Le désert du Sinaï est, à ce jour encore, parsemé des godillots dont ses «valeureux» soldats s'étaient débarrassé pour courir encore plus vite afin d'échapper, espéraient-ils, à la capture par les soldats israéliens à leurs trousses. C'était en 1956. A l'issue de cette campagne militaire à sens unique, l'armée israélienne récupérait sur le terrain, sans coup férir, des milliers de tonnes de matériel de guerre de toutes sortes, intact, – abandonné sur place –, dont des chars d'assaut et des pièces d'artillerie avec toutes leurs munitions ( !), qu'elles s'empressera de retourner contre leurs anciens servants dès la guerre suivante. Dix années et quelques mois plus tard, précisément au petit matin du 5 juin 1967, en prélude à ce qui sera prosaïquement appelé la guerre des Six jours, l'aviation israélienne réussissait, comme à l'exercice, à détruire au sol la totalité de la flotte aérienne égyptienne. Cette action d'éclat inouïe et unique dans les annales des conflits armés contemporains, devait sceller avant l'heure, l'issue funeste de cette guerre qui venait à peine de commencer. C'est donc les yeux bouffis par le manque de sommeil, au sortir d'orgies pharaoniques jusqu'aux aurores dans les cabarets et boîtes de nuit du Caire, de Guizèh, d'Alexandrie, d'Ismaïlia, d'Al Arich et d'ailleurs, l'haleine encore chargée de relents de whisky, que les généraux égyptiens étaient venus constater le désastre. On avait affirmé, à l'époque, qu'il s'en était trouvé parmi eux qui se seraient présentés sur les lieux en pyjama et robe de chambre ! Cette histoire, vraie ou fausse, avait alors fait le tour du monde, couvrant de honte et de sarcasmes anecdotiques féroces, le corps des officiers égyptiens. Le maréchal Amer s'était dû d'en tirer toutes les conséquences en se suicidant, comme il se devait en pareil cas ! Mais nul autre responsable n'a eu la dignité de suivre son exemple, pas même le commandant en chef de l'aviation qui, sous d'autres cieux, aurait été passé par les armes séance tenante ! Toujours est-il que le président Nasser, auprès de qui des «amis» étrangers et des «frères» arabes étaient venus quelques temps plus tard s'enquérir, voire se réjouir sous cape, des raisons de cette catastrophe, avait eu pour toute réponse : «Nous les attendions par l'ouest, ils sont venus par le nord !» Des unités d'infanterie motorisée de l'ANP naissante, –l'Algérie venait à peine de recouvrer son indépendance – composées pour une bonne part d'anciens moudjahidine, avaient alors été engagées avec bonheur, dans des combats d'arrière-garde désespérés, étant entendu que la guerre s'était pratiquement achevée avant que d'avoir seulement commencé. En octobre 1973, ce furent le fleuron de l'armée algérienne de ce temps-là, la 8e brigade blindée (8e BB), ainsi que des escadrilles d'élite de son aviation de combat, qui avaient été dépêchées en Egypte et affectées, au besoin au prix de leurs vies, à la défense de zones situées le long du canal de Suez, aux côtés de ceux en qui les combattent algériens voyaient sincèrement d'authentiques frères égyptiens. Au moment de leur départ pour le front, le président Boumediene s'était adressé à eux en ces termes : «Vous reviendrez couvert de gloire ou vous ne reviendrez pas !» Et lui-même de prendre de façon quasi impromptue l'avion pour Moscou où il remit aux Soviétiques un chèque en blanc, destiné à couvrir tous les achats d'armes et matériel de guerre que les Egyptiens jugeraient nécessaires pour la poursuite du combat contre Israël. Puis, las ! Encerclée dans la zone du «déversoir» et menacée de destruction, la IIIe armée égyptienne (100 000 hommes !!!), aux ordres du très peu glorieux général Badaoui, se rend en rase campagne sans combattre, et l'Egypte tout entière sombre dans la capitulation la plus déshonorante. Le souvenir infamant et douloureux du «kilomètre 101», – et du quasi-agenouillement du général Al-Gammassi –, est encore vivace dans toutes les mémoires, en raison des terribles humiliations infligées aux troupes égyptiennes prises au piège et qui seront, de fait, ressenties