Le type de Mechta El-Arbi va s'effacer progressivement devant d'autres hommes, mais sa disparition ne fut jamais complète. Ainsi, trouve-t-on encore 8 % d'hommes mechtoïdes parmi les crânes conservés des sépultures protohistoriques et puniques (Chamla, 1976). De l'époque romaine, dont les restes humains ont longtemps été dédaignés par les archéologues «classiques», on connaît encore quelques crânes de l'Algérie orientale qui présentent des caractères mechtoïdes. Du type de Mechta El-Arbi, il subsiste encore quelques très rares éléments dans la population actuelle qui, dans sa quasi totalité, appartient aux différentes variétés du type méditerranéen : quelques sujets méso ou dolichocéphales à face basse, de taille élevée, et au rapport cranio-facial dysharmonique, rappellent les principaux caractères des Hommes de Mechta El-Arbi. Ils représentent tout au plus 3 % de la population au Maghreb ; ils sont nettement plus nombreux dans les îles Canaries. Les protoméditerranéens capsiens mangeurs d'escargots On ne peut, cependant, placer l'homme de Mechta El-Arbi parmi les ancêtres directes des Berbères. A partir du VIIIe millénaire, on voit apparaître dans la partie orientale du Maghreb (nous sommes complètement ignorants de ce qui se passait au même moment, sur le plan anthropologique, dans les confins de l'Egypte et de la Libye), un nouveau type d'Homo sapiens qui a déjà les caractères de certaines populations méditerranéennes actuelles. Il est aussi de taille élevée (1,75 m pour les hommes de Medjez II, 1,62 m pour les femmes), mais il se distingue de l'homme de Mechta El-Arbi par une moindre robustesse, un rapport crânio-facial plus harmonique puisque à un dolichocrâne correspond une face haute et plus étroite, les orbites sont plus carrées et le nez plus étroit. Les reliefs osseux de ce nouveau type humain sont atténués, l'angle de la mâchoire, en particulier, n'est pas déjeté vers l'extérieur, il n'y a donc pas extroversion des gonions comme disent les anthropologues. Or, ce caractère est très fréquent, sinon constant chez les hommes de Mechta. «Crâne de Taza» : Type Ibéromaurusien, composé en grande partie de sapiens à l'aspect «cromagnoïde» ?(b) «Hommes de Medjez» : Type capsien, considéré comme protoméditerranéen ? Ce type humain a reçu le qualificatif de protoméditerranéen. Des groupes anthropologiquement très proches se retrouvent, à la même époque ou un peu avant en Orient (Natoufiens) et dans divers pays de la Méditerranée où ils semblent issus du type de Combe Capelle (appelé en Europe centrale homme de Brno) qui est distinct de l'homme de Cro-Magnon. Aussi, D. Ferembach suppose l'existence en Orient, au Paléolithique supérieur, d'un homme proche de Combe Capelle. Manifestement l'homme de Mechta El-Arbi n'a pu donner naissance aux hommes protoméditerranéen. Ceux-ci, qui vont progressivement le remplacer, apparaissent d'abord à l'est, tandis que les hommes de Mechta El-Arbi sont encore, au néolithique, les plus nombreux dans l'ouest du pays. Cette progression d'est en ouest indique bien qu'il faut chercher au-delà des limites du Maghreb, l'apparition de ce type humain protoméditerranéen. Un consensus général de tous les spécialistes, anthropologues et préhistoriens, se dégage aujourd'hui pour admettre qu'il est venu du Proche-Orient. On peut, à la suite de M. C. Chamla, reconnaître parmi les protoméditerranéens deux variétés. La plus fréquente, sous type de Médjez II, au crâne élevé, est orthognate, le second, moins répandu, celui de l'Aïn Dokkara, à voûte crânienne plus basse, est parfois prognate, sans toutefois présenter les caractères négroïdes sur lesquels on avait à tort attiré l'attention. La civilisation capsienne Ces hommes sont porteurs d'une industrie préhistorique qui a reçu le nom de Capsien, du nom antique de Gafsa (Capsa) auprès de laquelle furent reconnus pour la première fois les constituants de cette culture. Le Capsien couvre une période moins longue que l'Ibéromaurusien ; elle s'étend du VIIIe au Ve millénaires. Grâce au grand nombre de gisements plaisamment nommés escargotières et à la qualité des fouilles qui y furent conduites, on a une connaissance satisfaisante des Capsiens et de leurs activités. On peut, dans leur cas, parler d'une civilisation dont les nombreux faciès régionaux reconnus à travers la Tunisie et l'Algérie révèlent certains traits constants. Sans nous appesantir sur l'industrie de pierre caractérisée par des outils sur lames et lamelles à bord abattu, des burins, des armatures de formes géométriques (croissants, triangles, trapèzes), nous rappellerons qu'elle est fort belle, remarquable par les qualités du débitage, effectué parfois au cours du Capsien supérieur par pression, ce qui donne des lamelles normalisées. Elle est remarquable, également, par la précision de la retouche sur des pièces d'une finesse extraordinaire, comme par exemple les