Une série de programmes concrets soutiennent ces projets : par exemple, une somme de 7 millions de livres sur une période de deux ans a été affectée à des projets de contre-radicalisation parmi les jeunes délinquants. Des universités travaillent avec des théologiens musulmans pour contextualiser l'islam. Le développement de cours d'éducation civique est encouragé dans les mosquées. Au total, ce sont plusieurs dizaines de projets qui ont été lancés, misant aussi sur la collaboration de groupes et individus musulmans. Dans ce contexte émergent des groupes musulmans spécifiques pour agir sur ce terrain, par exemple la Quilliam Foundation, dont les figures de proue sont d'anciens membres de groupes islamistes et qui se définit comme un «think tank pour contrer l'extrémisme». L'une des récentes publications de la fondation est intitulée Mosques Made in Britain (2009), un titre qui résume à lui seul certains des enjeux; selon les observations de cet ouvrage, plus de 90 % des imams en Grande-Bretagne viennent d'ailleurs et ont été formés en dehors du pays, souvent sans bien maîtriser l'anglais : «Leur éducation et leur formation outre-mer ne les préparent pas à aider les jeunes musulmans britanniques à s'intégrer dans une société démocratique et multireligieuse» (p. 8). Il n'y a guère de doute que les années à venir verront surgir d'autres initiatives semblables dans des pays occidentaux, avec l'appui direct ou indirect des autorités. Experts du contre-terrorisme et islamistes en dialogue... Pour mieux comprendre l'évolution de l'approche du contre-terrorisme britannique, un intéressant témoignage a été publié l'an dernier dans la revue Critical Studies on Terrorism (1/2, août 2008) : un entretien de Richard Jackson avec Robert Lambert, un policier aujourd'hui retraité qui, de 1980 à 2007, s'est occupé de contre-terrorisme et a créé en 2002 avec un de ses collègues une Muslim Contact Unit afin de développer un partenariat avec la communauté musulmane, et ainsi de contrer la propagande et le recrutement islamistes à Londres. Cette initiative s'est appuyée sur l'expérience développée antérieurement face à d'autres types de terrorisme, notamment celui lié au conflit en Irlande du Nord. En effet, Lambert put observer, dans les années 1980, que certaines actions policières tendaient plutôt à aliéner les familles irlandaises établies à Londres, celles-ci percevant la police comme soupçonneuse envers les catholiques irlandais en général. Certaines opérations antiterroristes n'étaient pas suffisamment ciblées. Dans le cas particulier de la communauté musulmane, Lambert explique que certains dirigeants de celle-ci acceptaient depuis longtemps, par sens civique, de travailler avec les représentants de la Special Branch de la police. Il insiste sur la nécessité non seulement de cultiver des contacts dans la durée, mais aussi de maintenir une claire distinction entre ces contacts et le recrutement d'informateurs. Créer des relations de confiance permet de dissiper des stéréotypes de part et d'autre, remarque Lambert. Non sans problèmes parfois : il arrive qu'une action policière «lourde» réduise à néant de patients efforts. L'approche de la Muslim Contact Unit part du principe que les communautés elles-mêmes peuvent jouer un rôle clé pour mettre en échec le terrorisme et l'extrémisme. Sa création fut le fruit d'une volonté d'appliquer les leçons apprises durant les efforts de contre-terrorisme face à l'IRA (Armée républicaine irlandaise). Il s'agissait de rassurer les communautés musulmanes en leur montrant qu'elles «n'étaient pas suspectes simplement parce que des terroristes d'Al-Qaïda prétendaient agir au nom de l'Islam» (p. 296). Et ainsi de gagner en même temps des alliés dans la lutte contre Al-Qaïda. Pas seulement, d'ailleurs, parmi les musulmans qualifiés de «modérés», mais aussi dans les milieux islamistes et salafistes, les plus menacés à la fois de devenir des communautés suspectes et de voir certains de leurs jeunes membres répondre favorablement à la propagande d'Al-Qaïda. En