D'un genre nouveau, ils écument les routes, répondant à la même logique que celle de la piraterie de haute mer, ils sévissent. Ni foi ni loi. A peine le barrage de contrôle routier dépassé, ils reprennent possession de la route. Conduisant leur engin de mort qui peut développer jusqu'à 400 chevaux Dyne, ils ne s'embarrassent d'aucune règle de conduite automobile. En débardeur, haut perchés dans une cabine à plusieurs mètres du sol, les yeux cachés par de gros verres fumés, le bras parfois tatoué, ils friment et font tout pour terroriser la route. Il est loin le temps où le routier aguerri avait un profil presque stéréotypé. Père tranquille, les cheveux grisonnants, il donnait l'impression de parler à sa monture qu'il bichonnait presque. Il abordait les pentes raides à la même vitesse avec laquelle il les montait, ne sollicitant que rarement les freins. Il prenait toujours la précaution en cas de panne, de garer le plus loin possible de la chaussée, à défaut, le triangle fluorescent est placé bien avant le lieu de la panne. Il avertissait de l'obstacle créé par son engin. Maintenant, ce n'est plus le cas, les novices peuvent quitter l'endroit en abandonnant l'amas de pierre qu'ils ont érigé à même la chaussée, avec une flaque de résidus huileux qui fera slalomer les véhicules après leur passage et à la moindre goutte de pluie. Si leurs engins sont lourdement chargés, ils se mettent à plusieurs pour ne laisser aucun espace entre eux, la procession peut durer ainsi sur plusieurs kilomètres. Si quelqu'un tente d'opérer une tentative de dépassement, il est vite dissuadé par l'embardée d'un des ces monstres d'acier dont le ronflement du moteur, le chuintement de la pression et la proximité du train de pneus participent à l'effroi. Si, par malheur, un autre mastodonte vient en sens inverse, les chances d'échapper à une prise en sandwich sont des plus infimes. Au cas où le dépassement est rendu possible, il faut se prémunir des objets, de toute nature, qui peuvent choir au moment où l'attention est focalisée sur la route. En dehors du conteneur, devenu un cas d'école, tout peut dégringoler du plateau du véhicule que l'on tente de dépasser : roulet de câblage, fardeau de briques, essaimage de sacs de ciment éventrés, objets hétéroclites et néanmoins meurtriers. Mal arrimés, ces « armes de destruction » ne font l'objet d'aucune solide fixation préventive. Il est à craindre aussi la chute d'une roue de secours abandonnée négligemment sur la remorque vide qui peut quitter le véhicule et faire des rebonds incontrôlés sur la route. Le déjantage d'une roue n'est pas à écarter au moment crucial du dépassement. Le plus surprenant dans ces « sinistres » roulants, c'est qu'ils passent souvent à la barbe des contrôles routiers pourtant fréquents sur les routes. Il suffit d'un simple coup d'oeil avisé, pour constater le déséquilibre flagrant imprimé par les surcharges d'un côté plutôt que de l'autre. Le gonflage approximatif des pneumatiques renseigne sur le manque de formation et, par conséquent, d'expérience de ces timoniers dont le seul souci est de rallier au plus vite leur destination. Les vertigineux chargements, qui emboutissent souvent les viaducs et autres passerelles en perdant dangereusement leurs contenus, sont de plus en plus tolérés. La frénésie de la performance fait faire des navettes inimaginables. L'épuisement et le manque de sommeil sont à l'origine de nombreuses tragédies routières. Les axes les plus meurtriers sont ceux du trafic sablier ; les processions ininterrompues de et vers les gisements sont à inscrire dans le registre de la démence. La ruée vers le sable, à l'instar de celle de l'or, fait malheureusement son lot de victimes. Dans les Hauts Plateaux et au Sud, la platitude du terrain et la rectitude de la route offrent l'occasion à ses masses de ferrailles, de faire des pointes de vitesse que les véhicules légers arrivent difficilement à atteindre. Les 12 rapports les rendent plus véloces que n'importe quelle grosse