L'éminent philosophe Ali Harb aime à répéter cette boutade : «Les régimes et élites du monde arabe,en général, prônent souvent la démocratie et les droits de l'homme mais pataugent sans cesse dans la dictature .» Ils aspirent à la justice mais c'est plutôt l'injustice et la corruption qui se propagent de façon angoissante ; ils clament haut la liberté et la dignité des citoyens et dans les faits c'est toujours la censure et le mépris autarciques cloisonnant les esprits infantilisés. Ils ne s'arrêtent pas un instant de broder leurs discours de projets d'espoirs grandiloquents pour aboutir, au bout du compte, à de regrettables situations de désespérance et désolation en face desquelles ils n'ont même pas le courage de présenter de façon honorable leurs démissions. Bref, pour le dire d'une manière crue, alors que de par le globe les sociétés évoluent et se démocratisent progressivement et sûrement, dans le monde arabe, et en Algérie tout particulièrement, les pouvoirs centraux redoublent de férocité, pour reprendre l'expression de feu Kateb Yacine. Et ce, au moment où l'on s'attendait légitimement à une certaine évolution souple des choses, au détour des nouvelles perspectives annoncées auparavant à grands fracas, promettant notamment d'impulser sérieusement le processus national de démocratisation et de décentralisation à différents niveaux de la vie active nationale, politiques, économiques, culturels, médiatiques, éducatifs, socio-environnementaux, jusqu'aux collectivités reculées de l'Algérie profonde … Mais en vain ! C'est à croire que ceux qui handicapent le sain développement de l'Algérie feignent d'ignorer que ce sont justement les exacerbations de ces multiples contradictions sociales qui avaient auparavant grandement favorisé les graves dérives nationales (émeutes généralisées, conflits communautaires, terrorisme sanguinaire, dilapidation des deniers publics…) qu'a connues le pays. Ces dernières sont, en effet, - qui en disconviendra?- la résultante directe des complexes contradictions sociales minées par,entre autres, l'abus d'autoritarismes démesurés à différentes échelles du pouvoir, de son sommet à sa base, l'oppression (hogra) et les restrictions arbitraires des libertés, la corruption et passe–droits divers, les agissements souterrains des trafics de la mafia politico- financière soutenue par des complicités des sphères apparatchiks parmi les barons de l'arrivisme et enrichissement illégal, etc. Et ce, parallèlement à l'appauvrissement croissant, au chômage des couches populaires et le laminage progressif de la classe moyenne, etc. Toute une série de calamités et de misères nationales découlant des contradictions du système du diktat de la pensée unilatérale et de l'exclusion, qui dans le passé récent, - on semble l'oublier- ont été les ferments et braises ardentes de la contestation populaire généralisée à travers l'Algérie entière (octobre 1988). Et malheureusement, le processus de démocratisation enclenché, à la suite de ces historiques événements, au lieu d'être sagement poursuivi comme cela était le cas dans les contrées qui avaient connu une situation presque similaire, a été court-circuité en Algérie et, malheureusement, détourné de ses objectifs par des apprentis sorciers irresponsables qui ont conduit le pays à l'impasse et au cauchemar terroriste. La doxa de ce dernier ayant vite fait, en l'absence de garde-fous et repères identitaires nationaux solides d'une politique culturelle et éducative conséquente (ni activités programmées familiarisant avec les repères historiques nationaux,tels que les vestiges millénaires en pleine nature ou dans les musées, les hauts lieux d'histoire amazighe et de civilisation culturelle et spirituelle maghrébo-arabo–andaloue musulmane. Nos grands personnages historiques, tels que Massinissa, Jugurtha, le savant Ahmed El-Maqari, l'Emir Abdelkader, les poètes Mohamed Belkheir et Si M'Hand U M'hand, Fatma N'Soumer, Larbi Ben M'Hidi, Hassiba Benbouali, Ahmed Reda Houhou, Kateb Yacine, etc. Il n' y a eu rien de cela, et encore moins la mise en place, mille fois recommandée, d' infrastructures industrielles appropriées du livre, du cinéma , du théâtre, et entre autres l'encouragement des assemblées – débats, carrefours de la jeunesse, rencontres inter-villes via radio-tv favorisant l'ouverture sur l'universel, notamment, autant d'initiatives