L'écrivaine se fait ainsi la pionnière dans une écriture spécialisée jusque-là réservée à des hommes dans les pays à fortes traditions qui, durant des siècles, ont fait de la femme un être confiné au silence. Même dans les recueils de littérature populaire, la femme est une grande absente en vertu des tabous séculaires qui l'ont condamnée à l'infériorité. L'émancipation dont jouit l'élément féminin n'a pas été un cadeau de la société ; bien au contraire, elle a été acquise de haute lutte par la femme lutteuse qui s'est hissée, pendant les pires années de guerre, parmi les artisans de la liberté par l'indépendance. Mais, même libérée de tous les carcans de la soumission, la femme de lettres reste obsédée, cette image réductrice qu'on s'est toujours fait d'elle, au point de se sentir obligée d'éditer sous des pseudonymes. Cette liberté passe avant tout par la parole, pour conjurer le silence dit Assia Debay avant d'ajouter : «Je ne vois pour les femmes arabes qu'un seul moyen de tout débloquer : parler, parler sans cesse d'hier et d'aujourd'hui, parler entre nous, dans les gynécées, regarder des murs et des prisons ! La femme regard et la femme voix.» Pour d'autres, la naissance du je n'a pas été un acte facile, c'est la plupart d'entre elles qui noient leur «je» dans un ensemble de locutrices qui prennent : une manière d'éviter une focalisation des regards sur l'auteur femme. L'Amant invisible de Taos Amrouche en est un exemple convaincant. L'écriture fondatrice C'est par ce titre emprunté au 1er chapitre du livre de Nassira Belloula qu'on va poursuivre cette analyse. La femme écrivaine a usé d'une écriture fondatrice dans la mesure où c'est elle-même qui a conquis sa place parmi d'autres dans le champs de l'écriture. Assia Djebbar, Djamila Débeche, Taos Amrouche ont marqué le paysage littéraire, contre vents et marées. Elles ont su imposer leur différence, dans les années quarante et cinquante, parmi des écrivains coloniaux de la trempe de Fromentin, Bertrand, Camus, et des écrivains algériens de la première génération qui ont eu du mal à se faire accepter, comme Mammeri, Dib, Féraoun. Les femmes d'écriture, pionnières d'une littérature féminine ont élevé leur voix pour dire leur ras-le-bol du monopole de la parole et de la double domination par la colonisation et les traditions ancestrales, leur soi d'émancipation. Une dizaine de noms de femmes écrivaines qui ont arraché leur place au soleil, à la faveur de leurs talents, est venue comme une bouffée d'oxygène apportée à leurs semblables qui n'avaient pas fini d'étouffer par le silence imposé. Parmi les figures de proue, citons Djabila Débeche par ses romans à fortes connotations Leïla jeune fille d'Algérie», Aziza, Assia Djebbar par son roman la Soif. L'auteure de ce livre parle de soixante ans d'écriture féminine algérienne, après être remontée aux origines de l'écriture des Algériens, en passant par le XIXe siècle avec Elisa Rhaïs. Aussi, Nassira n'exclut personne de cette mosaïque d'auteurs d'origines diverses. Dans l'ombre chaude de l'Islam, Isabelle Eberhart recouvre toute la place à laquelle elle adroit, elle qui avait parcouru même les zones désertiques en quête d'inspiration, à ses risques et périls. Elle a trouvé la mort dans les crues d'un oued recrée sous un orage inattendu, à Aïn Sefra. Un «je» constataire et contesté : Telle est l'évocation d'un tableau peu reluisant de l'itinéraires des femmes écrivaines qui peignent avec ardeur dans un contexte social culturel où il leur a été difficile de respirer librement ou de dire toute leur intériorité par un «je», que les forces de la régression ont condamné au nom des interdits séculaires. Malika Mokeddem qu'on a dit ici de plus en plus inspirée par le présent de l'Algérie, a écrit l'Interdite qui signifie que rien en pourrait désormais arrêter l'évolution même des récits à fortes connotations autobiographiques. Nina Bouraoui, qui s'est fait une renommée de femme ayant du cran, se dit victime de malentendus par faute d'interprétation objective de ses romans, elle aussi, ne s'arrêtera en chemin, malgré l'appréhension de ce «je» narratif qui prête à confusion. Dans cet ensemble grâce au travail bien fouiné de Nassira Belloula, il y fa ceux qui suscitent des interrogations comme celui de Karima Berger dont on a évoqué une paternité douteuse. En somme, le livre que nous avons sous le titre De la pensée vers le papier est extrêmement riche par sa diversité de thèmes : résistance, plurielle, délivrance, conceptrice, ne se lit pas à la manière d'un roman. Il faut l'avoir sur soi pour se retrouver en cas de problème dans l'étude de la littérature. C'est un outil de travail destiné aux étudiants et aux chercheurs qui veulent affiner leurs connaissances et ce, d'autant plus qu'il est assez bien écrit. Boumediene Abed Nassima Belloula : De la pensée vers le papier, soixante ans d'écriture féminine, 189 pages, 2009 ed. Enag.