Le FNI a organisé plusieurs campagnes de pression — voire de menaces directes — et/ou de protestation contre des parlementaires et autres opposants hostiles à son action : manifestations autour du siège de l'Assemblée constituante ; menace contre un député particulièrement hostile aux nouvelles lois pénales, de faire, le premier, l'expérience des châtiments qu'elles prescrivent contre les «comploteurs» ; déclaration d'un dirigeant du FNI relative à ses milices armées, «dont il vaut mieux éviter l'intervention» ; publication, dans la presse islamiste, de «listes d'honneur» sur lesquelles figurent les sympathisants du FNI, et de blâmes contre ses opposants, considérés comme ennemis de l'islam, avec ce que cette désignation suppose comme risques de châtiments ; menaces adressées à des étudiants manifestant leur opposition au projet de nouvelles lois pénales (de la charia) d'avoir à se repentir publiquement... Pendant tout le temps qu'a duré le débat autour de ce projet, les membres du FNI n'ont soulevé publiquement aucune question précise d'ordre moral, jurisprudentiel ou religieux relativement à ce sujet, ce qui ne pouvait que les priver de l'appui de certaines catégories «influentes» de la population : intellectuels, juristes... Ils ont gardé un silence total sur la question du statut de la femme (port du voile, mixité à l'université). Même silence sur ce qui les oppose depuis les années 1960 aux confréries, aux partisans de la sunna, voire aux Frères musulmans qui revendiquent l'identité propre de leur mouvement. Ces divergences n'ont été évoquées que dans des réunions internes. Sur le plan de la tactique politique, le FNI tente souvent de diviser les groupements qu'il ne contrôle pas ou qui lui sont clairement opposés. Une grande partie des syndicats d'ouvriers, d'employés et de professions libérales échappent totalement à son influence. L'Union générale des ouvriers du Soudan jouit d'une grande indépendance vis-à-vis des partis, quelle que soit leur orientation, alors que les syndicats des avocats, médecins, ingénieurs et professeurs de l'Université de Khartoum sont considérés comme globalement de gauche au sens large. Or, on a vu apparaître au sein de — puis contre — ces syndicats, légalement reconnus et dont les instances sont élues démocratiquement, des tendances qui se constituent en associations parallèles et rivales et qui se disent patriotes : on a ainsi un Syndicat des avocats patriotes, une Association des médecins patriotes, un Regroupement syndical national..., dont le rôle est de laminer les rangs des syndicats reconnus au cas où ils s'opposeraient aux législations dites, par le FNI, islamiques, ou à l'orientation dudit parti ou du gouvernement. Toutefois, ces nouvelles formations restent très fragiles et n'ont pu s'opposer aux mouvements émanant des syndicats reconnus quant à la protection des libertés syndicales. Lors de la grève des médecins de février 1989, par exemple, l'Association des médecins patriotes a publié un communiqué dans lequel elle exprimait son soutien aux revendications des médecins, mais a condamné la grève, qui avait pourtant été suivie à 100 % dès son déclenchement. Sur le plan extérieur, le FNI tente d'entrer en relation avec des milieux qui, traditionnellement, n'étaient liés à aucun groupe ou parti ; il cherche, par ce biais, à consolider sa position intérieure et à contrer l'hostilité dont il est l'objet de la part de nombreux gouvernements de pays arabes et islamiques. Ainsi a-t-il pris contact avec le pouvoir pakistanais peu de temps avant la mort de Zia UI-Haqq, qui cherchait lui aussi à imposer l'application de la charia dans son pays. Les rencontres entre des dirigeants du FNI et des organisations islamiques pakistanaises se sont intensifiées ; on a eu aussi recours à ces dernières lors de l'organisation de conférences de soutien à l'application de la charia organisées au Soudan. Après la mort de Zia Ul-Haqq, les contacts du FNI, entamés plusieurs années auparavant avec des organisations islamistes tunisiennes, se sont multipliés. Le FNI est également entré en relation avec le Parti communiste chinois, allant jusqu'à l'échange de visites cordiales, et avec la Corée du Sud et le Japon. Il est à remarquer qu'aucun lien ne semble exister entre le FNI et des organisations européennes et américaines, bien que l'Europe, la Grande-Bretagne en particulier, et les Etats-Unis aient été les lieux d'élection pour leur formation académique, mais aussi leurs activités commerciales et leurs soins médicaux, de nombreux dirigeants du FNI. Cependant, en dépit de ses assises idéologiques et institutionnelles et malgré les stratégies déployées, le FNI rencontre une vive résistance parmi diverses catégories sociales, et cela pour de nombreuses raisons. Les oppositions au Front national islamique Opposition tacite ou désaveu, d'une part, lorsque ces catégories se mobilisent pour protester ou revendiquer sur des thèmes qui ne rejoignent pas, voire contredisent ceux du FNI. En 1988, alors que les débats s'étaient à nouveau engagés sur la question des nouvelles lois pénales islamiques, en quelques mois, plus de vingt grèves d'ouvriers, d'employés et de cadres ont éclaté en protestation contre la détérioration de leurs conditions de vie, grèves au cours desquelles des slogans anti-FNI furent largement repris. En juillet 1988, dans un communiqué commun rédigé par 22 syndicats (ceux des agriculteurs, des professeurs de l'Université de Khartoum, des employés de banques, de l'eau et de l'électricité, etc.) et lors d'une réunion de la Coordination des syndicats, le rejet des directives du FNI a été unanimement proclamé. D'autre part, le Syndicat des avocats et l'Association des droits de l'homme ont organisé des rencontres, des conférences et des meetings où l'on expliquait les problèmes constitutionnels que ne manquerait pas de faire apparaître la législation proposée par le FNI ainsi que les conséquences qu'elle aurait sur l'unité du Soudan. Intervenant essentiellement par le bais d'articles de presse, puis par des contacts pris à l'étranger visant à déclencher des pressions internationales sur le Soudan, le Conseil soudanais des églises a joué un rôle important pour montrer comment les projets de loi touchant aux croyances religieuses pouvaient semer la division parmi les citoyens En décembre 1988, la réduction du niveau de vie consécutive à la montée considérable des prix des denrées de première nécessité a poussé nombre de Soudanais à participer à d'importantes manifestations, prenant d'assaut, à Khartoum, le siège du Conseil des ministres et, dans les provinces, manquant de tourner à la désobéissance civile si le gouvernement n'était pas revenu sur certaines mesures d'augmentation des prix. Bien que dirigées d'abord contre le gouvernement de l'époque, il est clair que de telles actions collectives constituaient un désaveu implicite des mots d'ordre du Front proclamant «L'islam avant le pain ! » ou « Vite, la charia ou nous mourrons !», passant outre la situation de grave pénurie que connaissait le pays. Or, c'était bien pour tenter d'assurer leur pain et celui de leurs enfants que des millions de Soudanais ont descendu dans la rue ; bien plus, des partisans et sympathisants du FNI défilaient avec eux. Maints écrivains et journalistes musulmans soudanais ont écrit sur les aspects contradictoires de l'idéologie du FNI. D'après certains, la loi pénale impliquait nécessairement l'existence d'une Constitution islamique préalable, d'un régime islamique dirigé par un imam légitime, mais aussi d'un Etat qui assurerait à la population le minimum de subsistance avant de veiller au respect des préceptes divins. D'autres ont insisté sur le fait qu'avant d'être châtiment, l'islam est d'abord pédagogie. D'autres encore ont souligné la contradiction existant dans le fait de revendiquer l'application de la charia au moyen d'institutions non islamiques. (A suivre)