Toujours à ce propos, Moulay Belhamissi, signale «qu'en Italie, un prince de la famille des Massimo de Rome, laissa en héritage, par testament en date du 4 décembre 1570, dix-sept femmes esclaves. Il souhaitait les voir baptisées et mariées dans ses domaines. Un corsaire livournais s'étant emparé de sept dames et filles de Tripoli (dont deux ou trois originaires d'Alger), affirma qu'il y en avait, dans ce lot, trois petites dont la plus âgée n'avait que cinq ans, qu'elles étaient chez des gens «qui les élevaient dans la Religion», tandis que les femmes étaient à la maison (Cf. Moulay Belhamissi, Les captifs algériens et l'Europe chrétienne, p 36, ENAL, Alger 1988) Ainsi, n'épargnant personne, la course chrétienne, basée en Sicile, à Malte, aux Baléares et sur les côtes nord de la Méditerranée, s'était déchaînée contre le commerce et les villages côtiers algériens. Les «négriers » multipliaient, en effet, leurs incursions pour mettre la main sur l'Algérien, en recourant, notamment, à diverses méthodes d'enlèvements des riverains. «Et bien, avant l'arrivée des turcs au Maghrib, nous dit Moulay Belhamissi, de nombreuses incursions sur le littoral étaient le moyen rêvé de ces négriers et surtout «pas cher» pour acquérir des esclaves avec moins de risques et pourvoir ainsi les marchés spécialisés ou les galères chrétiennes». Le voyageurs oriental Abd al Bâsit ibn Khalîl, qui visita le pays en 1464 et qui prenant le bateau pour revenir d'Oran vers Tunis, mais que les vicissitudes de la navigation obligèrent les passagers à descendre à Bougie, a consigné ce récit : «nous y trouvâmes, dit-il, des Berbères qui, à notre vue, prirent la fuite, croyant que notre bateau était celui des corsaires chrétiens qui avaient volontairement et par ruse changé de costumes pour s'emparer des Musulmans ». (Cf. Rihla ( relation de voyage) «Er –Roudh El bassim fi Hawadith el Omr wa Et –Taradjim» (Alger 1975, p. 176,cité par Moulay Belhamissi ). C'est que chaque année, l'Ordre de Malte «armait une douzaine de galères et…opérait contre les cotes non défendues ». Dans ses confessions, Alenzo de Contreras qui fut un chasseur d'esclaves et de butin, montre comment il écumait les rivages du Maghrib (et du proche Orient) et il s'en vantait sans rougir ! « Nous y fîmes tant de prises que ce serait long à compter, l'on revint tous riches….Nous y fîmes d'incroyables voleries sur mer et sur terre » (Cf. Hubac (P.), Les barbaresques, pp. 161- 162.,cité par Moulay Belhamissi) Le Dr Belhamissi nous fait part d'un autre témoignage, celui du sieur Dancour parlant des habitants de Majorque, disant d'eux qu'ils «sont tous bons matelots, corsaires et grands voleurs, écumant continuellement les cotes de Barbarie d'où ils enlèvent quantités d'esclaves. En effet, la course chrétienne sévissait tout le long des cotes algériennes. D'Oran à la Calle, plusieurs descentes désolaient les endroits mal défendus, le Valencien Juan Canete «maître d'un brigantin de quatorze bancs, basé à Majorque « arrivait parfois jusque devant Alger ». Il y venait de nuit, y ramassait les Musulmans qui dormaient sous les remparts ».(9) ( Cf. Vittu , un document sur la Barbarie en 1680- 1681), Cahiers de Tunisie , 1977, p. 300, la partie concernant l'Algérie pp. 295- 319. Braudel (F.) La Méditerranée… II, p. 197, cité par Moulay Belhamissi). Pour sa part, Ph. E de Condi, général des galères de France, après avoir relâche à Oran (toujours occupée par les Espagnols), enleva à l'abordage, le 22 juillet 1620, deux bâtiments algériens et mit aux fers une soixantaine de matelots ». Les accrochages entre le chevalier Garnier et les marins algériens, en septembre 1634 coûtèrent à la flotte algérienne des centaines de prisonniers et de tués. En 1563 Juan Rey, patron d'une barque de la