cylindrée. La monotonie du relief aidant, les « spartiates » peuvent se laisser aller à la nonchalance et il n'est nullement surprenant de voir un pied sortir à travers la vitre baissée... côté conducteur bien sûr ! En fonçant derrière vous, ils ne se suffisent pas d'un appel de phares, mais d'un effrayant coup de trompette à pression qui rappelle le beuglement d'un navire... et ça a de quoi faire chavirer. Après le dépassement, c'est la pluie de gravillons qui viendra s'abattre sur le pare-brise ou le nuage de poussière opaque qui vous plongera dans un black-out tâtonnant. Ca oblige souvent à ralentir et à prendre l'extrême droite si, toutefois, le bas-côté le permet. Il est d'ailleurs remarqué que depuis l'introduction de l'asphaltage à l'enrobé, les bas-côtés sont atrocement déclives par la superposition des couches successives de bitume. Ces pièges mortels ne sont comblés qu'en fin de chantier ; et c'est souvent trop tard, les dommages occasionnés sont déjà préjudiciables à plus d'un titre. Après l'épuisement de toutes les voies pour endiguer cette sinistre hécatombe, les « cavaliers de l'apocalypse » continuent à semer la désolation, le deuil et, dans le meilleur des cas, des invalidités à vie. Le bulletin de la Gendarmerie nationale de la semaine précédant le début du Ramadan faisait état de plus d'une centaine de collisions meurtrières en une décade, avec un ratio de 11 décès par jour. La principale cause en est les poids lourds (camions et bus) à hauteur de 75 %. A propos des bus, il est constaté que ce sont les transports urbains et suburbains qui font les frais de l'hécatombe. Là aussi, c'est la frénésie du gain qui est la principale cause des dépassements dangereux, des dérapages, des renversements et des chutes dans l'abîme. Le complice conscient en est le passager. Insouciant et détaché de ce qui peut lui advenir, il participe par sa placidité à sa perte. Le problème est cerné, que faut-il en déduire en dépit du durcissement des dispositions de l'ancien et du nouveau Code de la route ? D'après M. Lazouni, cette tragique dérive ne peut trouver de remède, que dans la sensibilisation et dans la fermeté dans l'application des dispositions légales. Et puis encore. L'illettrisme détient une part non négligeable dans la problématique des « meurtres routiers ». Il se trouvera toujours des maîtres en robe noire pour défendre ces criminels. Quelle différence y a-t-il entre un crime de sang prémédité et un chauffard qui roule à tombeau ouvert, faisant fi de toutes les règles de sécurité routière. Conduire sans permis ou sans police d'assurances, ne relève-t-il pas de la préméditation ? Il se trouvera, aussi, des parents qui « maquilleront » l'accident en prenant après coup, le volant aux lieu et place de leur progéniture en situation de délit. Les causes de la déliquescence sont à chercher ailleurs que dans la sensibilisation ou autre causalité. L'origine du mal est à chercher au niveau de la formation et de l'examination. Tout le monde sait que certaines écoles de conduite proposent des formations à la carte : le permis « assuré » et le permis ordinaire qui peut traîner en longueur. Le deal entre « l'ingénieur » et le moniteur est à peine voilé. L'examen de conduite est le seul examen évaluatif des connaissances validé par une seule et unique personne, l'examinateur en l'occurrence. Il serait judicieux et même impérieux de confier la validation de ce document, attestant de la capacité de conduire, tant convoité, à la commission dite « de retrait de permis de conduire » qui siège au niveau de toutes les wilayas, à qui il faudrait adjoindre, cependant, un psychologue. L'état de jubilation de certains conducteurs au volant n'est pas fait pour rassurer. L'action de cette instance sera d'autant préventive qu'elle agira en amont des « désastres ». La délivrance d'un permis de conduire devra répondre aux mêmes critères exigibles pour celle d'un permis de port d'armes. L'objet recherché n'est-il pas le même pour l'une que pour l'autre ?