Intervenant le premier lors de la table ronde organisée en fin de semaine écoulée par le GRAS (Groupe de recherche en anthropologie de la santé), en collaboration avec la Faculté des Sciences sociales de l'Université d'Es-Sénia, le professeur Ahmed Bouyacoub rappellera la mise en place d'un Conseil national de l'Ethique par les pouvoirs publics en 2005. Jusqu'ici, ce Conseil a réalisé une étude sur la question de l'éthique à l'université et un séminaire en 2007 avec la participation de 200 universitaires et chercheurs. Revenons sur cette manifestation scientifique. A. Bouyacoub déclare son désaccord avec l'hypothèse de travail retenu lors de ce séminaire liant le recul de l'éthique au sein de l'institution universitaire avec la dégradation des conditions socioprofessionnelles des enseignants. Il remarquera au passage l'actualité de la question de l'éthique dans le monde occidentale, notamment suite à la débâcle du système financier mondial il y a un semestre. Revenant à l'université, il proposera l'examen de la nature et du statut de cette institution pour pouvoir saisir les dérives sur le plan de l'éthique. Jusqu'aux années 1995, notera-t-il, «l'université était un des lieux de la formation des élites et un des lieux de la promotion sociale». Depuis, la situation a changé, ajoute-t-il. Et d'avancer des chiffres publiés par l'UNESCO pour étayer sa thèse. Concernant le taux de scolarisation par génération (le pourcentage de scolarisés qui accèdent à l'enseignement supérieur), norme de calcul élaborée par l'UNESCO, il signalera qu'il était de 14 % en 1999 et il est passé à 24 % en 2008. En Tunisie, il est de l'ordre de 35 % pour la même année. La Grèce, un pays méditerranéen bat le record avec 99 % et la France reste à la traîne par rapport aux pays développés avec son 57 %. Plus grave encore, sur les 24 % qui accèdent à l'université, uniquement 13 % terminent leur cursus. En économiste rompu au questionnement des chiffres, A. Bouyacoub annoncera qu'en 2008, uniquement 20 % des diplômés ont pu obtenir un travail. Autrement dit, explique-t-il, la contradiction entre un système hyper sélectif débouchant sur le chômage des cadres induit inexorablement une dévalorisation de l'activité intellectuelle et scientifique. D'autres facteurs participent à l'aggravation de la dérive de l'éthique au sein de l'université, ajoute le conférencier. Et de citer «la crise du management» en insistant que «l'université n'a pas d'objectifs explicites et pas de système de décision claire». Et de conclure «l'informel a envahi toutes les structures». L'intervenant a remarqué que la situation apparaît moins gangrenée que les autres secteurs de la société. Appréhendant la question d'un autre angle, définissant la notion de l'éthique, Mohamed Mebtoul invitera au dépassement des aspects visibles de la question et proposera «l'éthique est le rapport au savoir. Le rapport noué entre les différents agents de l'université avec le savoir». Citant des témoignages d'étudiants, il affirme que «c'est la note qui donne un sens au fonctionnement de l'université et non la qualité de la formation». Evoquant les modalités de production des règles de l'université par le politique, Mohamed Mebtoul rappellera deux discours concernant l'Université algérienne correspondant à deux époques. Celui de Boumediene, quand il a appelé à «la prise d'assaut de l'université», et celui de Ben Bouzid en 1997, lorsqu'il était ministre de l'Enseignement supérieur, quand il a menacé les enseignants universitaires alors en grève de fermer les portes de cette institution. L'intervenant évoquera «la bureaucratie difforme» résultante «d'une prégnance d'une organisation flottante», qui a pour arrière-plan «une profusion de textes de lois brouillant le jeu social et favorisant le déploiement de la norme pratique». Des entretiens réalisés avec les étudiants, il retiendra la notion très courante de «boucler l'année», souci majeur de toute la communauté estudiantine. Et de s'interroger «l'université est un lieu de remise en cause, donc d'ouverture d'esprit». Pour sa part, Kaddour Chouicha, qui a assisté avec un dossard où on pouvait lire «où en sont les résultats de l'enquête» (forme de protestation contre la fraude), a axé son intervention sur «l'impunité devenue loi au sein de l'université». Il s'étalera sur le système de cooptation des responsables de l'université qui s'est substitué à celui de l'élection. Il notera que «la communauté universitaire, par son silence, porte une part de responsabilité de la situation dans laquelle se trouve actuellement l'université». «L'absence des contre-pouvoirs ne fait qu'aggraver l'impunité», soulignera-t-il. Ce qui se traduit par toutes les dérives sur le plan de l'éthique. Intervenant lors des débats, Lakjaâ Djillali, doyen de la Faculté de sociologie, affirmera que «le pourrissement de la situation de l'université prépare le terrain à sa privatisation», idée déjà dans l'air du temps. Il rappellera que le secteur industriel public et le foncier agricole sont passés par le même cheminement. Répliquant à un intervenant plaidant pour davantage de sélection quant à l'accès à l'université, A. Bouyacoub dira sur un ton fort «c'est une transgression de l'éthique que d'expliquer les problèmes de l'université par le nombre supposé élevé des étudiants».