Tout le monde le sait: il y a Bouteflika et il y a le Bouteflikisme. Le premier se voit à la télé quand il le veut. Le second est un courant fort qui se ressent aujourd'hui un peu partout. Tout le monde sait que Bouteflika a légèrement besoin des Bouteflikistes, s'en amuse, les manipule, les consomme ou les fait courir sur sa paume. Tout le monde sait aussi que les Bouteflikistes ont absolument besoin de lui, ne peuvent pas s'en passer, le boivent quand il les mange et ne l'avalent pas quand il les mâche. Question de fond: qui sont les Bouteflikistes ? D'abord ils sont un effet domino crescendo. Explication: plus ils sont loin de la périphérie du candidat unique, plus ils sont dans le besoin de fournir un zèle plus féroce pour se maintenir dans la chaîne alimentaire. Si Bouteflika éternue et se mouche avec la main gauche à Alger, à Aïn Nulle part, le maire expliquera que ceux qui n'éternuent pas et ne se mouchent pas de la main gauche sont des opposants. Plus loin, c'est-à-dire plus profond dans le pays, le comité de soutien de Aïn Jerrican organisera un rassemblement d'éternuements avec distribution de mouchoirs et séance « main gauche » dans les écoles et les administrations. Encore plus loin, à Aïn NASA dans le désert, les mains droites sont amputées et les mouchoirs fournis par des notables. Encore plus loin, à Aïn « ci-gît », là où la terre s'interrompt et là où le ciel ne veut même pas commencer, les éternuements sont comptabilisés comme des voix avant même le début des élections. Seconde question: pourquoi les Bouteflikistes sont-ils plus zélés que le concerné lui-même ? Première thèse: l'effet de nécessité alimentaire, car Bouteflika donne à manger malgré lui, a de l'argent même s'il dit que ce n'est pas le sien, donne des postes au premier qui a une chaise. S'il disparaît dans la foule, une partie de la foule sera obligée de s'asseoir par terre comme à l'époque des Ottomans. Seconde thèse: par effet de peur. Si Bouteflika n'est pas élu, cela signifie l'inconnu, donc la perte de l'immunité alimentaire, donc l'instabilité, donc changement de règne animalier. L'élection de Bouteflika est une question de survie. Moins pour lui que pour les siens et la vaste population de ses arrière-petits-fils collatéraux. Dernière thèse: il s'agit d'un mal psychanalytique lié à l'histoire nationale, comme l'oedipe l'est à la révolution. Il y a des peuples qui ne peuvent pas chasser absolument et définitivement le colon et se l'invente quand il part et prend sa valise. Il y a finalement chez les Bouteflikistes une violence dans l'enthousiasme et l'unanimisme qui font vraiment peur quand on s'y attarde. Individuellement, chaque Algérien est l'auteur d'un procès national permanent de l'indépendance et de la post-indépendance. Certains, pris en groupe, produisent cependant un état d'esprit étonnant qui n'hésite devant rien, verse dans l'anathème le plus grossier et convoque les archaïsmes les plus outrageants. Rapporté par le journal d'hier, un nouveau slogan ravageur dans la bouche d'un ministre: ceux qui ne votent pas sont « les voix du diable ». Comprendre: ceux qui votent sont automatiquement les voix de Bouteflika. Entre ce dernier, déjà premier, et le diable, antique acteur que personne n'a vu mais que tout le monde dit ressentir comme un mauvais conseiller à la privatisation, il n'y a rien. Pas d'autres candidats, ni alternatives, ni opposants. Le FIS l'avait dit il y a presque vingt ans: il y a le Coran, et il y a le blabla. C'est-à-dire la chariaâ ou l'hérésie. Aujourd'hui, on le répète: ceux qui ne sont pas pour Bouteflika, sont contre l'Algérie. Pour certains, il n'y a pas de différence de produits entre campagne électorale et campagne de dératisation. Dans quelques mois on aura donc ce résultat mathématiquement impossible: une victoire déduite d'une somme d'échecs collectifs. Dernière question: comment libérer un pays des siens, sans le brûler ou le quitter ou y creuser un trou ?