même temps, les milieux salafistes et islamistes étaient ceux dans lesquels les membres de la Muslim Contact Unit pouvaient rencontrer des gens ayant une réelle connaissance des mouvances favorables à Al-Qaïda : l'approche faisait donc sens également du point de vue de la recherche d'information. Comme on l'imagine, une telle démarche n'allait pas de soi, y compris dans les rangs de la police, en raison des polémiques autour des groupes salafistes et de la fréquente tendance à tous les mettre dans le même sac, raconte Lambert. La Muslim Contact Unit fut amenée dans certains cas à dire publiquement que les islamistes arrivés dans les années 1990 dans ce que l'on baptisa bientôt le ‘Londonistan' n'étaient pas tous des menaces pour la sécurité britannique — à condition de sortir du discours «vous êtes soit avec nous, soit contre nous». Lambert se montre critique face à certains «experts» très sollicités par les médias en raison de leur discours critique envers l'islamisme, mais qui ne sont pas en mesure, à ses yeux, d'apporter une compréhension du djihadisme aussi utile que les milieux salafistes et islamistes avec lesquels ont été développés des partenariats. Il s'agit donc, dans la philosophie de la Muslim Contact Unit, d'approcher islamistes et salafistes comme partie de la solution et non du problème. La Muslim Contact Unit a encouragé à la base des initiatives islamistes et salafistes pour contrer la propagande d'Al-Qaïda: elle établit des partenariats «avec des groupes locaux [...] crédibles afin de gagner la bataille pour les cœurs et les esprits de jeunes sensibles à la propagande terroriste» (p. 301). Une approche dont le succès n'est pas toujours garanti et non dénuée de risques, admet Lambert. Selon un responsable du travail préventif des services de sécurité et de contre-terrorisme britannique, l'un des objectifs est le terrorist disengagement: moins de 150 personnes liées à des activités djihadistes se trouvent actuellement en prison au Royaume-Uni, mais quelque 2 000 ont été identifiés comme des menaces potentielles et un cercle plus large de plusieurs milliers de personnes éprouve de la sympathie pour le djihadisme. Il convient donc de ne pas se limiter à ceux qui sont déjà engagés dans des activités terroristes. L'évocation de la politique de prévention britannique dans ses différentes facettes et de l'émergence d'efforts contre-idéologiques qui ne marchent pas tous au même pas (Lambert se montre critique face au discours des responsables de la Quilliam Foundation) illustre le rapide et important essor de méthodes et initiatives diverses. Après ce regard sur le cas du Royaume-Uni, passons à l'échelle internationale, pour nous intéresser de plus près aux propositions de «rééducation» de djihadistes, généralement liées à de plus larges efforts contre-idéologiques. Un colloque à Singapour sur la réinsertion des djihadistes incarcérés Du 24 au 26 février 2009 s'est tenu à Singapour un colloque peu commun, organisé par l'International Center for Political Violence and Terrorism Research (ICPVTR), centre de recherche dirigée dans cette même ville par Rohan Gunaratna, dont les travaux sur le terrorisme ont un large écho. Il s'agissait de la première International Conference on Terrorist Rehabilitation. Si le titre disait «terroristes», il y fut surtout question de djihadistes. Constat de départ: il ne suffit pas d'arrêter un terroriste et de le mettre derrière des barreaux; il faut se demander si une période de détention ne peut pas devenir une période de rééducation et de préparation à une réinsertion — plutôt que de laisser les prisons devenir une école de radicalisation, comme cela s'est parfois produit. A un moment où plusieurs dizaines de milliers de personnes dans le monde sont aujourd'hui détenues pour des activités liées au terrorisme, cette question devient plus brûlante que jamais. Elle débouche sur des efforts préventifs plus larges, à commencer par ceux développés à l'intention des familles et des proches des extrémistes détenus. (A suivre)