Durant son premier mandat, le président Bouteflika a consacré l'essentiel de son énergie et son intelligence manœuvrières -remarquable au demeurant - à défaire les cercles et les forces qui, dans le pouvoir, voulaient le confiner, selon son expression, à l'exercice d'une «présidence trois quarts». Il y est magistralement parvenu, à telle enseigne qu'il est le chef de l'Etat qui concentre entre ses mains le pouvoir présidentiel le plus fort qui s'est exercé dans le pays depuis l'indépendance. La grande affaire de son second mandat a consisté à lever l'obstacle constitutionnel qui l'aurait empêché de briguer une troisième réélection. Il a mené celle-ci à «bon terme» également, mais de manière moins flamboyante et beaucoup plus discutable que celle qu'il a déployée dans son premier combat. Maintenant qu'il a obtenu son troisième mandat, se pose la légitime question de savoir quel est l'objectif que Bouteflika s'est fixé d'atteindre au long de son quinquennat. Les rumeurs créditant son frère Saïd de vouloir lancer un nouveau parti politique ouvrent une piste. Celle d'un Bouteflika qui, ayant pris la mesure que même une «présidence à vie», telle que l'a aménagée pour lui la révision constitutionnelle, a tout de même une fin, va chercher à baliser et à organiser sa succession. La création d'un parti présidentiel sous la coupe de son frère apparaît de ce point de vue tout à fait envisageable, d'autant que l'on sait le peu d'estime que Bouteflika nourrit à l'égard de l'alliance partisane présidentielle actuelle, qu'il a qualifiée de «mosaïque», et en laquelle il n'a qu'une confiance très limitée. Il n'est pas contre nature et antidémocratique qu'un président en exercice se préoccupe d'assurer sa succession. Ce qui pose problème, c'est qu'il envisagerait cette succession sous la forme de la perpétuation dynastique. Si la tentation prend forme, elle ravalerait l'Algérie au rang des républiques monarchiques qui sont en train de se multiplier dans le monde arabe et le continent africain. Un tel projet est indigne de la Révolution du 1er Novembre, même si les opportunistes professionnels ayant fait de cette révolution leur fonds de commerce lui apportent leur caution intéressée. Autant le combat engagé par Bouteflika pour réhabiliter dans toute sa plénitude la fonction présidentielle a été méritoire et lui a valu de ce fait le soutien populaire, autant celui qu'il s'avisera de mener pour asseoir une succession dynastique lui aliénera irrémédiablement l'estime et le respect de la nation. Un pareil projet, s'il est vraiment caressé, ne peut émaner que de la piètre considération dans laquelle l'on tient l'Algérie et son peuple. Il ne peut pour aucune raison être la solution à la stabilité du pays à laquelle il est censé correspondre, comme le chantent déjà les thuriféraires patentés de tous les régimes passés, présents et futurs.