«Les masques sont définitivement tombés et la nature de l'Etat d'Israël à l'ère de la révolution informationnelle et de l'Internet, éclairée par ses logiques de prédation, de dépeçage de ses voisins et de barbarie militaire, apparaît telle qu'elle a toujours été : un Etat incarné par la violence coloniale et la culture de la supériorité raciale, du mépris et de la négation des autres.» C'est à juste titre que les consciences libres dans le monde expriment et crient leur indignation, leur colère et leur rage contre l'agression, contre la guerre à bout portant faite au Liban par «l'Etat juif d'Israël», ainsi que ce pays aime à être nommé comme pour mieux insister sur son caractère d'Etat théocratique «le plus démocratique de la région». Non, je n'oublie pas le soutien à la vie à la mort, dans cette forfaiture, de celui qui mène «la guerre la plus humaine de l'histoire» (1), je veux parler de son parrain de l'US Connections. Mais ces réactions légitimes et dignes doivent éviter le piège de l'étonnement et du questionnement devant les méthodes utilisées par cet Etat hooligan du genre «comment peuvent-ils avec autant de sang-froid tuer femmes, enfants, vieillards» ou encore « Israël tourne le dos à la légalité et à la morale». Mais il est un autre piège encore plus grossier. Celui des discours empruntés qui font mine de découvrir ou de relever «la réaction disproportionnée» ou encore l'asymétrie, la «disproportionnalité» (2) de cette armée, qu'un philosophe fast-thinker, qui pense plus vite que son ombre, en l'occurrence Bernard-Henri Lévy, a eu l'impudence récemment, dans un journal du soir, de comparer à celle des glorieux combattants antifranquistes. Quel crachat pour les antifascistes, alors que cette armée de soudards, qui débauche des adolescents surarmés «pour imposer la terreur aux populations des villes et des villages arabes», a été dirigée et fondée par Mena Hem Begin, qu'Albert Einstein et Hannah Arendt avaient qualifié de fasciste en 1948 dans une pétition publiée par le New York Times, lors d'un voyage aux Etats-Unis de celui qui était responsable d'«un parti qui prône ouvertement la doctrine de l'Etat fasciste» (3). Pour mémoire, Begin (4) est le chef des assassins de deux cent quarante villageois de Deir Yassine, le Guernica palestinien. Non, Israël n'a jamais fait autre chose, et toute son histoire coloniale en témoigne, qu'agir, de façon disproportionnée, démesurée, à bout portant, avec des armes toujours renouvelées, toujours améliorées, high-tech et livrées sans compter par son indéfectible allié et producteur des bains de sang démocratiques, contre les peuples arabes considérés par lui comme des sous-hommes, des moins que rien, des «crocodiles» (Ehud Barak), «des bêtes qui marchent sur deux pieds», «des sauterelles qui devraient être écrasées» (Mena Hem Begin) comme le montre sa politique d'apartheid et de tueries en Palestine et ses meurtres à grande échelle au Liban. La disproportion est sa constante, elle est l'expression de sa puissance toute de lâcheté. Oui, Israël est un appareil de violence extrême qui, de tout temps, a pratiqué la disproportion : dans le massacre, la destruction, le vol des terres, l'humiliation, la déshumanisation, le racisme, la hogra. La guerre menée contre les Libanais aujourd'hui et depuis toujours contre les Palestiniens est une guerre totale qui vise la destruction systématique et la soumission tant de ceux qui refusent de courber l'échine, que de ceux qui désespèrent de la vie et ne se soucient que de sauver leur peau. ` «Tuez-les tous. Pas de quartier. Pas de trêve humanitaire.» Ainsi parlent les dirigeants de «l'Etat le plus démocratique de la région», comme le qualifient les élites et les médias occidentaux dans leur écrasante majorité. Qu'on se le dise une fois pour toutes, Israël est un Etat fait pour la guerre et par la guerre, un Etat programmé pour mener des guerres totales afin d'asseoir une domination totale et violente sur les peuples du Proche-Orient. C'est pour cette raison qu'il ne peut vivre en paix avec ses voisins, car il vit et prospère de la guerre : «L'Etat d'Israël ne voulait et ne veut toujours pas la paix. Il veut des conquêtes.» (5) Pour nier le droit des Palestiniens à un Etat, Israël a proclamé qu'il «n'y avait pas de peuple palestinien». (6) Il a dès lors encouragé chez les siens la satisfaction des pulsions mortifères — des soldats israéliens déclarent tuer des Palestiniens et pleurer ensuite