Après avoir connu une activité florissante dans les années 1960 et 1970, les salles de cinéma d'Alger et d'ailleurs sont peu à peu tombées en décrépitude, au grand dam des cinéphiles, avant que le processus de réhabilitation en cours ne rétablisse l'espérance de les voir sortir un jour de l'ornière et, avec elles, toute l'industrie cinématographique nationale. Ces salles, dont le nombre dépassait allègrement la centaine dans la seule capitale, furent pendant longtemps des lieux de rencontre et de distraction mais aussi autant de centres de rayonnement culturel que pouvait procurer alors une grande diversité de projections, y compris de documentaires inventifs et instructifs à souhait. Les cinéphiles de l'époque avaient l'embarras du choix et peinaient à opter pour telle ou telle salle, toutes proposant des films récents et, chose introuvable aujourd'hui, certaines se sont spécialisées dans un genre cinématographique particulier, du film oriental ou indien aux grands classiques du cinéma universel sans oublier les inénarables western américains. Victimes de la «parabole» ? Au quartier Mohamed-Belouizded qui regorgeait à l'époque de salles de spectacles, «Camera», «Mondial», «Roxy» et bien d'autres, certaines ont été transformées en salles des fêtes, d'autres sont en ruine et étalent des vestiges qui rappellent leur lustre d'autrefois et à leurs anciens «fidèles» leur douce et belle jeunesse. Interrogé sur les raisons de cette dégradation, Ahmed, vieux commerçant du quartier, pense qu'elles sont nombreuses mais que la plus importante est l'apparition de l'antenne de télévision parabolique («la parabole») qui offre un choix de films inépuisable tout en restant chez soi. Abdelkader, gardien dans une salle des fêtes, une ancienne salle de cinéma évidemment, croit, lui, que ces espaces culturels, à Alger comme dans d'autres villes, «ont entamé leur déclin avec l'apparition de la vidéo qui permet de regarder les films de son libre choix et chez soi, en famille». Mme Rokia, institutrice dans une école à El-Biar, estime de son côté que la commercialisation à grande échelle et bon marché des cassettes vidéo puis des CD et autre DVD, a signé la «descente aux enfers» des salles de cinéma. Un commerce très lucratif mené aux dépens du cinéma.»Le client pouvait et peut encore s'offrir le cinéma qu'il veut là où il veut», assène Rokia. Tout un art à l'abandon Pour le comédien et artiste algérien Abdennour Chelouche la question «est beaucoup plus complexe que cela». Il résume, historiquement, l'équation à la «négligence» des autorités locales pour tout ce qui touche à la promotion du cinéma, au «manque criard de soutien à la production cinématographique» et à la quasi-absence d'une «éducation civique à même d'inculquer aux nouvelles génération l'amour de l'art en général, et du 7e art en particulier». Plus tranchant, il constatera que les salles de cinéma, qui faisaient le prestige de la capitale, sont tombées en désuétude, mises aux oubliettes signant «la fin des plus beaux cinémas du monde arabe et de toute l'Afrique». Il y a aussi, à son avis, l'absence de soutien à la production cinématographique algérienne, ce qui a «sans doute contribué à la déperdition de ces espaces résultant d'un long processus de destruction qui a commencé bien avant l'apparition de la parabole et de la vidéo». Processus salutaire de récupération des salles de projection Le premier vice-président de l'APC d'Alger, M. Rabah Belaouane, met notamment en cause la dissolution de l'Office national du cinéma et de l'industrie cinématographique (ONCIC) outre la rareté de la production cinématographique comparativement au passé. En fait, précise-t-il, le secteur souffre même de l'absence d'instances spécialisées dans la distribution et la préservation des archives du 7e art. Le responsable communal ajoute que la cession des salles de cinéma au profit du privé en 1983, a «aussi et largement contribué à la déliquescence des cinémas», les gérants ne respectant pas le cahier des charges et négligeant les aspects artistiques et techniques. Les salles de spectacles données en gérance aux privés proposent un ersatz de cinéma, la vidéo qui sacrifie l'esthétique au lucratif. Le même responsable rappelle que le programme communal de 1997 prévoit un plan de récupération progressive de ces salles dont «Algeria», «Chabab», «Culture», «El-Khayam» et «Afrique» qui seront placées sous la direction du conseil communal d'Alger. Ces espaces de culture et d'évasion font l'objet de travaux de restauration menés au pas de charge, et viendront rejoindre d'autres salles mythiques comme la salle «Atlas» enfin restituée aux cinéphiles il y a moins de deux ans. La célèbre salle «Algeria», rouverte il y a quelques années après une longue période de relâche puis refermée ces derniers mois pour travaux, doit à nouveau accueillir ses fidèles spectateurs à la mi-février en cours comme pour accompagner un certain optimisme ambiant quant à la résurgence de ces hauts lieux de culture et de loisirs au grand bonheur de tous les amoureux du cinéma.