En effet, cette première matière -- le caoutchouc -- est utilisé et à de multiples usages partout dans le monde. On le trouve, ainsi, dans le bâtiment, dans l'aéronautique, pour la confection de vêtements, dans l'automobile etc. Un produit très demandé Légèrement supérieure à 21 millions de tonnes par an, la production mondiale de caoutchouc ne suffit plus, aujourd'hui, à couvrir la demande sans cesse croissante, notamment celle en provenance des nouveaux pays émergents telle que l'Inde, la Chine, la Corée, l'Afrique du Sud, le Brésil... L'augmentation de la production chinoise de pneumatiques a, ainsi, pu entraîner de fortes tensions sur le marché du caoutchouc, qu'il soit naturel ou synthétique. La conséquence est là : les cours ne cessent d'augmenter de jour en jour. Bien sûr, une telle évolution n'aurait sans doute pas déplu à son inventeur, Charles Goodyear (111-111), lui dont l'invention majeure -- la vulcanisation -- a donné le véritable coup d'envoi à l'industrie du caoutchouc de par le monde. Les débuts difficiles d'un inventeur Un jour de l'hiver de l'année 1839, Charles Goodyear était venu au magasin général de la ville où il vivait (au Connecticut) pour présenter de la gomme mélangée à du soufre. Comme d'habitude, l'ancien quincaillier, déjà emprisonné pour dettes, n'a essuyé que des sarcasmes de la part des commerçants locaux. Depuis le temps qu'il cherchait une formule visant à stabiliser le caoutchouc, cet homme – qui deviendra célèbre --est une légende. Faire en sorte que le caoutchouc résiste aux variations brutales de température. A ce projet un peu fou, à cette quête quasi mystique, Charles Goodyear s'est, en effet, voué corps et âme, y consacrant toute son énergie en y sacrifiant ses forces et ses -- très maigres -- ressources. Mais toutes les expériences qu'il avait menées jusque-là ont échoué, le rapprochant chaque jour un peu plus de la déchéance. Les épreuves, ce fervent croyant qu'est Goodyear les a toujours accueillies calmement, remettant sans cesse l'ouvrage sur le métier, convaincu que Dieu, tôt ou tard, lui indiquerait le chemin. Une invention «miraculeuse» Mais, en ce jour de 1839, sa patience était à bout. Alors que, réunis autour du poêle, les notables de Woburn se moquaient effrontément de sa nouvelle tentative, il craque et jette en l'air, excédé, la poignée de gomme collante qu'il avait amenée avec lui. C'est alors que se produisit le miracle tant attendu. Comme si Dieu avait guidé sa trajectoire, la gomme retomba en plein sur le poêle brûlant. Lorsque Charles Goodyear, empli de confusion, chercha à la décoller, il constata qu'au lieu de fondre comme de la vulgaire mélasse, elle avait pris la consistance d'un cuir brûlé, et qu'autour de cette curieuse matière une sorte de ceinture brune et élastique, et de surcroît parfaitement étanche, s'était instantanément formée. Sans le vouloir, Charles Goodyear venait d'inventer la vulcanisation du caoutchouc. Ce procédé qui est encore aujourd'hui à la base de presque toutes les applications industrielles du caoutchouc. · Le latex de l'Amérique du Sud Depuis que les premiers conquistadores espagnols avaient ramené d'Amérique du Sud un peu de cet étonnant liquide blanc laiteux -- le latex --, il n'avait cessé de faire fantasmer le monde occidental. Les Espagnols, les premiers, avaient tenté de reproduire les articles résistant à l'eau que les Amérindiens confectionnaient déjà depuis des siècles. En vain. Devenu une curiosité de musée, le latex était, alors, tombé complètement dans l'oubli. Jusqu'à ce qu'un Français, Charles de la Condamine, parti explorer l'Amérique du Sud, rapporta en 1736 plusieurs rouleaux de caoutchouc brut, assortis d'une description détaillée des produits fabriqués par les peuples d'Amazonie. L'Europe des Lumières s'était, alors, à nouveau intéressée au latex et à ses nombreuses propriétés. Ainsi, en 1770, le chimiste anglais Joseph Priestley avait découvert que le caoutchouc pouvait effacer des marques d'encre par frottement. Vingt ans plus tard, un industriel britannique, Samuel Peal, brevetait une méthode d'imperméabilisation des tissus en mélangeant du caoutchouc avec de la térébenthine. En 1823, la première fabrique de vêtements en caoutchouc était ouverte par Charles Macintosh à Glasgow. Au début du XIXe siècle, les articles caoutchoutés bénéficient d'un véritable engouement dans tout le Vieux Continent... Une vie laborieuse mais ardue Lorsque Charles Macintosh ouvrit sa petite usine en Ecosse, Charles Goodyear était à mille lieues de se préoccuper d'une matière dont il n'avait même sans doute jamais entendu parler. Né en 1800, il avait travaillé dès l'âge de quatorze ans dans une quincaillerie de Philadelphie avant de rejoindre, vers 1818-1819, l'importante manufacture de boutons d'ivoire que son père -- un ancien fermier -- avait fondée à Naugatuck, dans le Connecticut. En 1824 -- l'année de son mariage avec Clarissa Beecher --, il décida de voler de ses propres ailes. A Philadelphie, où le couple avait élu domicile, il ouvrit un magasin de quincaillerie. L'affaire était prospère jusqu'à ce que la crise de 1828-1829 l'accule à la faillite. Emprisonné quelques mois pour dettes, Charles Goodyear commença sa longue descente aux enfers. C'était en 1832, alors qu'il se débattait toujours avec ses créanciers et qu'il cherchait un moyen de subvenir aux besoins de sa femme et de leurs six premiers enfants -- le couple en aura douze au total ! -- qu'il se passionna pour le caoutchouc. «Il n'y a sans doute aucune autre substance inerte qui attise autant l'esprit», dira-t-il plus tard pour justifier cette passion dévorante. Convaincu que le latex offrait d'innombrables possibilités, il se mit à travailler frénétiquement la gomme, cherchant à inventer de nouveaux produits dont la vente lui permettrait d'éponger ses dettes. Dans le courant de l'été 1834, il mit ainsi au point une valve pour gilet de sauvetage en caoutchouc. Las ! Lorsqu'il vint présenter son invention au directeur de la Roxbury India Rubber Co., le premier fabricant américain de produits en caoutchouc, le marché était au plus mal. La ruée sur le caoutchouc, qui avait commencé à la fin des années 1820, a, en effet, cessé aussi brusquement qu'elle avait commencé. Alors qu'au début des années 1830 encore, tout le monde demandait des articles fabriqués dans cette gomme imperméable venue d'Amérique du Sud -- surtout du Brésil --, les clients avaient fini par se lasser de cette matière malcommode qui devenait aussi molle que de la glu en été et dure comme du bois en hiver. Des nombreuses usines ouvertes, pas une seule n'a survécu, à l'exception de la Roxbury India Rubber Co. Mais celle-ci était au plus mal. Croulant sous les milliers d'articles retournés par ses clients, elle a dû enterrer pour près de 20 000 dollars de stocks avariés. Avec sa valve, Charles Goodyear tombe, donc, au plus mal. (A suivre)