En opérant un tel changement à un an de la fin de son mandat, Bouteflika sait qu'il joue son va-tout. Le changement opéré, hier, par le président de la République à la tête de l'Exécutif implique, de prime abord, une question fondamentale : à quelle logique obéit un tel remaniement à une année de la fin du mandat de M. Bouteflika ? Tenter une réponse à une telle interrogation serait assurément plus aisé lorsque Ahmed Ouyahia, appelé à succéder à Ali Benflis, nommera sa propre équipe gouvernementale. Ce n'est qu'à la lumière de la composante de celle-ci que pourront se lire les objectifs à court et à moyen termes de Abdelaziz Bouteflika. L'on admet, en général, que tout changement de cette nature et à ce niveau de la hiérarchie des institutions est, par principe, dicté par une situation de blocage due à une impossible cohabitation ou par une nécessité urgente de changer de cap et de réorienter l'action gouvernementale en l'axant sur de nouvelles ambitions politiques, économiques et sociales du pays. On savait que de profondes divergences rendaient la collaboration entre Bouteflika et Benflis chaque jour plus problématique et que la ligne imprimée au FLN depuis son dernier congrès n'était pas pour plaire au chef de l'Etat soucieux, tout d'abord, de disposer d'un appareil qui porterait sa candidature à la présidentielle de 2004. Que Bouteflika ait pu trouver là des raisons suffisantes pour limoger celui qui était son directeur de campagne en 1999, on le comprend aisément, lui dont la grande réputation est qu'il voit en chacun de ses collaborateurs juste un subordonné et dont le souhait le plus cher est de rempiler pour un second mandat à El-Mouradia. On le comprendrait d'ailleurs d'autant plus aisément que Ahmed Ouyahia présente, pour sa part, le profil idéal du commis de l'Etat qui ne rechigne pas devant les besognes impopulaires pour peu que sa carrière n'en pâtisse pas. Mais rien ne dit que M. Bouteflika ne s'essaiera pas à faire d'une pierre deux coups, autant que faire se peut pour un homme qui a fini par décevoir, à grande échelle, aussi bien au sein de la classe politique que chez de larges couches de la population. Ce remaniement intervient, en effet, à un moment où le chef de l'Etat éprouve un besoin pressant de redorer son blason par un recentrage judicieux de sa démarche et de ses options politiques, économiques et sociales. Le remplacement de Ali Benflis par Ahmed Ouyahia ne serait alors que le coup d'envoi d'une opération de charme tous azimuts. Elle permettrait à Abdelaziz Bouteflika, par exemple, de se débarrasser de quelques ministres encombrants tels que Zerhouni devenu, aux yeux des animateurs de la protestation en Kabylie, le porte-drapeau de la répression, de la manipulation et de la provocation, ou encore Temmar, Khelil et les responsables de la sphère économique perçus, dans le monde du travail, comme les partisans de la libéralisation sauvage et du bradage des richesses nationales. La formule qui s'apparente à un véritable coup de poker a donc pu séduire Abdelaziz Bouteflika d'autant qu'elle semble, à présent, la seule dont il peut user pour tenter de soigner son image et, si possible, imputer les blocages actuels au patron du FLN qu'il perçoit déjà comme son principal concurrent en 2004. Mais elle se révélera inéluctablement inefficace, car, à l'heure des bilans, elle ne dédouanera pas son artisan, Bouteflika en l'occurrence, des échecs avérés qui ont pour noms les réformes de l'école, de la justice et de l'administration. Elle ne lavera pas Abdelaziz Bouteflika de l'appauvrissement des Algériens qui s'est accéléré entre 2000 et 2003, du chômage qui ne cesse de croître et de la récession économique qu'aucun investissement notable, national ou étranger, n'est venu freiner. Alors, Bouteflika voudrait-il faire croire qu'il réaliserait en un an avec Ouyahia ce qu'il n'a pu faire en trois ans avec Benflis, après une première année avec Benbitour ? Pour un coup de poker, difficile de faire mieux. S. C.