L'accusation de «mensonge» formulée par le président français, Nicolas Sarkozy, à l'encontre des autorités algériennes après les «révélations» du général à la retraite François Buchwalter sur l'assassinat des moines de Tibehirine en 1996, a pour résultat de replonger les relations algéro-françaises dans une nouvelle spirale de turbulence, avec très certainement à la clef l'annulation de la visite d'Etat que le président Bouteflika doit effectuer à Paris dans les mois prochains en principe. Le président français ne pouvait ignorer qu'en reprenant à son compte les «révélations» du général à la retraite, il allait susciter la tempête en Algérie, et cela à un moment où les autorités de ce pays ont émis le signal qu'elles mettaient en sourdine la guerre mémorielle qu'elles ont menée pour obtenir de la France la repentance sur les crimes dont elle s'est rendue coupable durant la période coloniale. Il faut croire que Sarkozy ne tient pas autant qu'il l'a prétendu à la réconciliation entre son pays et l'Algérie. Peu lui importe donc de soulever des vagues dont les rapports franco-algériens vont pâtir. Il y a lieu d'essayer de décrypter les bénéfices qu'il espère tirer de l'exhumation de cette affaire des moines de Tibehirine, même au prix d'une fâcherie durable avec Alger. Le président français semble avoir en ligne de mire les autorités algériennes auxquelles il a fait, à sa manière cavalière, une «leçon de morale» en leur assénant le principe que «les relations entre les grands pays s'établissent sur la vérité et non le mensonge». Mais c'est à un tout autre objectif qu'il a voué la réouverture du dossier de l'assassinat des religieux français en Algérie. Pour le comprendre, il faut se souvenir qu'il y a peu, d'autres «révélations» ont agité la scène politico-médiatique française. Donnant pour cause, celles-là, un sombre règlement de compte à l'attentat qui a coûté la vie à une dizaine d'ingénieurs et techniciens français travaillant au Pakistan dans le cadre d'un contrat d'armement entre la France et ce pays. Les auteurs de ces «révélations» ont laissé entendre que cet attentat n'était pas le fait de terroristes islamistes et avancé l'hypothèse que des milieux officiels français n'y seraient pas étrangers, sur fond de guerre pour l'appropriation des dessous de table auxquels a donné lieu ce contrat. La piste donc d'une guerre souterraine franco-française a été développée. D'un côté, le clan des balladuriens, et de l'autre celui des chiraquiens. Il a été suggéré avec insistance que Nicolas Sarkozy, alors ministre du Budget et homme clef du premier clan, aurait été mêlé à cette sombre et sanglante magouille. Interpellé en tant que chef de l'Etat sur cette affaire, Nicolas Sarkozy est monté sur ses grands ergots pour dénoncer «l'irrationalité et la fausseté» des «révélations» faites autour d'elles. Il n'a néanmoins nullement promis la levée «du secret défense» sur les documents qui pourraient apporter la lumière sur l'attentat des coopérants français. Il s'est empressé de promettre cette levée concernant celui dans lequel sont morts les moines de Tibehirine. Parce que dans cette affaire, sont concernés des responsables français appartenant au clan chiraquien, qu'il soupçonne d'être à l'origine des «révélations» qui l'ont éclaboussé. Notamment Alain Juppé, le Premier ministre à l'époque, en qui il voit également son rival potentiel à l'élection présidentielle de 2012. En somme, la relance de l'affaire des moines de Tibehirine a cet avantage pour Sarkozy qu'elle met en accusation ses adversaires, tout en faisant oublier celle de l'attentat de Karachi. Et peu importe qu'au passage les relations algéro-françaises en subissent l'effet destructeur. Et dans le pays où la presse est, nous dit-on, indépendante et libre, l'occultation de la seconde est déjà chose faite.