On ne naît pas pirate de mer, on le devient par la force des choses. Les pirates somaliens qui écument les eaux maritimes du golfe d'Aden et de l'océan Indien, d'où transitent annuellement quelque 20 000 navires marchands, n'ont pas versé dans cette activité, certes très lucrative, par hasard. Plusieurs motivations sont derrière la naissance de la piraterie dans cette zone stratégique, qui en globe la Somalie, en proie depuis 18 ans à une guerre civile qui a ravagé le pays. D'abord, cette situation de non-Etat de la Somalie, où des clans dirigés par des seigneurs de guerre, se disputent par les armes le pouvoir. Ensuite, «les activités de piraterie» auxquelles s'adonnent les navires de pêche étrangers dans les eaux territoriales de ce qui reste de ce pays. En effet, les eaux territoriales somaliennes réputées très riches en thon sont aussi les plus poissonneuses du monde et aiguisent l'appétit des braconniers des mers qui s'en servent librement, d'autant qu'aucune autorité en face n'est installée pour les en empêcher. Puis la plupart des navires qui empruntent la zone incontrôlée y déversent leurs déchets dans une totale impunité, polluant l'environnement et ajoutant au drame des Somaliens. Enfin, d'anciens pêcheurs paisibles jetés dans la disette et leurs enfants à peine sortis de l'adolescence ont été contraints par la misère à défendre leur droit à la vie, en se faisant pirate. Au commencement, soit à partir de 2005, ces petits pêcheurs décidaient de protéger leur source de survie, en décidant de pousser hors des eaux somaliennes les braconniers et les pollueurs par les armes, jouant aux gardes-côtes en l'absence de vrais surveillants des mers. Depuis au moins deux ans, les pirates, qui s'attaquent à tout ce qui bouge dans cette zone, ont grandi et ont acquis de l'expérience, rejoints il est vrai par d'autres ressortissants somaliens rompus aux armes, à la faveur de la guerre civile qui prévaut dans ce pays. Flibustiers des temps modernes Aujourd'hui, nul ne peut vraiment dessiner le véritable profil du pirate des mers et encore moins les commanditaires de cette nouvelle activité très rentable. Il paraît que les chefs de clans qui se partagent les régions somaliennes aussi bien au sud, qu'au nord-est, où s'est autoproclamée région autonome le Puntland, comme au Somaliland, autoproclamé Etat indépendant, donnant sur le golfe d'Aden, non reconnus, tirent profit de ces actes de pirateries qui foisonnent. Rien que pour l'an dernier, les pirates somaliens ont attaqué plus de 130 navires marchands, une hausse de plus de 200% par rapport à 2007, selon le Bureau maritime international, et à l'heure qu'il est au moins 20 navires sont entre leurs mains. Ces actes rapportent, paraît-il, des fortunes et les chefs de ces flibustiers des temps modernes vivraient comme des nababs, pendant que les populations somaliennes crèvent la dalle du fait de la guerre civile, qui a fait entre 300 000 à 500 000 morts, alors que des centaines de milliers d'autres ont été contraints à l'exil vers les pays voisins ou à l'intérieur du pays. La prospérité des pirates provient des rançons versées par les armateurs de bateaux attaqués. On parle de 25 000 dollars par bateau libéré, bien entendu après d'âpres négociations, qui doivent se dérouler dans le secret le plus absolu, faute de quoi la rançon serait revue à la hausse. Selon des sources militaires occidentales, les actes de piraterie ont rapporté l'an dernier à leurs auteurs au moins 100 millions de dollars. Le plus gros est allé aux chefs de guerre qui dirigent la partie nord-est de la Somalie et qui faisaient jusque-là dans le trafic des migrants vers le Yémen. Ainsi, ceux parmi les journalistes téméraires qui s'y sont rendus ont rapporté qu'au Puntland, «les attaques de navires ont rapporté 30 millions de dollars en 2008. Une fois et demi le budget du Puntland, région autonome qui est la seule à ressembler encore à un Etat dans ce pays livré au chaos. Alors que Mogadiscio, la capitale somalienne, est en ruine, Eyl se développe de façon spectaculaire : les rues sont bordées de nouveaux bâtiments, grouillent de 4x4 et l'on y voit des ordinateurs portables, des téléphones satellitaires et des GPS à foison». Ces sources ont affirmé que «les jeunes filles rêvent d'épouser des pirates. Et les enfants dès le plus jeune âge veulent imiter leurs héros. Il est vrai que le ‘'discours légitimateur'' de leurs idoles est bien rodé. Ils se présentent comme des garde-côtes». Les renseignements viendraient de Londres Les pirates, dit-on, n'attaquent pas au hasard leurs cibles. Selon une récente information rendue publique par un média espagnol, ils sont renseignés «depuis Londres par des informateurs bien placés sur