par tous les peuples arabes. La reddition totale et définitive de l'Egypte sera, comme chacun sait, parachevée et consommée jusqu'à la dernière cuillère, à Camp David, en 1979. En conséquence de quoi, elle avait été aussitôt contrainte par son arrogant et implacable vainqueur israélien, à des conditions insupportables d'humiliation – rappelant en pire encore celles du Traité de Versailles –, entre autres l'obligation de renoncer jusqu'à son mythique hymne national intitulé «Wallah zaman ya silahi», qui enflammait le cœur de tout arabe où qu'il fût, au Machrek comme au Maghreb, jugé trop «belliqueux», pour le remplacer par un autre hymne, l'actuel, évoquant davantage les lascives contorsions de la danse du ventre qu'une quelconque velléité guerrière. Trente années se sont écoulées depuis lors et l'Egypte n'est toujours pas autorisée, – elle ne le sera sans doute jamais plus, (le voudra-t-elle, seulement) – à déployer plus de cinq cent policiers dans toute la province du Sinaï, son propre territoire ! Quant à y approcher ou y faire stationner le moindre char de combat ou canon d'artillerie, – fussent-ils comme pièces de musée –, sans l'autorisation préalable expresse d'Israël, cela serait tout à fait impensable et relèverait du casus belli. En 1963, à l'issue de sa première visite officielle faite à l'Algérie indépendante, le président Nasser avait dit à un Ben Bella en pâmoison : «Al Gazaïr ghaniya guidden, guidden. Tekfina wa tekfikoum» ! Et de fait, notre pays prit aussitôt sur lui d'absorber une bonne partie du Lumpenproletariat égyptien, puisque, comme on s'en rendra compte malheureusement bien trop tard, tout ce que ce pays comptait d'«opposants» cachés ou déclarés comme tels, de cordonniers, de menuisiers au chômage, de bouwabine déchus, d'ex-chauffeurs de taxi sans taxis et autres SDF miséreux, nous fut expédié ici pour être aussitôt injecté, tel un germe virulent, dans le corps enseignant du secondaire. Faute de niveau requis vérifiable, le supérieur en réchappera fort heureusement. En plus de leur incompétence avérée, c'était surtout leur insupportable arrogance et leurs misérables petites mesquineries qui les rendaient odieux aux yeux des populations locales, où qu'ils fussent dans le pays. Certains d'entre eux, les plus «éclairés», s'étaient mis d'emblée à professer l'idéologie obscurantiste de «leurs» frères musulmans, tandis que dans les années 80, du haut de notre propre chaîne de télévision nationale, l'imam fondamentaliste Al-Ghazali semait, par ses prêches radicaux intégristes, de surcroît grassement rémunérés, les germes du terrorisme à venir et la haine dans le cœur des Algériens, déclarant Kateb Yacine apostat et lui déniant, au moment de sa mort en 1989, le droit même d'être inhumé en terre algérienne, sa propre mère-patrie ! C'est dire là toute l'étendue d'une «liberté» étrangement permissive, – poussée bien au-delà de la simple bienveillance –, qui leur était conférée pour accomplir en toute quiétude leur œuvre destructrice de subversion et d'endoctrinement religieux le plus rétrograde, et, subséquemment, leur immense part de responsabilité dans les causes de la survenance des décennies cataclysmiques dites «noire» puis «rouge» successives. Est-ce d'ailleurs, un simple hasard si les jeunes algériens, qui rejoindront les maquis par fournées entières, quelques années plus tard seulement et retourneront leurs armes et leurs coutelas contre leurs propres concitoyens, appartiennent justement à cette génération qu'ils ont tant œuvré à «islamiser» et à «remettre» dans le chemin de Dieu ?! Au demeurant, les Algériens, dont la foi légendaire en leur Dieu avait peu avant encore ébranlé, voire déplacé des montagnes dans un combat héroïque titanesque, en son nom, contre l'une des formes de colonialisme la plus barbare que l'histoire ait connue, portant le fer et le feu jusqu'au cœur même du pays de l'ennemi, ces Algériens, donc, avaient-ils encore besoin d'imams-bonimenteurs orientaux, égyptiens, fussent-ils, pour leur apprendre l'islam de leur religion plusieurs fois séculaire ? (A suivre)