Il y a d'abord la visite de travail à Annaba de Amar Tou, ministre des Transports sur les lieux mêmes où d'importantes malversations ont été dénoncées. L'absence, ensuite, lors de cette visite du directeur général de la SNTF parmi les membres de la délégation ministérielle. Il y a enfin, les deux correspondances adressées le 30 juillet dernier par les auteurs de la dénonciation interpellant ce même DG quant à sa manière désinvolte de gérer le dossier. Ces événements donnent à cette affaire des contours insoupçonnés. L'on est arrivé à un stade où des cadres d'exécution demandent au plus haut sommet de leur hiérarchie des explications sur le laxisme dans l'application des dispositions de l'ordonnance présidentielle portant lutte contre les malversations. En demandant à cette même hiérarchie de leur expliquer également les suites qu'elle compte donner à l'implication de cadres véreux, il y a de dire que l'une des plus vieilles entreprises d'Algérie est véritablement en lambeaux. Les mêmes cadres ont souligné la passivité de la direction générale dans cette affaire hautement préjudiciable à la SNTF. Comme ils ont exprimé leur étonnement quant à l'absence d'une quelconque décision concernant le cas du directeur central chargé du matériel. Ce dernier est nommément cité dans les correspondances comme étant partie prenante dans les malversations dénoncées. Ces rebondissements interviennent au moment où l'instruction judiciaire est arrivée à son terme. Il est même attendu que l'affaire fasse l'objet d'un enrôlement pour être jugée avant la fin de l'année 2010 par le tribunal correctionnel d'Annaba. Elle avait été révélée en 2008 par deux ingénieurs. Selon les auteurs de la dénonciation, le dossier volumineux concerne des malversations étalées sur plusieurs années pour un préjudice évalué à plusieurs milliards de dinars. Il s'agit de l'équivalent en matériels et équipements ferroviaires neufs acquis en devises par la SNTF. Ils auraient été cédés de gré à gré au fil des années après qu'ils aient été maquillés en déchets ferreux par les mis en cause dont le directeur régional et le directeur central du matériel. Le bénéficiaire de ces «déchets ferreux» importés à l'état neuf quelques mois auparavant selon les termes de la dénonciation, serait un récupérateur étranger. Preuves documentées accablantes en mains, les ingénieurs positionnés en défenseurs intraitables des deniers de la République, sans peur et sans reproche, persistent et signent. Deux années après, les pressions et les intimidations exercées sur eux n'ont pas eu raison de leur détermination. Bien que considérés comme des pestiférés par leur hiérarchie et qu'ils soient interdits d'accès dans les zones sensibles de leur lieu de travail, ils maintiennent leurs accusations. Selon leurs écrits adressés aux plus hautes instances du pays, ils continuent à clamer que leur société est, avec la complicité des cadres incriminés, victime de la mafia des déchets ferreux. A l'appui de leurs affirmations, ils argumentent l'absence de toute mesure conservatoire à l'encontre des 7 cadres gestionnaires. Sous contrôle judiciaire depuis avril 2010, ces derniers sont maintenus à leurs postes de responsabilité respectifs. Ils jouissent de tous les avantages et privilèges liés à leurs fonctions. Ce qui leur aurait permis de manipuler en fonction de leurs intérêts et ceux de leurs protecteurs, les documents, témoins et autres preuves matérielles à même de les accabler. Cette position hiérarchique leur a permis d'imposer à des cadres et agents sous leurs ordres de signer une pétition par laquelle ils attestent de la légalité des opérations de cession des matériels et équipements ferroviaires. C'est cette même pétition que, devant les larges présomptions de culpabilité contenues dans le dossier, le juge d'instruction a utilisée pour inculper de complicités quelques-uns des signataires aux côtés de 3 principaux accusés dont le directeur régional. L'affaire a pris des proportions inattendues au lendemain de la visite de travail aux ateliers SNTF Annaba le 23 août dernier de Amar Tou ministre du transport. «C'est très sale. Il faut nettoyer», a déclaré le représentant du gouvernement à la vue de la saleté caractérisant les lieux et les innombrables pièces de rechange ferroviaires neuves ou usées stockées à ciel ouvert. Il faut dire que ce jour là, l'état des ateliers de la SNTF ressemblaient beaucoup plus un dépotoir d'objets hétéroclites. Plusieurs dizaines d'agents de maîtrise et d'exécution paraissaient être livrés à eux-mêmes. Les ingénieurs auteurs de la dénonciation étaient absents. L'on ne les avait pas informés de la visite ministérielle pour certainement éviter qu'ils réitèrent leurs accusations devant les hauts responsables de l'Etat (le ministre et ses cadres centraux, le wali, les élus des deux chambres hautes et locaux) et les représentants de la presse. En l'absence du premier responsable de la SNTF, Amar Tou a pu constater que les bogies, essieux, roues et autres mécanismes destinés à la maintenance et à l'entretien du matériel roulant, importés à coups de millions en devises jetés pêle-mêle sont neufs. Ils étaient stockés à ciel ouvert au contact des intempéries. Beaucoup, encore à l'état neuf, devraient être rebutés, reformés et finir dans le lot des déchets ferreux. Est-ce à dire qu'un système perverti de gestion