leurs cibles». Pour ce média, qui cite des sources auprès des services de renseignement d'un pays européen, «ces informateurs basés dans la capitale britannique informent les chefs des pirates somaliens par téléphone satellitaire des bateaux qu'ils doivent attaquer, en leur fournissant des détails précis sur leur route, cargaison et nationalité». Mieux encore, «l'information que fournissent volontairement les navires marchands qui transitent dans la zone à différents organismes internationaux finit entre les mains des pirates». C'est dire que cette activité intéresse des milieux qui ne sont pas seulement basés en Somalie. Du reste, les écumeurs des mers disposent d'un code de conduite écrit, contrairement aux anciens flibustiers dont l'activité était régie par un simple code d'honneur. Ainsi, d'après un document récupéré sur une cellule de pirates par la force militaire européenne (Atlante) mise en place en janvier dernier, pour combattre la piraterie dans cette zone, «l'entreprise» disposerait d'«un tribunal de campagne, d'un barème d'amendes et un code de conduite», cela ferait des pirates somaliens «l'une des forces armées les mieux organisées de ce pays». Ainsi, ils formeraient «une sorte de confrérie paramilitaire régulée par un système complexe de règles et de sanctions. Ils sont organisés en une multitude de petites cellules avec deux bases principales situées dans les ports d'Eyl, dans la région autoproclamée autonome du Puntland, et plus au sud à Harardere», constate-t-on. L'un deux a révélé à un média occidental qu'il y aurait «des centaines de petites cellules, toutes connectées les unes aux autres». «Nous nous parlons chaque matin, échangeons des informations sur ce qui se passe en mer et si un bateau est capturé, nous organisons les préparatifs à terre pour envoyer des renforts». En outre, «les pirates s'interdisent les méthodes violentes des milices et chefs de guerre», a-t-il expliqué. Ils auraient leur propre tribunal pour juger les litiges et les conflits internes. Cette entreprise très bien organisée met en cause depuis deux ans les intérêts des pays qui font transiter leurs navires par ces lieux très dangereux. Aussi, aux côtés de la force européenne, l'Otan s'est engagée dans la lutte, sans grand succès du reste, puisque les actes de piraterie se poursuivent de plus belle. Il est vrai que des opérations militaires ont donné lieu à des arrestations, mais ce qui manque, c'est une législation internationale pour juger les pirates appréhendés. Depuis quelques années, ils sont jugés dans l'illégalité au Kenya voisin, à la faveur d'une décision des Etats-Unis qui avait livré à ce pays un groupe de pirates arrêtés par la Navy. Depuis, c'est au Kenya qu'on transfère les personnes arrêtées. La région du Puntland juge également les détenus, mais les jugements prononcés par les tribunaux ici ne sont pas reconnus, faute d'Etat. Certains pays comme la France détiennent toujours un groupe de pirates, mais ce pays n'a aucun droit de les juger par un tribunal français faute de loi y afférente. Selon un expert, en France, «en examinant les textes, on ne relève aucune mention claire d'un tribunal compétent, ni d'incriminations spécifiques, ni d'une procédure précise qui permettent d'engager des poursuites». Que faire ? Pour lui, la vingtaine d'ex-pirates emprisonnés en France, depuis 2008, le sont «alors qu'aucune loi ne leur est vraiment applicable. Seuls les tribunaux maritimes seraient compétents, ils ont été supprimés». Récemment, un tribunal espagnol s'est déclaré incompétent pour juger un groupe de pirates arrêtés par la marine espagnole. Que faire ? La Russie vient de proposer la mise sur pied d'un mécanisme international pour suppléer à ce vide juridique. Les Nations unies qui ont adopté une résolution prônant la lutte contre la piraterie n'ont pas fait mieux pour l'heure. Faute d'une législation internationale, les pirates poursuivent leur activité. Les navires traversant cette zone sont pour la plupart accompagnés d'escortes issues de pays auxquels ils appartiennent. recrudescence des attaques a fait flamber les tarifs des assureurs. Quand on dit que le malheur des uns… Les armateurs doivent payer plus les assureurs, pour pouvoir emprunter le passage court de la Somalie, au lieu de contourner l'Afrique par l'ouest, un trajet plus long et plus coûteux. Ainsi, chacun y trouve son compte, y compris les pirates ! A telle enseigne que même des sociétés privées de sécurité proposent leurs services pour protéger les navires. En attendant, la communauté internationale et les pays puissants devraient aider la Somalie à retrouver sa stabilité… et les anciens pêcheurs leurs activités, si l'on veut que les actes de piraterie cessent.