microperçoirs courbes dits de l'Aïn Khanga. Mais le Capsien possède d'autres caractères qui ont pour l'archéologue et l'ethnologue une importance plus grande, je veux parler de ses œuvres d'art. Elles sont les plus anciennes en Afrique et on peut affirmer qu'elles sont à l'origine des merveilles artistiques du néolithique. Elles sont même, et ceci est important, à l'origine de l'art berbère. Il y a un tel air de parenté entre certains de ces décors capsiens ou néolithiques et ceux dont les Berbères usent encore dans leurs tatouages, tissages et peintures sur poterie ou sur les murs, qu'il est difficile de rejeter toute continuité dans ce goût inné pour le décor géométrique, d'autant plus que les jalons ne manquent nullement des temps protohistoriques jusqu'à l'époque moderne. Les premiers Berbères Sur le plan anthropologique les hommes capsiens présentent si peu de différence avec les habitants actuels de l'Afrique du Nord, Berbères et prétendus Arabes qui sont presque toujours des Berbères arabisés, que les archéologues négligèrent de conserver les squelettes découverts dans les escargotières car ils croyaient qu'il s'agissait d'intrus inhumés à une époque récente dans les buttes que constituent les gisements. Un de ces crânes séjourna même un certain temps dans le greffe du tribunal d'une petite ville d'Algérie orientale, Aïn M'Lila, car on avait cru à l'inhumation clandestine de la victime d'un meurtre Quoi qu'il en soit nous tenons, avec les protoméditerranéens capsiens, les premiers Maghrébins que l'on peut, sans imprudence, placer en tête de la lignée berbère. Cela se situe il y a quelque 9 000 ans ! Certes, tout concorde à faire admettre, comme nous l'avons dit ci-dessus, que ces Capsiens ont une origine orientale. Rien ne permet de croire à une brusque mutation des Mechtoïdes en Méditerranéens alors que les Natoufiens du Proche-Orient dont les caractères anthropologiques affirmés antérieurement aux Capsiens sont du même groupe humain qu'eux et dans leur civilisation on peut retrouver certains traits culturels qui s'apparentent au Capsien. Mais cette arrivée est si ancienne qu'il n'est pas exagéré de qualifier leurs descendants de vrais autochtones. Cette assertion est d'autant plus recevable qu'il ne subsiste que quelques traces des premiers occupants mechtoïdes. Il est même troublant de constater que si protoméditerranéens et Mechta El-Arbi ont pendant longtemps cohabité dans les mêmes régions, puisque ces derniers ont survécu jusqu'au néolithique, même dans la partie orientale que fut «capsianisée» plus tôt, ils ne se sont pas métissés entre eux. L'atténuation des caractères mechtoïdes que l'anthropologue constate chez certaines populations antérieures à l'arrivée des protoméditerranéens, ne peut s'expliquer que par une évolution interne répondant au phénomène général de gracilisation. De même, les protoméditerranéens les plus robustes ou les plus archaïques ne présentent aucun caractère mechtoïde et les plus évolués s'écartent encore davantage de ce type. La mise en place des paléo-Berbères Si nous passons aux temps néolithiques il n'est pas possible de saisir un changement notable dans l'évolution anthropologique du Maghreb. On note la persistance du type de Mechta El-Arbi dans l'ouest et même sa progression vers le sud le long des côtes atlantiques tandis que le reste du Sahara, du moins au Sud du tropique du Cancer, est alors uniquement occupé par des négroïdes. Les protoméditerranéens s'étendent progressivement. Arrivés à l'aube des temps historiques, nous constatons que les hommes enterrés dans les tumulus et autres monuments mégalithiques sont du type méditerranéen quelle que soit leur localisation, sauf dans les régions méridionales où des éléments négroïdes sont discernables. Le Maghreb s'est, donc, sur le plan anthropologique «méditerranéisé» sinon déjà berbérisé. Méditerranéens robustes et Méditerranéens graciles Mais une autre constatation s'impose immédiatement : certains de ces Méditerranéens sont de stature plus petite, leurs reliefs musculaires plus effacés, les os moins épais, en un mot, leur squelette est plus gracile. A vrai dire, les différences avec les protoméditerranéens ne sont pas tranchées : il existe des formes de passage et de nombreuses transitions entre les Méditerranéens robustes et les Méditerranéens graciles. De plus, il n'y a pas eu élimination des uns par les autres puisque ces deux sous-types de la race méditerranéenne subsistent encore aujourd'hui. Les premiers forment le sous-type atlanto-méditerranéen bien représenté en Europe depuis l'Italie du Nord jusqu'en Galice, le second est appelé ibéro-insulaire qui domine en Espagne du Sud, dans les îles et l'Italie péninsulaire. (Suivra) Gabriel Camps [Islam : société et communauté. Anthropologies du Mahgreb, sous la direction de Ernest Gellner, les Cahiers C.R.E.S.M, éditions CNRS, Paris, 1981.]