Ciotat, longeant le rivage algérien, enleva une vingtaine d'habitants et s'en alla les vendre à Gênes comme galériens » ( Cf. Mathiex , Levant , Barbarie et Europe chrétienne, Bull. de la Société d'Histoire moderne, 2/1958, p. 7); Masson ( P.), Les galères de France, p. 87,cité par Moulay Belhamissi). Durant l'été 1755, mentionne l'ouvrage de Belhamissi, deux corsaires d'Iviza «ramassèrent sept bâtiments et quatre vingt esclaves sur la côte algérienne ». Le chevalier de Valbelle, rapporte De Grammont, débarquait à l'improviste et enlevait cinq cents hommes qui allaient grossir la chiourme de Malte. Le comte de Veru s'embusquait hardiment dans une petite crique voisine d'Alger et s'emparait à la pointe du jour d'un bateau « sur lequel il trouvait quatre gentils hommes Maures et le neveu du Pacha ». Les coups de main maltais sur les côtes maghribines avaient entretenu, des années durant, un état permanent d'insécurité. «Plus près de nous, écrit Gosse, les Chevaliers de Saint Jean vécurent du pillage des ennemis de la foi »(Cf. Histoire d'Alger, p. 212; Histoire de la piraterie, p. 51; La Roncière, Histoire de la Marine française, IV, p. 404 et p. 693). L'un des principaux périls que craignaient marins, pécheurs, et passagers, c'était surtout d'être enlevés en mer par les corsaires européens, qui s'étaient habitués à la pratique, sillonnant sans cesse la Méditerranée et l'Atlantique à la recherche de ce «gibier humain». Ainsi, le chevalier d'Escrainville, représentant de la France à Malte, qui se vantait «d'avoir enlevé, avec deux vaisseaux, en 1664 et 1665, quatre bâtiments musulmans d'un convoi, ce qui «rapporta deux cent mille écus ». Les corsaires anglais Prince Frederic et Prince George, s'attaquant à un bâtiment français, non loin des côtes de la Régence, s'emparèrent de six Algériens qui se rendaient à Livourne. La chasse aux Musulmans, était soit le fait de corsaires «privés» , qui se moquaient des traités conclus, soit des escadres lancées à la poursuite du gibier humain. L'état de guerre quasi permanent avec la Régence en fournissait le prétexte (…) Les croisières rapportaient beaucoup plus que les coups de main isolés. Une sortie permit au Duc de Noailles de prendre cinquante et un Algériens. Les vaisseaux du Duc de Mortemart s'emparèrent, le 8 juillet 1687, près des côtes du Maroc, de dix Algériens sous prétexte que le passeport de leur navire était «trop vieux». Le 20 juillet 1687, le fameux vaisseau «Le Soleil», revenait du Texel lorsque, se fiant au traité de paix de 1684, se laissa contrôler par un bâtiment français, opération qui finit par la capture. Cent vingt cinq «marins, Raïs, sous Raïs, écrivain, timonier, soldats, teinturier, boulanger, barbier » prirent le chemin de l'esclavage. Le 3 août ce fut le tour d'une caravelle et de ses soixante cinq matelots. L'année suivante, un autre vaisseau de la Régence fut pris par d'Anfreville, chef d'escadre qui commandait le bâtiment «Le Sérieux». (Cf. Ibid). (Cf. Moulay Belhamissi, Les captifs algériens et l'Europe chrétienne, pp. 21 – 22; ENAL, Alger 1988; AN –Marine, B 4/11, f ° 23, v° et 24 r°, v °). Au décompte le nombre de captifs est impressionnant avec près de deux cents en deux mois! Les documents que Moulay Belhamissi a épluchés, révèlent que la pratique systématique de la capture en mer, permettait à l'Europe, et particulièrement au roi de France, de pourvoir constamment ses galères en rameurs, notifiant «si en vingt-sept mois il ne put acheter que 257 galériens, ses vaisseaux mirent la main, en deux mois de croisière, sur 241 captifs. L'âge de ces malheureux importait peu. Muhammad «Ibn Abd al Rahmân d'Alger, matricule 3653, avait dix ans… un de ses compagnons d'infortune en avait soixante- dix-neuf!» (Cf. Ibid). (A suivre) Mohamed Ghriss