un bon coup. Il a instillé au sein de sa population la pulsion de destruction, du goût de l'abîme, du sacrilège, de la négation de l'autre, de l'outrance de la guerre et de la guerre à outrance, autant de pratiques et de postures qui chez d'autres auraient été vite et à juste titre qualifiées de fascistes. La soldatesque israélienne s'est toujours livrée aux pires actes de cruauté, de perfidie et de brutalisation tant sur les Palestiniens que sur les Libanais, à tel point que le grand savant et philosophe israélien Leibowitz, décédé en 2003, n'hésitera pas à qualifier, en janvier 1993, les unités spéciales israéliennes (Golani), les mêmes que celles qui ont été lancées récemment sur le Sud-Liban de «judéo-nazis». C'est ce vieillard meurtri par l'écrasement et l'humiliation des Palestiniens au quotidien, par ce qu'il considérait comme un «génocide au sens de l'élimination de l'entité nationale et politique» et par la militarisation de la société israélienne et la centralité des services de sécurité intérieure (le Shin Beth) dans la vie politique, qui diagnostiquera une «fascisation rampante de la société israélienne», commencée selon lui en 1967. Dans un pays ou «le hooliganisme national suscite une atmosphère de violence dirigée vers l'intérieur, je crains beaucoup, disait-il, que ne se créent ici des camps de concentration contre les ‘‘traîtres'' juifs et que des pogroms ne se produisent contre les juifs religieux qui ne seraient pas nationaux». Pour Leibowitz, « l'Etat d'Israël n'est pas un Etat qui possède une armée, mais une armée qui possède un Etat». Tout analyste sérieux peut en effet constater que l'armée, dans ce pays bunkérisé, est devenue un but en soi. L'Etat d'Israël a été créé pour la violence et par la violence. Si le militarisme, vers la fin du XIXe siècle et pendant plus d'un demi-siècle du XXe, «a dominé et fini par dévorer l'Europe», on peut sans erreur considérer qu'aujourd'hui il domine Israël et qu'il finira par le dévorer, car, comme tout militarisme, il porte en lui les germes de sa propre ruine. Cela posé au-delà des massacres, des crimes de guerre, des destructions, plus rien ne sera plus comme avant, car cette tuerie à bout portant, ces assassinats «atmosphériques» contre le Liban ont fait sauter définitivement un tabou, une terreur intellectuelle entretenue des décennies durant par les réseaux sionistes de la culpabilisation du monde pour cause d'holocauste, laquelle interdisait d'assimiler le système d'oppression et de violence armée de l'Etat d'Israël à des crimes de guerre, au risque d'être qualifié d'antisémite et traîné devant les tribunaux, comme le fut Edgar Morin, il y a peu. Les masques sont définitivement tombés et la nature de l'Etat d'Israël, à l'ère de la révolution informationnelle et de l'Internet, éclairée par ses logiques de prédation, de dépeçage de ses voisins et de barbarie militaire apparaît telle qu'elle a toujours été : un Etat incarné par la violence coloniale, la culture de la supériorité raciale, du mépris et de la négation des autres. Mais écoutons, pour ponctuer cet article, Leibowitz parler de cet Etat fondamentalement totalitaire : «Si nous continuons dans cette voie, ce sera la destruction de l'Etat d'Israël dans un délai non de quelques générations, mais de quelques années. Intérieurement, ce sera des camps de concentration pour les gens comme moi. A l'extérieur, Israël s'embourbera dans une guerre à outrance contre l'ensemble du monde arabe, du Maroc au Koweït. Telle est la perspective dans un avenir proche. La seule et unique solution est le partage du pays entre les deux peuples. Tant que l'Etat d'Israël dans son abyssale bêtise sera persuadé que l'aide américaine se poursuivra éternellement, il ne sera pas intéressé par la paix. Aussi connaîtra-t-il le sort du Sud Viêt-Nam, qui lui aussi crut que l'Amérique le soutiendrait ad vitam aeternam.» Smaïl Hadj Ali Notes de renvoi (1) Voir notre papier : «Iraq, la guerre la plus humaine de l'histoire», El Watan du 23 mars 2006 (2) Cet article a été écrit avant les meurtres de masse de Cana (3) Extrait de la pétition signée par Arendt et Einstein (4) Il reçu le prix Nobel de la paix en 1978... avec Sadate (5) Propos tenus par Y. Leibowitz en 1987 (6) Il reçut pour cela le prix Nobel de la Paix en mars 1969, à travers son Premier ministre Mme Golda Meir qui déclara trois mois plus tard : «Il n' y a rien qui ressemble à des Palestiniens, ils n'ont jamais existé.»