Dans la série des grandes questions métaphysiques algériennes, celle-ci : qui décide en Algérie ? La question est posée, cycliquement, par les cafés maures, les entrepreneurs étrangers, les sociologues en exil, une chiromancienne des hauts plateaux et l'avenir. La réponse est assez complexe. « Dans des pays normalement structurés, les réseaux de rentes, de corruption ou de prédation sont verticaux » expliquera au chroniqueur un politologue sémillant. A comprendre : la décision est centralisée, avec une structure en pyramide, permettant au client, à l'investisseur étranger ou à l'indigène en difficulté de savoir qui payer, qui embrasser et qui solliciter. Un bon décideur de la capitale, dans ce cas là, a la possibilité de prendre son téléphone et de donner un ordre de mission à son représentant local alimentaire pour honorer les services payés. Le réseau est soit tribal, parental, familial, d'intérêts, d'idéologie ou de sentiment avec ascenceur. On donne à ce genre de réseau des noms comme le Benalisme, El Makhzen, les néo-conservateurs, le cabinet noir, les « décideurs » ou le Sarkosisme. C'est vrai. C'est faux. C'est les deux à la fois et c'est cela un Etat moderne malgré son sourire honnête sur les affiches et les télévisions. En quoi l'Algérie pose alors problème puisque comme ailleurs, la corruption, l'enveloppe, le faux appel d'offre, la violence et la triche existe ? « Dans la configuration » nous explique-t-on. « Ici, les réseaux sont horizontaux et ne permettent pas l'approche traditionnelle ». Un investisseur étranger a beau comprendre qu'il faut « payer », il ne sait pas qui, quand, combien et qui décide vraiment. Un bon Saoudien peut arriver en Algérie couvert par l'accord le « plus souverain » et la garantie la plus haute, il peut voir son projet bloqué dans la wilaya que ses protecteurs croyaient la plus acquise et la plus docile. La raison ? L'horizontalité. Il n'y a pas encore un réseau de corruption verticale stable et souverain. Les centres de décisions sont éparpillés, mouvants, se déplaçant d'un cercle à un autre, augmentant le flou et l'impénétrabilité du marché algérien et l'architecture de ses Pouvoirs. Il y a des époques où tel cercle à la main haute pendant que ses voisins ont les mains liées, mais ce sont des époques brèves, temporaires. Lorsqu'on arrive dans ce pays avec sa peau blanche d'Occidental cherchant le palmier, la vanille et le chef indigène, on se trompe souvent : les chefs ne sont pas reconnaissables à la couleur du pagne, au javelot ni au verbe. On peut perdre son argent noir à corrompre des pêcheurs que l'on croyait être des armateurs et voir les perles aller là où on n'est pas. Dans le salons, après les dîners et entre amis, tous les hommes d'affaires étrangers et leurs chancelleries d'assistance répètent ce même constat sur un pays plus brumeux que Londres et où la décision est cet air impersonnel déstabilisant. Cela explique l'investissement étranger en berne en Algérie, certains articles de journaux de grande audience, les médisances contre une équipe au Pouvoir qui veut centraliser les pouvoirs et « jouer seule », les non-sens des décisions économiques, etc. Selon l'histoire de notre Moyen-âge, le Maghreb central a toujours eut des Deys, des Beys, des chefs de tribus, des Zaouïas, des régions, mais rarement un Etat centralisateur fort. Chomsky parlera de « Polycratie », à comprendre sur la rime de la démocratie ou de l'autocratie. La France de 1832 l'avait compris, autant que les espagnols et les Turcs, mais pas leurs vrais ou faux investisseurs aujourd'hui. Ou du moins certains d'entre eux. C'est ce qui explique qu'on parle souvent de « visibilité » en Algérie. Dès qu'un centre essaye d'émerger du lot, on parle de dictature. Et s'il fait dans l'alliance on parle de consensus national. Et si un étranger y met le doigt, il y laisse la main, son argent et ira gonfler les amertumes des néo-pieds noirs. La définition finale ? « C'est un pays olfactif », horizontal, avec deux dos.