Il existe plusieurs exemples de revirement d'extrémistes violents durant leurs séjours en prison, à l'instigation des autorités ou de leur propre initiative. Un emprisonnement crée un cadre dans lequel des réévaluations peuvent s'amorcer, sans parler de l'impact psychologique d'une détention. Pour en rester au contexte du djihadisme, l'on peut citer le cas de la Jamâ'a islamiyya (Groupe islamique) en Egypte, dont les dirigeants incarcérés ont fini non seulement par rejeter le recours au terrorisme, mais par écrire de nombreux textes pour argumenter contre celui-ci. En Espagne, quelque 400 détenus de l'ETA basque ont renoncé à la violence après la décision prise en 1989, par les autorités, de les disperser dans des établissements pénitentiaires à travers le pays plutôt que de les concentrer, ce qui permettait des évolutions sans pression du groupe pour maintenir la fidélité de ses membres; le gouvernement espagnol utilise d'ailleurs, aujourd'hui, la même approche pour les djihadistes emprisonnés, sans avoir cependant mis sur pied, pour le moment, un véritable programme de «rééducation». Tant à Singapour qu'en Malaisie, la rééducation et la réinsertion des djihadistes intègrent également l'expérience semblable, quelques décennies plus tôt, avec les membres détenus de groupes militants communistes. L'intérêt du colloque était la participation de responsables de projets de ce type dans plusieurs pays du monde. Ainsi, le programme de «réhabilitation» saoudien, créé après les attentats de Riyadh en 2003, investit d'importants moyens : des discussions auraient déjà été menées avec 3 500 détenus, selon le responsable de la Direction de la sécurité idéologique au ministère saoudien de l'Intérieur. Les détenus acceptant la «rééducation» proposée sont envoyés dans des centres supposés les préparer au retour à une vie normale. Durant la détention, les familles des détenus reçoivent un soutien financier, afin de leur éviter de devoir recourir à celui des groupes djihadistes et, ainsi, de prévenir la radicalisation d'un cercle plus large. Depuis 2004, quelque 2 000 prisonniers auraient participé à ce programme, et 700 auraient été libérés. Un autre pays à la forte population musulmane, dont les projets ont été parfois évoqués dans les médias, est l'Indonésie, car plusieurs djihadistes repentis y collaborent, aujourd'hui, à des projets de déradicalisation. En novembre 2007, déjà, l'International Crisis Group avait publié un rapport intitulé «Déradicalisation» and Indonesian Prisons. Afin d'entamer la déradicalisation, il s'agit de s'intéresser aux préoccupations des prisonniers et de leur permettre, ensuite, d'engager un dialogue avec des théologiens musulmans dont la qualité de la formation inspire le respect à leurs interlocuteurs, et donne à ces érudits une forte crédibilité. A travers ces discussions, l'objectif est de conduire, si possible, les prisonniers à reconnaître le caractère non islamique des actes terroristes. L'effort idéologique s'accompagne d'une aide économique aux prisonniers libérés, pour leur réinsertion. Certains de ces ex-détenus repentis sont ensuite recrutés pour prêcher contre les convictions qui étaient les leurs. En fait, au départ, explique l'un des responsables du programme indonésien, l'objectif n'était pas tant de convaincre les militants de leurs erreurs que de faciliter les enquêtes ; cependant, ces résultats collatéraux sont appréciés. Sur quelque 200 détenus approchés au fil des ans, la moitié, environ, ont accepté de participer. En Malaisie, c'est une institution gouvernementale, le Département du développement islamique (Jabatan Kemajuan Islam Malaysia, JAKIM), qui est chargée de remettre les extrémistes incarcérés sur le droit chemin. Un programme parallèle s'adresse aux conjointes des détenus. Une fois libéré, le contact avec les ex-prisonniers est poursuivi, afin de s'assurer qu'ils ne retournent pas vers le djihadisme. A Singapour, le programme de rééducation et réinsertion a été mis sur pied avec l'efficacité légendaire de ce petit pays, toujours soucieux de maintenir son équilibre intérieur et prêtant attention à tout ce qui pourrait le compromettre sur le plan tant politique que religieux ; Religioscope avait, d'ailleurs, publié en 2007 un article sur la gestion de la vie religieuse par l'Etat à Singapour. Cela passe, aussi, par la cooptation d'une «majorité musulmane modérée» au sein de la communauté musulmane (environ 15% de la population singapourienne), comme l'a analysé Eugen K.B. Tan dans un article publié par Terrorism and Political Violence (19/4, hiver 2007, pp. 443-462). Les initiatives singapouriennes de contre-idéologie et de réinsertion des djihadistes ont, aussi, été le fruit de considérations pratiques : comment éviter de voir dans les familles des détenus naître une seconde génération de djihadistes? comment faire, pour permettre de libérer certains détenus sans les voir s'engager dans de nouvelles activités dangereuses ? Le travail en vue de la rééducation et de la réinsertion des djihadistes est abordé sous trois angles : psychologique, social et religieux. Avec les encouragements des autorités, a été fondé, par des musulmans, un Religious Rehabilitation Group (RRG). Vers la fin de l'année 2001, les services de sécurité singapouriens prirent contact avec des responsables musulmans et, après des hésitations initiales, certains d'entre eux acceptèrent de se lancer dans une coopération avec les autorités, et de fonder le RRG. Celui-ci compte 38 conseillers, de tous âges et des deux sexes, formés localement ou dans des institutions islamiques internationales réputées. Sur le site web du RRG, le visiteur peut lire une abondante documentation, en anglais, insistant sur la nécessité d'une approche contre-idéologique pour répondre au djihadisme. Dans la perspective du RRG, des mouvements, tels que la Jemaah Islamiyah (principal groupe djihadiste de la région), transforment un système de croyance en idéoloogie déviante. Il s'agit de corriger cette «compréhension fausse de l'islam» et, aussi, de contextualiser les sources islamiques traditionnelles pour les appliquer, ensuite, à la situation singapourienne contemporaine. Les conseillers déconstruisent les concepts sur lesquels s'appuie le message djihadiste. Bien entendu, sur un plan psychologique, le programme singapourien, et ses homologues dans d'autres pays, mettent à profit les problèmes personnels du détenu pour le convaincre de reconsidérer son engagement. Le processus de rééducation se déroule en plusieurs phases, en commençant par inciter le détenu à s'engager dans une réévaluation de sa démarche, et à développer une relation «thérapeutique» avec le conseiller qui l'accompagne. Ce dernier tentera de lui faire prendre conscience de la façon dont il a été «endoctriné», et d'amorcer une «correction idéologique». Au terme du processus, le détenu rééduqué doit idéalement s'engager à ne plus s'impliquer dans une organisation terroriste. Conscients que la démarche djihadiste relève, aussi, souvent d'une soif de servir une cause, les conseillers du RRG s'efforcent de canaliser les énergies du détenu «rééduqué» vers d'autres causes, par exemple une action dans le domaine humanitaire. Durant la détention, des associations musulmanes entourent les familles des personnes emprisonnées, également sur le plan matériel, afin d'éviter un ressentiment qui pourrait conduire à une diffusion plus large des thèses djihadistes, tout en associant la communauté musulmane, au sens large, pour prévenir des évolutions vers le djihadisme. Dans tous les cas de programmes de rééducation, les responsables reconnaissent qu'il n'est pas possible de convaincre tous les détenus, et que certains resteront attachés à leurs convictions : l'une des premières étapes de ces programmes est, précisément, d'identifier ceux qui se montreront irréductibles, d'une part, et ceux qui seront prêts à accepter des approches différentes de l'islam, d'autre part. (A suivre)