a entretenu l'opacité dans le suivi des stocks. «Tout ce matériel que vous voyez est neuf. Nous n'avons jamais compris pourquoi continuer à en acquérir alors que nos stocks sont saturés» dira un des agents de maîtrise. Il a ajouté : «Comme vous l'avez certainement remarqué, l'indiscipline dans le travail est générale. Elle est générée par l'appréhension de nos responsables quant à de nouvelles dénonciations. La tutelle aurait dû les affecter dans d'autres unités en attendant que ce dossier de malversations soit jugé». En l'absence du DG de la SNTF La manne générée par la vente des déchets ferreux au profit d'un récupérateur étranger aujourd'hui en fuite, a stimulé les appétits. La SNTF importe des équipements ferroviaires neufs pour les transformer en ferraille et les vendre au kg quelques années après. C'est à peine si, à travers une question posée au responsable local SNTF qui l'accompagnait, le ministre des transports s'est intéressé à cet aspect de la gestion.«Il est entre les mains de la justice» lui a répondu le nouveau directeur régional. Fallait il qu'il se déplace à Annaba pour en être informé d'une manière aussi laconique ? Dans cette affaire préjudiciable au Trésor public, la justice suit son cours normalement deux années après que le parquet d'Annaba ait été saisi d'une plainte déposée par deux ingénieurs. Ils accusent clairement leur hiérarchie d'avoir commis de nombreuses malversations. La cour de justice avait aussitôt désigné la chambre d'accusation pour instruire ce qu'on nomme déjà «l'affaire de la direction régionale SNTF de Annaba». Les magistrats ont enregistré qu'après les fissures, l'heure est aux craquements. «Nous avons le regret de vous informer de nos fortes suspicions quant aux résultats des investigations de la dizaine de commissions d'enquête que vous avez dépêchées à Annaba. Ces commissions ont accompli leur mission dans des conditions opaques et avec des moyens douteux» a estimé l'ingénieur B.Haroun, un des dénonciateurs dans une correspondance adressée le 30 août dernier à son directeur général. De là à affirmer que ce dernier risque d'aller vers de gros ennuis judiciaires, il n'y a qu'un pas que le magistrat instructeur pourrait franchir dans les prochains jours. Ses 7 collaborateurs de Annaba en ont eu un avant-goût avec le va -et-vient incessant qui leur est imposé par le juge d'instruction depuis le déclenchement de l'enquête. La série d'auditions des mis en cause et de leurs accusateurs a été ponctuée par la mise sous contrôle judiciaire des premiers en avril 2010. Il leur est reproché une série de malversations dont la dilapidation et le détournement de matériels et équipements ferroviaires. Certains qu'une magouille à grande échelle s'opère sous leurs yeux et qu'elle est destinée à vider les ateliers de toute sa richesse en matériels et équipements ferroviaires neufs, les deux cadres avaient réagi en interpellant les plus hautes autorités de l'Etat. Ils avaient préalablement saisi leur directeur général qui s'est limité à l'envoi de ses proches collaborateurs pressés de repartir aussitôt arrivés à Annaba. La décision du juge d'instruction de placer les 7 cadres gestionnaires sous contrôle judiciaire, dénote que les conclusions des «envoyés spéciaux» du DG de la SNTF ont été très hâtives. Selon des indiscrétions proches de l'instruction, les malversations révélées par les cadres auteurs de la dénonciation auraient été confirmées. Les mêmes sources ont affirmé qu'un véritable réseau a été mis en place pour vendre au titre de déchets ferreux, en contre partie de larges commissions, d'importants stocks de pièces neuves. Outre les malversations dénoncées, l'enquête diligentée par la police judiciaire a relevé des actes de faux et usage de faux. De par leur mission d'entretien et de maintenance des matériels et équipements roulants et autres, les immenses ateliers de la SNTF Annaba sont partie prenante des nombreux projets de réalisation, réhabilitation et électrification du rail algérien. Ils le sont aussi en ce qui concerne le projet du dédoublement de la voie ferrée Annaba/Ramdane Djamel qui a enregistré un important retard. Ministre du transport en charge du projet de développement du rail pour lequel le gouvernement a dégagé 20 milliards de dollars dans le cadre du plan quinquennal 2010/2014, Amar Tou est certainement bien imprégné des tenants et aboutissants de cette affaire. Est-ce parce qu'il est convaincu qu'elle est très louche qu'il a préféré se passer de la présence du DG de la SNTF lors de sa dernière visite de travail et d'inspection à Annaba. Bon nombre de membres de la délégation n'ont pas manqué de parler de disgrâce de ce dernier. Sinon comment interpréter son absence à une aussi importante visite de travail. D'autant que celle-ci qui va dans le sens du suivi du projet du développement du rail, porte sur un contrat de partenariat entre l'entreprise algérienne Ferrovial et la française Alstom, le géant européen du rail. Lors de cette visite, le représentant du gouvernement s'est longuement attardé sur des projets de rails. C'est ainsi que, toujours en l'absence d'un quelconque haut responsable de la SNTF, il a pris connaissance de l'état d'avancement des travaux en cours de réalisation du dédoublement de la voie ferrée sur 96km Annaba-Ramdane Djamel et d'un tunnel long de 1,4 km par une société espagnole.