Elles annoncent le printemps, ornent la vie et les demeures et apportent aux occasions festives une touche aux irremplaçables parfums naturels. Elles, ce sont les fleurs, qui ont manqué de disparaître des mœurs des Algériens à l'avantage de leurs pâles copies en matière plastique, avant de revenir en douceur, au bonheur de ceux qui savent ce que «langage des roses» veut dire. A l'approche de la saison estivale et de ses cortèges nuptiaux, la demande sur les fleurs naturelles s'accélère tant il est inconcevable que l'on célèbre une circonstance heureuse en l'absence d'un florilège de bouquets de fleurs, brandis comme des trophées ou des accessoires de mode. Dans un élan de rivalité festive, chacun, en effet, y va de ses goûts et de ses caprices. Entre le Narcisse, le lis, l'œillet ou bien évidemment la rose, le choix est embarrassant et on ne s'en prive pas pour donner un éclat personnalisé à la fête ou bien, dans d'autres circonstances, pour faire plaisir à un être cher en difficulté. Le promeneur dans les rues de la capitale peut constater l'afflux croissant de clients chez les fleuristes, ceux-là mêmes qui rivalisent d'ingéniosité --avec plus ou moins de réussite -- pour présenter la plus belle couronne possible. Farid, propriétaire d'un commerce de fleurs à la Place du 1er mai à Alger, relève avec une certaine pertinence que la préférence des Algérois va, dans l'ensemble, au «bouquet distinctif», celui réservé, par exemple, à la célébration de fiançailles ne devant aucunement ressembler à celui que l'on destine à une visite familiale ou amicale ordinaire. «Le bouquet des fiançailles est généralement composé de Bakra (fleur rouge) en plus des fleurs de lis de couleur rose, alors que les bouquets achetés pour des circonstances de moindre importance, comme les naissances ou les réussites aux examens, ont une composante plus variée et moins recherchée», explique ce jeune fleuriste de 30 ans qui a hérité le métier de son père. Côté décoration, ajoute-t-il, la corbeille des fiançailles est généralement ornée avec des tiges vertes qui donnent une densité à l'emballage et le rendent digne de l'évènement. «L'important c'est la rose, malgré tout» Les fleurs naturelles reprennent, donc, leur place légitime après être pour ainsi dire «passées de mode» pendant un certain temps à cause, pense-t-on, de la peu souhaitable concurrence des fleurs artificielles, les insuffisances des pépinières locales et le coût élevé des fleurs importées. Heureusement, une brusque et forte demande sur les fleurs naturelles a fini par avoir raison de ces facteurs économiques défavorables et redonner à ces dernières la valeur émotionnelle et sentimentale qu'elles dégagent comparées à la froide apparence de leurs semblables en plastique. Réda, propriétaire d'une pépinière de fleurs à Birkhadem, confirme que la demande de roses naturelles a fortement rebondi ces derniers temps malgré leur cherté saisonnière, jusqu'à 100 DA la pièce pendant les mois d'hiver. Les raisons de ce rebond ce fleuriste les attribue, surtout, au retour de la période des fêtes familiales plus tôt que d'habitude, à cause peut-être des contraintes qu'impose le mois de Ramadhan qui tombe cette année en plein mois d'août. Pour lui, la culture florale des Algériens se limite ainsi généralement aux occasions heureuses et doute qu'en Algérie, «on puisse aimer les roses pour les roses». En spécialiste ayant appris, dit-il, la profession en Europe, il tente une explication psychologique, histoire de convaincre de l'importance des fleurs dans la vie de l'homme: les fleurs naturelles auraient une forte influence sur l'humeur, le moral ou la condition physique, qui varierait selon le type de fleurs ou de senteurs. Bien que la culture des fleurs naturelles, même si elle demeure une culture circonstance, semble de nouveau s'enraciner dans la société, le déficit en pépinières restera un obstacle à la production intensive de fleurs et, donc, à la réduction de coûteuses importations, pensent certains fleuristes et producteurs. M. Hamani, ingénieur en agronomie et propriétaire d'une pépinière de fleurs, atteste que la profession de producteur de fleurs souffre encore de nombreux écueils qui empêchent son développement, y compris les facteurs climatiques défavorables et les maladies qui touchent les plantes, ce qui entraînerait des «pertes importantes». Il résume les difficultés aux problèmes de financement, à l'insuffisance ou la cherté des serres en verre ou en matière plastique, au coût des engrais et des pesticides ou encore au manque de main d'úuvre qualifiée, ce qui poussent les producteurs à importer des fleurs d'Asie, d'Espagne, des Pays-Bas ou encore du Maroc voisin. Du haut de ses 27 ans d'expérience dans le domaine de la production de fleurs et d'une multitude de certificats de formation obtenus aux Pays-Bas et en France, M. Hamani craint une «extinction de la profession» surtout, dit-il, si on ajoute aux problèmes de gestion courante le manque de centres de formation dans ce domaine, la plupart des fleuristes se contentant d'hériter le métier de leurs parents sans base scientifique réelle. Ceci se reflète dans la manière, pas toujours réussie, de confectionner les bouquets, dont la forme obéit elle aussi à un phénomène de mode, selon différents interlocuteurs. Pour l'heure, ce sont «le panier» ou «le nid» qui feraient fureur mais la façon de les préparer -- à l'instar d'ailleurs d'autres modes de présentation-- ne répondrait à aucune norme précise, de l'aveu des fleuristes eux-mêmes, lesquels, le plus souvent, «ne dépassent pas le stade du bricolage et de l'improvisation ratée», se désole une cliente assidue. Beaucoup de clients, las et déçus de la qualité de l'emballage ou de la présentation, préfèrent confectionner eux-mêmes leur bouquet à la maison, avoue un fleuriste pourtant assez expérimenté. Le mot de la fin reviendra à cette dame d'âge mûr qui en a vu d'autres durant sa longue existence: «Même si l'emballage laisse souvent à désirer et que les fleuristes souffrent des mêmes tares que d'autres activités, il nous restera toujours la beauté des fleurs, ce don de Dieu fait à Ses créatures comme une oasis de confort psychologique et un langage merveilleux commun à toute l'humanité».