En dépit de l'enquête très fouillée diligentée par la présidente d'audience, Mme Mâalem, beaucoup de zones d'ombre entourant le procès du présumé espion égyptien subsistent. Surtout des interrogations comme «pour qui roulait ce jeune espion ?», «sur quoi portait exactement l'objet de sa mission secrète ?», «pourquoi a-t-il agi plutôt en amateur ingénu pour transmettre les renseignements au moyen d'un CD qui n'est même pas crypté, et par le biais d'un porteur de courrier travaillant comme receveur d'autocar ?», demeurent entières. Après la lecture du long acte d'accusation, Mohamed Ahmed Mohamed Ibrahim est invité à la barre. Les mains derrière le dos, le visage pâle et inexpressif, l'Egyptien répond aux questions de la magistrate. Dans un arabe classique à l'accent égyptien, l'accusé décline son curriculum vitae à la barre. D'après le débat, ce jeune Alexandrin de 24 ans est entré en Algérie le 2 juillet 2008 pour officialiser un contrat de travail avec une entreprise égyptienne, dénommée Sub Sea Petrolio Services, un sous-traitant de la filiale Société de gestion des terminaux d'hydrocarbures, de Sonatrach. Plongeur sous-marin, il est spécialisé dans les manoeuvres de montage, entretien et réparation en milieux poreux et marin. Au niveau de la zone pétrochimique du port d'Arzew, il intervenait notamment sur les pétroliers, les méthaniers et le dock flottant. A peine a-t-il bouclé trois mois dans ce chantier naval et pétrolier qu'il sera dans le point de mire de la sécurité portuaire. Deux faits ont éveillé les soupçons autour de cet étranger. Deux colis postaux qui lui ont été envoyés, portant le nom du destinataire, «Mohamed El-Askandarani El-Ghaouas» (Mohamed l'Alexandrin le plongeur), et une valise qu'il devait recevoir de la part d'une amie. Comme il ne pouvait pas quitter l'enceinte portuaire sauf cas urgent bien précis, il chargeait tel ou tel collègue de travail d'aller lui ramener les colis du bureau de poste de la ville et également un porteur de courrier travaillant comme receveur d'autocar dans la ligne interwilayas Sétif-Oran. Un agent de sécurité n'a pas hésité à informer ses supérieurs sur le comportement louche du technicien égyptien. Mis en filature et sous écoute, une souricière lui sera tendue. Le 21 octobre 2008, le porteur de courrier sera arrêté en possession d'un CD qui, après exploration, s'est avéré contenir douze photos de sites stratégiques du complexe pétrochimique et des infrastructures portuaires d'Arzew, interdites à la photographie. Le «messager» qui devait remettre le CD de l'Egyptien à la même femme qui l'avait chargé d'acheminer la valise à l'expéditeur, dit ignorer complètement le contenu et la nature du CD. Selon lui, il n'a fait qu'acheminer un colis d'un client à un client, comme le font beaucoup de chauffeurs de taxi et de receveurs de bus. Grâce au numéro de téléphone, l'expéditrice de la valise a été identifiée puis arrêtée. C'est une femme au foyer, résidente à Sétif, mère d'un enfant d'un an et demi, d'une famille nombreuse très modeste, pour ne pas dire pauvre. Quel est le lien entre cette femme et l'Egyptien ? Comment ils se sont connus ? La juge, et encore davantage le représentant du ministère public, insistaient là-dessus. Ils ont fait connaissance par «pur hasard», à en croire leurs déclarations. Plus loin, la juge revient sur les cadeaux alléchants que cette femme envoyait à l'Egyptien, dont des parfums de marque, une valise contenant des habits de luxe pour la dot de la soeur de l'Egyptien, une somme de 1.000 euros pour que ce dernier puisse réhabiliter son appartement à Alexandrie, entre autres. «Quelle générosité, quelle charité !», s'exclame la juge. En ajoutant : «Mais toi tu es pauvre, lui gagne 400 dollars par mois. C'est lui qui devait t'offrir des cadeaux et non l'inverse ». Le procureur général a requis la peine maximale prévue par la loi contre les trois accusés. A la fin des délibérations, le ressortissant égyptien a été condamné à 15 ans de prison, la femme à 10 ans de prison. Le porteur du courrier a été acquitté.