Cette grande ville rurale du Nord, à 14 heures de train de la capitale, est un bastion du mouvement qui s'est achevé – provisoirement ? – dans le sang et les flammes à Bangkok. C'est là qu'est né, voilà 60 ans, l'ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, dont se réclament les «chemises rouges»» et que ses adversaires accusent d'avoir financé la lutte et bloqué les tentatives de règlement négocié. Le gouvernement affirme que l'ex-Premier ministre, déposé par un coup d'Etat en septembre 2006, a tiré les ficelles de la contestation et le soupçonne d'avoir fait passer en contrebande des armes aux combattants à partir du Cambodge voisin. Dans la capitale, le calme a été rétabli mais au prix d'une cinquantaine de morts et de plus de 400 blessés en six jours d'affrontements, de vendredi à mercredi. Depuis le début de la crise politique, en avril, le bilan humain est d'au moins 82 morts et 1 800 blessés. Jamais dans son histoire récente la Thaïlande n'avait été confrontée à une telle explosion de violences. Aujourd'hui, les «Chemises rouges», qui réclament la démission du Premier ministre, Abhisit Vejjajiva, et la tenue d'élections anticipées, semblent ramenés au pas, leurs dirigeants matés et leur réputation en lambeaux. Mais le déploiement militaire qui a fini par les déloger de Bangkok donne au mouvement, qui tire essentiellement sa légitimité des zones rurales et des classes pauvres du pays, de solides raisons de reprendre la lutte. «Beaucoup d'entre nous ont été tués, mais nous ne sommes pas battus», hurle un manifestant dans un mégaphone à la gare de Chiang Mai, s'attirant aussitôt l'approbation sonore de la foule. «Nous n'avons pas perdu, nous engagerons un nouveau combat», reprend-il de plus belle tandis que les partisans scandent le mot «combat». Dans la gare, des familles réunies s'embrassent. La musique coule à flots, des bannières s'agitent. Des affiches brandies dénoncent Abhisit «l'assassin !». Plus loin, des manifestants affirment qu'Abhisit et l'armée ont remporté une bataille, mais pas la guerre. «Nous n'abandonnerons jamais, jamais, jamais»», insiste Dow, 36 ans, qui ne donne que son surnom par crainte de représailles. «Quelqu'un va devoir payer pour ce qui s'est passé. De nouveaux dirigeants émergeront bientôt et nous recommencerons», ajoute-t-elle. La crise thaïlandaise a révélé au grand jour les divisions de la société, ses inégalités entre la scintillante Bangkok et le monde rural. D'après les données de la Banque mondiale, sur 67 millions de Thaïlandais, les 20% les plus riches détiennent 55% de la richesse nationale, les 20% les plus pauvres n'en ont que 4%. Pour Abhisit, qui s'est engagé hier, à mettre en œuvre un plan de réconciliation, la marge de manoeuvre est étroite : ses partisans toléreront mal toute concession aux «chemises rouges» qu'ils assimilent à des émeutiers.