se présentant comme éléments garants ou antidote efficace contre l'enfermement sur soi, les replis identitaires nocifs, susceptibles d'armer les esprits jeunes contre toute sort d'endoctrinement pervers. Situation regrettable qui les prend inéluctablement à la gorge, lorsqu' ils se trouvent totalement livrés à leur sort, ainsi prédisposés, de cette façon, par leurs sérieuses carences culturelles et éducatives, aux idéologies falsificatrices et dénégatrices de toutes sortes. Et c'est au départ, ce défaut fondamental, qui a incontestablement favorisé l'endoctrinement massif des jeunes qui ont pu être facilement éloignés de l'actualité évolutive de l'Algérie contemporaine, du monde moderne et exigences universelles, en général, en ce sens, qu'ils ont été mystifiés par l'idéologie extrémisme religieuse d'un autre âge qui les a totalement submergés. Cette doxa, sans rapport aucun avec l'averroïsme éclairé du rationalisme musulman et ses implications modernes, s'étant substituée à la fragile rationalité acquise de ces infortunés jeunes au point qu'ils en sont arrivés à fabuler sur tout, donnant l'impression de vivre dans un temps autre que celui de leurs concitoyens musulmans pacifistes Algériens… qui ont été alors désignés par leurs criminels faux foqaha comme «apostats» : eux leurs frères croyants d'un même people musulman… mais que la bêtise humaine, en l'absence de lanternes culturelles éclairantes,principalement en matière de tolérance en Islam et envers les autres, a vite fait de transformer les groupes d'obnubilés en véritables bêtes immondes, répandant partout meurtres et désolations. Au nom de l'Islam qui n'a absolument rien à voir avec ces pratiques ignobles attendant aux vies sacrées des personnes, ne recommande-t-il pas expressément : «Si vous tuez une seule personne c'est comme si vous tuez l'humanité toute entière.», et «Si vous sauvez une seule personne c'est comme si vous sauvez toute l'humanité.», et recommandation coranique importante : «Ne combattez que ceux qui vous ont sortis de vos foyers, n'oppressez point, Dieu n'aime pas les oppresseurs.», le Saint Livre évoquant, par ailleurs, l'indispensable observation de l'esprit de tolérance : «Nous avons donné à chacun d'entre vous une Loi et une Règle. Si Dieu l'avait voulu, Il aurait fait une seule communauté. Mais Il a voulu vous éprouver par le don qu'Il vous a fait. Cherchez à vous surpasser les uns les autres dans les bonnes actions. Votre retour tous se fera vers Dieu. Il vous éclairera alors au sujet de vos différences.» (Coran, sourate V, verset 481). Et s'adressant à l'humanité prônant la coexistence pacifiste entre les diverses populations du monde : «Nous avons fait de vous des tribus et des peuplades afin que vous vous connaissiez et sachiez que les plus dignes d'entre vous auprès de Dieu ce sont les plus pieux.» Espoir déçu des projets grandioses des années soixante-dix Malheureusement, comme indiqué ci-dessus, en l'absence de garde-fous prévenants (culturels et éducatifs,surtout), on en est fatalement arrivé à la désolante situation critique du terrorisme et déliquescence des valeurs patriotiques ,du civisme, du respect des droits du voisin et de celui sacré de sa vie, liberté et dignité personnelles, soit une situation totalement confuse où tous les coups interdits et scandaleux des assassinats, viols, saccagements et vols de biens publics et privés, trafics en tous genres, écrasements des droits et des lois jusqu'à l'insulte indigne des valeureux martyrs de la Révolution, alors qu'auparavant, à l'issue de la longue nuit coloniale, les ambitieux projets de développement du pays, entrepris sur tous les plans, laissaient espérer l'aboutissement à une société de justice sociale, de progrès général, de confraternité et de bienfaits pour tous les enfants d'Algérie ? Tel, par exemple, ce fameux projet très médiatisé à son époque de l'industrie industrialisante qui s'était résolument assigné la modernisation de l'Algérie mais dont le processus enclenché, au lieu d'aboutir à cette société développée attendue, et soi-disant progressiste et socialiste semeuse de justice sociale et porteuse des vœux de toute une génération des années soixante et soixante-dix du siècle écoulé, a abouti, contre toute attente, quelques deux décennies plus tard, à une crise majeure ,généralisée sur tous les plans. (A suivre) Mohamed Ghriss