Appelée ainsi depuis 1922, cette rue dans la capitale économique turque a été rebaptisée clandestinement “rue des Français” par des riverains francophiles. La presse locale s'est emparée de l'affaire, et l'ambassadeur turc à Alger a demandé des explications à la mairie d'Istanbul. L'affaire avait fait couler beaucoup d'encre à Istanbul au début de l'année 2004. L'une des principales rues commerçantes de cette ville cosmopolite, la capitale économique de la Turquie, qui portait depuis 1922, après l'indépendance de la Turquie, le nom de rue d'Algérie a fait l'objet d'une tentative de débaptisation. Un groupe d'intellectuels turcs du lobby francophile ont voulu lui donner le nom de “rue des Français”. Cette opération a suscité une levée de boucliers de la part des commerçants de cette grande artère du quartier européen, qui ont riposté en arrachant les nouvelles plaques mises en place par ce groupe avec l'accord des autorités municipales de la ville d'Istanbul. C'est du moins la version des faits rapportée par un consultant international algérien, qui effectue de fréquents séjours au pays d'Atatürk. Abderrezak Boulafrad, puisque c'est de lui qu'il s'agit, affirme lors d'un entretien au siège de la rédaction de Liberté, que ce changement d'appellation, que rien ne justifiait, a été la conséquence de pressions du “lobby intellectuel francophile turc” sur les autorités locales d'Istanbul. La riposte n'est pas venue seulement des commerçants puisqu'un groupe d'intellectuels turcs s'est également mis de la partie. En effet, trois partenaires, dont une cinéaste turque très connue à l'étranger notamment en France, a transformé le siège de l'ancienne école d'art dramatique, destiné au départ à être une galerie d'art français, en un restaurant. Comme pour signifier leur désapprobation totale du geste de la mairie d'Istanbul, les trois partenaires ont donné le nom d'“El Djazaïr” à leur établissement implanté dans la rue d'Algérie. M.Boulafrad s'est dit outré puisque, selon lui, l'affaire de la rue n'est pas un événement ponctuel mais faisant partie d'une stratégie globale visant à favoriser le lobby francophile dans cette rue au détriment du patrimoine algérien hérité de la période ottomane. Selon ce consultant, ce lobby est allé jusqu'à empêcher la projection d'un film sur la guerre d'Algérie, réalisé par une cinéaste turque. La projection, prévue dans le local de la rue d'Algérie, a été finalement annulée en raison une nouvelle fois de pressions sur le propriétaire de cet établissement. Selon M. Boulafrad, les autorités municipales n'ont rien fait pour mettre fin à ces agissements qui ne peuvent que nuire aux relations algéro-turques, surtout au moment où elles connaissent un nouvel élan notamment avec la visite récente du président Abdelaziz Bouteflika à Ankara. L'ambassadeur turc à Alger, Ercumend Ahmed, confirme qu'il y a eu au printemps 2004 une tentative de débaptiser la rue d'Algérie par ce qu'il nomme “un groupe d'entrepreneurs” turcs qui voulaient lui donner le nom de “rue des Français”. Cependant, selon lui, cette tentative a échoué en raison du refus catégorique du conseil municipal d'Istanbul. Lors d'un entretien accordé à Liberté, M. Enç a affirmé que ce groupe a transmis une pétition à la municipalité pour appuyer sa demande arguant que la plupart des bâtiments de cette rue, datant tous de l'époque ottomane, ont été restaurés il y a quelques années grâce à des fonds français ! Cette opération a été suivie, ajoute l'ambassadeur turc, par l'arrivée d'investisseurs français qui s'y sont installés. Les établissements proposant des produits français ont alors fait florès, mais, face à l'intransigeance des autorités municipales, ces entrepreneurs ont décidé de passer outre la loi et ont placé à l'entrée de la rue une banderole portant l'inscription de “rue des Français”, selon le diplomate turc. Ils ont même organisé une cérémonie “officielle” pour célébrer cet événement, en présence de la presse turque. Mais des commerçants, qui tiennent énormément aux liens séculaires entre l'Algérie et la Turquie, ont vigoureusement réagi. “Vous n'avez pas le droit de faire ça, les Algériens sont nos frères”, ont-ils dit aux initiateurs de cette opération. Et peu de temps après, ils ont fini par arracher la banderole en question. En juillet 2004, l'ambassadeur de Turquie, après avoir suivi les péripéties de cette affaire à travers la presse turque, a adressé un courrier à la municipalité d'Istanbul pour tirer au clair cette histoire. La réponse a été sans équivoque : la rue à l'origine de ce bras-de-fer porte toujours le nom de rue d'Algérie. La loi turque stipule que seul le comité municipal peut changer les noms des rues, des boulevards et autres places publiques. Or, à ce jour, insiste le diplomate turc, aucune décision visant à changer le nom de la rue d'Algérie n'a été prise. Pour ce qui de l'interdiction d'une projection d'un film sur la guerre d'Algérie, l'ambassadeur a affirmé qu'elle a été annulée car le propriétaire de l'établissement où elle devait avoir lieu s'est rétracté à la dernière minute après avoir pourtant donné son accord dans un premier temps. Le cinéaste turc, qui a consacré dix ans de recherches pour réaliser le film en question, a révélé plus tard lors d'une conférence de presse que le propriétaire de l'établissement lui a expliqué avoir agi de la sorte sous la pression du consul général de France à Istanbul. Ce dernier lui a demandé de mettre à la disposition du cinéaste son établissement car son “film est contre la France”. Selon M. Enç, le gouvernement turc n'a jamais pensé à interdire ce film. Preuve en est, il a fini par être diffusé dans toutes les chaînes de télévision turques, y compris officielles. Rafik Benkaci