Le Conseil de l'enseignement supérieur turc a donné l'ordre, la semaine dernière, à l'université d'Istanbul, l'une des plus grandes du pays, de ne plus exclure des salles de cours les étudiantes qui n'appliquent pas l'interdiction du port du voile. Il s'agit du dernier rebondissement en date et l'un des plus marquants dans le bras de fer engagé entre ceux qui considèrent le voile comme un symbole de leur foi et ceux pour qui il menace directement la Constitution laïque turque. «J'étais prête à porter la perruque, comme ma cousine l'a fait», explique Gungor, jeune étudiante de 18 ans coiffée d'un voile aux couleurs pastel. «Il s'agit de ma liberté. Je ne vois pas pourquoi mon foulard serait perçu comme une menace par quelqu'un.» Le débat n'est pas propre à la Turquie. La France et le Kosovo, notamment, ont interdit le port de foulards dans les écoles publiques et en Allemagne, dans certains länder l'interdiction s'applique aux professeurs. Mais la question prend une autre dimension en Turquie, république laïque depuis la fin de la Première Guerre mondiale qui compte 75 millions de musulmans. Les querelles autour du port du voile et des autres symboles de l'Islam alimentent un débat sur la façon de concilier modernité et tradition, sur fond de candidature à l'Union européenne. L'armée turque, qui est intervenue à plusieurs reprises en politique et a renversé quatre gouvernements, se présente souvent comme le garant de la laïcité. Mais les réformes destinées à remplir les conditions d'intégration à l'UE ont affaibli la puissance des généraux. «C'est le même affrontement en Turquie depuis 80 ans sur la question laïcité-religion», souligne l'écrivain Mehmet Ali Birand dans un article intitulé Laissez les s'habiller comme elles veulent. «Le monde change, la Turquie change. Fermons ces vieux livres et regardons vers l'avenir», ajoute-t-il. Nouvelle classe Une précédente tentative de l'AKP de lever l'interdiction du port du voile, il y a trois ans, avait suscité une crise politique d'ampleur. Mais l'arrivée d'une nouvelle catégorie de musulmans pratiquants au sein de la formation au pouvoir depuis 2002 a changé la donne. Les opposants à l'interdiction, en vigueur depuis le coup d'Etat militaire de 1982, dénoncent une violation des libertés individuelles incompatibles selon eux avec une démocratie moderne. Ses partisans estiment que l'interdiction permet de défendre les valeurs démocratiques nationales. «La Turquie a besoin de trouver une nouvelle relation entre l'Etat et la religion», dit Ergun Ozbudun, expert constitutionnaliste. Le Premier ministre, Tayyip Erdogan, qui a remporté largement un référendum en septembre portant sur les réformes de la Constitution, a fait part de projets sur une nouvelle loi. Donné favori pour les élections de 2011, l'AKP devrait tenter une nouvelle fois de lever l'interdiction du port du voile.