mo) explique qu'il ne suffit pas de poursuivre des terroristes et de les empêcher de commettre des attentats, de protéger le pays en renforçant ses défenses contre le terrorisme et de préparer la population à réagir à un attentat afin d'en réduire l'impact: il faut aussi se soucier d'une action préventive afin que des gens ne glissent pas vers le terrorisme ou le soutien à l'extrémisme violent. Cette action préventive — le pan le moins développé de la stratégie d'origine en 2003 — est considérée aujourd'hui comme "la meilleure solution à long terme". Et de préciser que "protéger des individus vulnérables qui pourraient être attirés vers une idéologie violente n'est pas simplement le travail de la police, mais aussi des autorités locales, des écoles et des universités, des communautés locales et de tous ceux d'entre nous qui entrent en contact avec eux": il s'agit ainsi d'associer la société à ce travail préventif. Cela ne conclut pas le débat entre différentes approches, au sein même du gouvernement britannique, notait l'hebdomadaire The Economist (28 mars 2009): quels musulmans coopter? faut-il également encourager la collaboration avec des groupes aux tendances islamistes, mais qui rejettent le terrorisme ? Tandis que les trois autres volets sont généralement acceptés, le volet "prévention" tend à polariser les opinions: certains estiment qu'il s'agit d'une politique à courte vue, transformant les tenants de positions islamistes en interlocuteurs privilégiés, tandis que d'autres soulignent les succès que cela a permis d'atteindre, par exemple pour reprendre le contrôle de la mosquée de Finsbury Park, à Londres (Raffaello Pantucci, "British Government Debates Engagement with Radical Islam in New Counterterrorism Strategy", Terrorism Monitor, 7/10, 24 avril 2009). Ce débat va bien plus loin que la gestion sécuritaire de l'islamisme et du djihadisme, elle traverse également les milieux de la diplomatie internationale, et pas seulement en Grande-Bretagne. La stratégie de prévention est le résultat d'un mûrissement: elle avait déjà fait l'objet d'une révision en 2007, sur la base d'une compréhension affinée des causes de radicalisation, sans oublier le traumatisme des attentats de 2005 à Londres. Au cours des trois années à venir, elle se propose de "défier l'idéologie derrière l'extrémisme violent et de soutenir les voix majoritaires", de mettre des bâtons dans les roues à ceux qui prônent la violence, de soutenir les personnes vulnérables ou ayant déjà été recrutées par des extrémistes violents, de renforcer les défenses des communautés face à l'extrémisme violent et d'apporter des réponses aux ressentiments exploités par les idéologues. Le document relève que la propagande par Internet représente un défi particulier. L'idéologie violente d'Al Qaïda et sa tentative de justification religieuse sont considérées comme l'un des quatre facteurs stratégiques à prendre en compte: le document estime que cette idéologie survivra même à un changement de la structure de l'organisaiton. Comme on le constate, la sécurité est approchée ici dans un sens large et la dimension idéologique ouvertement assumée: le texte prône le développement du Royaume-Uni comme centre d'excellence pour l'islamologie en dehors du monde musulman et qualifie l'islamologie de "sujet d'importance stratégique", prônant en outre la collaboration avec les mosquées. A travers des canaux appropriés, ce n'est pas seulement la violence extrémiste, mais l'idéologie djihadiste elle-même qui doit se trouver mise au défi. (A suivre)