De tous les domaines de coopération mais aussi de confrontation potentielle entre les deux rives de la Méditerranée, l'énergie occupe incontestablement une place à part. En effet, les enjeux qui lui sont liés ainsi que les nombreuses incertitudes économiques et géopolitiques qui l'entourent en font une question fondamentale qui nécessite un examen approfondi. C'est l'objet d'une Note de l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen (IPEMED) (*). Le document, rédigé par l'expert Mustapha K. Faïd (**), a ainsi pour but de dresser un panorama de la situation énergétique dans la zone euro-méditerranéenne tout en analysant les contraintes et les solutions qui en découlent. Consommation importante au Nord, réserves au Sud Mustapha K. Faïd dresse en premier lieu un constat qui met en lumière les principaux déséquilibres entre les deux rives de la Méditerranée en matière d'énergie. Ainsi, le Nord consomme-t-il trois fois plus d'énergie que le Sud, la consommation annuelle par habitant n'étant que d'une tonne-équivalent pétrole (tep) au Sud contre 3 tep au Nord. De façon générale, la région tout entière va être confrontée à une augmentation notable de la demande en énergie, cette dernière passant de 1005 millions de tep en 2006 à 1360 mtep en 2020. «Les niveaux élevés de la demande risquent d'engendrer des tensions au niveau de la disponibilité», avertit l'auteur. Pour lui, «les investissements nécessaires seront considérables, alors même que les industries pétrolière, gazière et électrique connaissent actuellement une hausse des coûts d'engineering et de construction sans précédent, et des pénuries importantes de main-d'oeuvre spécialisée». Dans le même temps, caprices de la nature obligent, les ressources énergétiques se situent essentiellement au sud de la Méditerranée avec environ 5% des réserves mondiales de pétrole et de gaz naturel. Cette réalité géographique fait de la région sud-méditerranéenne un partenaire énergétique incontournable pour l'Union européenne. A cet égard, le cas du gaz naturel est édifiant, un pays comme l'Algérie étant appelé à passer de 60 milliards de mètres cubes exportés en 2006 à 110 milliards en 2020. Une évolution qui fait de ce pays un élément clé pour la sécurité énergétique de l'Europe. La sécurité énergétique: un défi commun aux deux rives de la Méditerranée Quelques chiffres fournis par l'auteur résument l'enjeu énergétique entre les deux rives de la Méditerranée. 70% des exportations de pétrole et 90% de gaz naturel en provenance du sud de la Méditerranée sont destinées à l'Europe. Cette région est donc un client quasi unique pour les exportateurs du Sud (Algérie, Libye et Egypte). Pour autant, l'Europe cherche à diversifier ses sources d'approvisionnement et les hydrocarbures que lui fournit la rive sud de la Méditerranée ne dépassent pas 15% du total de sa consommation. Mustapha K. Faïd rappelle que tous les pays méditerranéens, qu'ils soient ou non producteurs, ont des inquiétudes en matière d'énergie. Ceux du Nord s'inquiètent pour la sécurité de leurs approvisionnements et, dans le cas du gaz naturel, de la «mise à disposition en temps voulu» des quantités nécessaires. Pour les pays du Sud, qui ne sont pas producteurs d'énergie (Tunisie, Maroc,...), c'est le coût sans cesse croissant des importations d'hydrocarbures qui pose problème. Enfin, les pays producteurs du Sud n'ont toujours pas réussi à résoudre leurs problèmes de développement économique et social. Au passage, l'auteur déplore les conséquences de la libéralisation du marché de l'énergie en Europe. Une décision unilatérale qui a augmenté les inquiétudes des opérateurs et «mis à mal les relations de confiance mutuelle qui s'était établie entre les compagnies européennes et leurs fournisseurs» du Sud. «A cause de la concurrence, note l'expert, les importateurs sont confrontés à une plus grande incertitude sur les ventes futures et la disponibilité de la ressource, cette incertitude se transmettant aux exportateurs.» L'énergie un rôle moteur pour l'Union pour la Méditerranée Cette question de la sécurité énergétique mais aussi quelques déséquilibres inquiétants (la zone méditerranéenne est déficitaire en carburant diesel mais excédentaire en essence, ce qui pose des problèmes de sources d'approvisionnement dans un cas et de débouchés commerciaux dans l'autre) devraient pousser les dirigeants des deux rives de la Méditerranée à faire de l'énergie l'un des socles de l'Union pour la Méditerranée (UPM). «C'est paradoxalement l'inégalité dans la répartition des ressources énergétiques entre les pays méditerranéens qui pourrait être la base de la mise en place d'une interdépendance recherchée et acceptée, économiquement et politiquement viable et surtout progressive, avant d'aboutir à moyen terme à la construction d'un ensemble économique à croissance élevée durable», note ainsi Mustapha K. Faïd. L'expert ébauche quelques pistes concrètes pour faire de l'énergie un facteur fédérateur en Méditerranée où serait consacré le «principe selon lequel les intérêts du consommateur et des producteurs ne sont pas opposés mais convergents». Parmi ces pistes, Mustapha K. Faïd retient: - La multiplication des partenariats Nord-Sud. - Le développement de la pétrochimie et des domaines miniers en Afrique du Nord de façon à faire de cette région une plate-forme d'approvisionnement en hydrocarbures et en produits pétroliers pour le Nord. - Le développement des marchés locaux au Sud afin d'améliorer l'accès pour tous à l'énergie. Une piste qui oblige à ne pas uniquement «se focaliser sur les projets exportateurs». Deux projets pour un développement durable commun Enfin, Mustapha K. Faïd présente deux projets soutenus en 2007 par l'Observatoire méditerranéen de l'énergie (OME) destinés à soutenir le développement durable en Méditerranée. Il s'agit d'un projet régional solaire et de la création d'un Fonds carbone méditerranéen. Dans le cas du projet solaire, des centrales de production d'électricité à partir de l'énergie solaire combinées à la fabrication au Sud d'équipements dédiés (panneaux, capteurs,...) permettraient une baisse de la consommation de gaz naturel au sud de la Méditerranée et, du coup, une augmentation des exportations à destination du Nord. De son côté, le Fonds carbone méditerranéen pourrait servir d'instrument pour investir dans les projets conformes au mécanisme de développement propre (MDP) qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Contrairement à l'Asie et à l'Amérique latine, la Méditerranée est loin de tirer profit de ce mécanisme et la création d'un fonds carbone pourrait modifier la donne. (*) Document disponible sur www.ipemed.coop (**) Mustapha K. Faïd est président de SPTEC Conseil, société de conseil et d'études, spécialisée dans le domaine de l'énergie. Ancien vice-président en charge du marketing et du développement économique de Sonatrach, leader algérien et méditerranéen de l'industrie pétrolière, il a également été directeur général de l'Observatoire méditerranéen de l'énergie (OME).