Voilà de nouveau revenu le temps des pirates, avec son côté épique, mais néanmoins dangereux pour les voies de communication mondiale. Et il se trouve justement que les pirates des temps modernes sévissent dans une zone que l'on dit non seulement la plus fréquentée par les gros tonnages, mais qui constitue une artère vitale pour les économies mondiales. Et pour cause, c'est la route du pétrole. Celle qu'empruntent les superpétroliers chargés d'approvisionner les plus gros consommateurs de la planète. Ou encore, cela apparaît comme un défi pour une zone sous contrôle des grosses puissances qui justifient leur présence, souvent lourde, par ce qu'elles appellent la lutte contre le terrorisme. C'est là justement où apparaît un fort sentiment de suspicion à leur endroit. Ne fermeraient-elles pas les yeux pour justifier leur présence ? Une question peut-être comme les autres, mais elle porte, en elle, de sérieuses interrogations. Une zone que l'on dit aussi sous haute surveillance avec de nombreux satellites. Un fiasco, serons-nous tentés de dire, puisque des Somaliens sans gros moyens arrivent à narguer ces grosses machines déployées pour assurer l'ordre mondial. Il reste que des voies de communication comme le Canal de Suez sont désormais menacées dans leur existence, avec la chute du trafic, ce qui a amené les autorités égyptiennes et celles des pays qui bordent cette voie d'eau à se réunir sous le sceau de l'urgence ; cette fois, il y a péril en la demeure, puisque de tels actes se sont multipliés de façon exponentielle et « incontrôlable », a averti le Bureau maritime international (BMI). « La situation est déjà devenue incontrôlable », a estimé Noël Choong, directeur du Centre d'observation de la piraterie du BMI basé à Kuala Lumpur. « Les Nations unies et la communauté internationale doivent trouver la parade pour mettre fin à cette menace », a-t-il ajouté. Sans quoi, « en l'absence de dissuasion, avec des risques faibles et la perspective de gains élevés pour les pirates, les attaques vont continuer », prévient-il. Cet expert ne s'est pas trompé, lui qui ne pouvait rien faire d'autre que de compter les actes de piraterie et les appels de détresse lancés par les équipages et les armateurs. Son avertissement survient après la spectaculaire attaque d'un super-pétrolier dans l'océan Indien à plus de 450 miles nautiques (800 km) au sud-est de Mombasa (Kenya).Le chef d'état-major interarmées américain, l'amiral Michael Mullen, s'était lui-même déclaré « surpris » mardi dernier par le rayon d'action des pirates. « Ils sont bien armés. Tactiquement, ils sont très bons », a-t-il estimé. La prise de contrôle du mastodonte, trois fois plus grand qu'un terrain de football et trois fois plus lourd qu'un porte-avion, est l'opération de piraterie la plus spectaculaire jamais menée. « Nous assistons à une nouvelle génération d'attaques. Nous sommes très préoccupés par le fait que ces pirates peuvent porter leurs attaques de plus en plus loin », a ajouté Noël Choong. Selon le BMI, depuis janvier, 94 bateaux ont été attaqués par des pirates au large de la Somalie et dans le golfe d'Aden. 38 navires ont été saisis, dont 17 sont toujours aux mains des pirates avec 250 membres d'équipage. Le Premier ministre somalien, Nour Hassan Hussein, estime que la piraterie participe d'un phénomène international qui va au-delà de la région de la Corne de l'Afrique. Selon lui, les patrouilles maritimes internationales ne suffiront pas à éradiquer le phénomène de la piraterie et assure que celui-ci n'est pas cantonné à la Somalie. « Nous sommes désolés, mais ce problème de piraterie n'est pas cantonné seulement à la Somalie ; il affecte l'ensemble de la région, il affecte le monde. » « Les opérations navales à elles seules ne sont pas suffisantes, car les pirates disposent d'un réseau, ce qui veut dire un réseau opérationnel, ce qui veut dire en mer, à terre et aussi parfois à l'étranger », affirme-t-il. « Je crois que tout cela est lié à d'autres organisations. Je ne pense pas qu'il s'agisse purement et simplement de piraterie somalienne. » « Il y a des groupes criminels, assurément, du moins c'est une hypothèse. Mais bien sûr, on y verra plus clair dans les mois qui viennent. » Un certain nombre d'experts de la région n'excluent pas que les pirates somaliens bénéficient de l'aide de hors-la-loi yéménites et nigérians et que les butins — notamment les rançons obtenues des armateurs des bateaux détournés — finissent entre les mains de groupes « terroristes » internationaux. C'est pourquoi ils estiment que, en plus de dépêcher des navires de guerre dans la région, la communauté internationale devrait se pencher sur les réseaux financiers susceptibles de recycler les dizaines de millions de dollars de rançon perçus rien que cette année. Hussein fait valoir que son fragile gouvernement fédéral de transition somalien n'a pas les moyens de s'attaquer au phénomène, et il réclame à la communauté internationale qui le soutient une aide pour mettre sur pied des garde-côtes dignes de ce nom. Hussein reconnaît le rôle dans cette situation de l'héritage de plus d'une décennie de guerre civile en Somalie, marquée par l'absence d'Etat de droit, l'omnipotence des chefs de guerre et la pauvreté. Le monde a fini par se détourner de ce qui est devenu une source de danger. Une nouvelle résolution doit être adoptée incessamment par les Nations unies. Sera-t-elle suffisante pour combattre ce phénomène que l'on tend à restreindre à cette seule partie du monde, alors qu'il existe en d'autres endroits ?