Pour preuve de son assertion, il signale que son huilerie n'a pratiquement plus de graines à moudre depuis le début du mois de janvier, un mois à peine après avoir entamé l'opération de trituration, qui durait auparavant jusqu'au mois de mars «et en y travaillant jour et nuit», précise-t-il. «Autrement, vous auriez trouvé devant l'huilerie des tas de sacs d'olives à presser suivant l'ordre d'arrivée. Et en période de bonne récolte, comme celle de l'année dernière, le propriétaire peut attendre 15 jours avant de voir son tour arriver», affirme-t-il en montrant un vaste enclos réservé à l'entreposage des olives, désespérément vide. Seuls subsistent encore des restes d'un liquide noirâtre et visqueux qui a coulé des sacs entreposés là avant le pressurage ainsi qu'un petit tas de grignons, témoin d'une récente trituration. La quantité d'olives pressurée dans son moulin jusqu'à janvier équivaut à 20 % à peine de celle de l'année écoulée, affirme l'oléiculteur. Vantant, par ailleurs, la qualité de son huile, dont la production destinée à la vente est stockée dans un grand récipient en acier inoxydable bien brillant pour mieux appâter le client, il invite ce dernier à y goûter en lui tendant un pain tout frais et croustillant, comme il est de coutume dans les anciens pressoirs. L'homme s'empresse alors de le tremper par petits morceaux dans une assiette remplie d'une huile aux reflets jaunâtres, présageant déjà d'un produit de moindre qualité par rapport à la norme. Attention au taux d'acidité ! En dépit de fortes senteurs de feuilles d'oliviers écrasées, signe de fraîcheur, le client ne manqua pas, en parfait connaisseur, de faire remarquer au transformateur que son huile est légèrement acide. Ce qu'admet l'oléiculteur qui fait même observer que certaines huiles -- pas les siennes ! -- comportent un taux d'acidité tel qu'elles devraient être interdites à la consommation. Comment peut-il en être autrement lorsque les conditions de production d'une bonne huile ne sont pas réunies ?, s'exclame-t-il, en soulignant que du début de la récolte des olives jusqu'à leur trituration, toutes les conditions sont au contraire réunies pour l'obtention d'une huile acide. Il explique, à cet effet, que les oléiculteurs doivent récolter leurs olives lorsqu'elles commencent à prendre une couleur violacée mais ne le font, en réalité, que lorsqu'elles auront atteint leur pleine maturité. Même celles tombées au sol, et qui sont forcément souillées de terre, sont mises dans le même sac en plastique entreposé des jours durant, généralement jusqu'à la fin de la récolte, pour, ensuite, acheminer le tout au pressoir, dénonce-t-il encore. Sur place, il peut se passer également plusieurs autres jours avant que la récolte ne passe effectivement au pressoir. Et pendant tout ce temps, les olives auront d'évidence tourné, fermenté et moisi. «De ce fait, on ne peut obtenir qu'une huile plus ou moins acide, en fonction du temps que les olives auront passé dans les sacs avant d'être triturées», insiste-t-il. Quelque peu indisposé par la relative acidité du produit, le client l'est davantage par les prix que fixent unilatéralement les producteurs et les transformateurs. «Un tel prix pour une qualité aussi douteuse est vraiment exagéré», souligne simplement un acheteur de passage. Méthodes de production désuètes «S'il est vrai que la rareté fait monter les cours sur le marché, il est surtout vrai que c'est la qualité du produit et les investissements consentis pour l'obtenir qui justifieraient toute augmentation des prix», explique-t-il, tout en se désolant que rien n'ait été fait dans la filière pour que les oléiculteurs se permettent de revendiquer une augmentation exponentielle du prix de l'huile d'olive qui est passé de 150 DA par litre dans les années 1990 à 500 DA actuellement. Selon ce connaisseur, on continue, en effet, d'utiliser les mêmes méthodes de récolte et de conservation et les mêmes techniques culturales que celles utilisées depuis des générations. Et pour prouver encore que l'augmentation n'est pas le fait de la rareté du produit, il rappelle que la bonne récolte de l'année dernière n'avait pas donné lieu forcément à une diminution équivalente des prix. C'est l'occasion pour lui de faire savoir que le marché est, précisément, garni de stocks d'huile non écoulés l'année passée. Et de se décider, de guerre lasse, à acheter une vingtaine de litres d'huile soit beaucoup moins que d'habitude. Puis, en quittant enfin l'huilerie, il se demanda quel sera le prix de l'huile d'olive demain lorsque les oliviers, encore plus atteints par le vieillissement, ne produiront presque plus rien. C'est que le mal, qui est autrement plus pernicieux que le Daccus ou les conditions climatiques, arguments avancés cette année pour expliquer les baisses de rendement, est déjà perceptible dans certaines oliveraies situées à l'est de Bouira : les nombreuses tailles de régénération opérées sur les arbres centenaires ne font apparemment plus stopper leur vieillissement ni, d'ailleurs, leur déracinement largement entamé...