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L'architecte homme libre
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 20 - 01 - 2010

Comme beaucoup, je constate que le débat sur l'architecture n'a pas encore eu lieu dans notre pays, malgré les assises de l'architecture de 2006, lesquelles ont d'une part rassuré nos diplômés d'architecture dans leurs convictions technico bureaucratiques, et d'autre part, consacré les programmes d'Etat qui amochissent notre environnement urbain.
En Algérie, ce débat ne peut être possible que si : les institutions chargées de l'enseignement de l'architecture sont dotées de la liberté nécessaire à leur développement artistique et créatif pour former les meilleurs architectes possibles, donc diminuer l'emprise du choix politique dans leur formation, : on donne la priorité aux enseignants impliqués, ce qui n'est pas toujours le cas pour de nombreuses raisons liées particulièrement, à l'actuelle politique de recrutement en outre, qui ne respecte pas suffisamment l'intellectuel en général et qui favorise l'intrusion dans l'enseignement d'éléments qui ne rendent pas service à nos institutions universitaires à cause de l'absence de leur engagement productif (à différencier la production intellectuelle : celle de la réflexion en terme de discours et de savoir, de l'éthique qui cache l'essentiel, comme la forêt qui cache l'arbre), 3 : l'on s'intéresse à l'état global de nos jeunes, vidés, découragés, je dirai même brisés quand ils arrivent généralement à nos universités, à cause du chaos qui règne dans les cycles précédant le niveau universitaire.
L'université algérienne est malade de l'autorité abusive de l'Etat et de ses institutions de complaisance, des projets d'uniformisation nationale des programmes, de la bureaucratisation de ses services qui entravent la recherche ; ce qui ne permet pas essentiellement à nos départements de se singulariser grâce aux spécificités du local. Elle est malade de l'idée de reprendre absolument les réformes européennes se révélant souvent inadaptées à nos contextes, et plus précisément à nos compétences(1). C'est que nous n'avons pas un projet d'université issu éventuellement de « notre histoire et de sa culture diversifiée », nous sommes malades de l'idée nationaliste de nature régressive.
Actuellement, la majorité pense que notre université est celle de la faveur, de l'opportunisme et de la répression politico politiciens, du fait que le plus souvent les responsables ne sont pas désignées selon leur engagement scientifique, leurs contributions, mais plutôt selon leur allégeance, leur servilité, leur adhésion à tel et tel parti, leur dépersonnalisation en la faveur d'un système dont il faut absolument assurer la longévité malgré son caractère suranné(2) et aux prix d'actions répressives(3).
C'est dans ce contexte lourd de ses propres traditions handicapantes et de ses entraves procédurières que l'enseignement de l'architecture, malgré l'arrivée du LMD(4), demeure « général », fondé comme nous le remarquons chez nous, sur des expériences disparates inspirées d'ouvrages d'auteurs étrangers, sans effort de contextualisation, et de compréhension des situations locales.
Le LMD, réforme imposée est arrivée sans avoir fait l'effort de tirer des leçons de l'ancien système appelé actuellement système classique. A titre d'exemple, le LMD arrive dans une conjoncture où le débat sur le patrimoine devient public, mais cela ne veut pas dire pour autant que l'université procède à son propre décloisonnement. Preuve est que face au discours officiel de la professionnalisation de l'université, nous continuons à assister à l'isolement de cette dernière et de ce fait au délabrement et à la perte continue de nos héritages historiques, parce que nous n'arrivons pas à former des talents libres et engagés, situation qui autorise des opérations médiocres de pseudo restauration comme celle qui a défiguré la grande mosquée d'Oran dont il faut, selon nous, punir les auteurs qui n'ont pas hésité à détériorer un bien public et un élément fort de la mémoire de notre ville.
En ce sens, si le décret présidentiel de 2006 fut avant-gardiste et permet aux enseignants de pratiquer la maîtrise d'oeuvre, signe d'ouverture pouvant donner aux universitaires la possibilité de vérifier leurs théories, l'université algérienne très politisée, très administrée par le biais du pouvoir politique et jamais par le pouvoir du choix des universitaires eux-mêmes, ne sert à ce jour, selon des réseaux très opaques et maintenus par la logique du favoritisme, que de moyen de légitimation des projets médiocres des différentes administrations de la construction.
C'est aussi pour cela que j'insiste sur cette distinction claire entre l'Architecte qui est plutôt animé par sa sensibilité, sa perception aiguë du détail et son intelligence émotionnelle qui lui permet de le mettre de façon judicieuse en spectacle, et le diplômé d'architecture qui croit que l'architecture est un statut et dans l'économie «radine» des comptables, dans l'application de telle et telle loi et la gestion technocratique des projets.
Généralement, un diplômé d'architecture issu de nos départements est insensible à la conception philosophique du projet et par-là, à l'esprit de l'architecture. La pensée architecturale qui le distingue du constructeur lui est presque inaccessible. Il ne saisit pas clairement que l'oeuvre dont il est le créateur est dans sa capacité à émouvoir. « La création est la première raison d'être d'un architecte.»(5).
Nous nous interrogeons sérieusement sur le cas de nos diplômés d'architecture qui adhèrent facilement aux prescriptions technico technocratiques de nos administrations, celles-là mêmes qui imposent des cahiers de charge d'une aberration indéniable et qui ne recrutent pas parmi les meilleurs. Nos administrations n'ont jamais compris que l'architecte n'est pas une entreprise, que l'évaluation du projet relève de l'art au sens très particulier que DURAND, Guadet, Le CORBUSIER et plus récemment NIEMEYER entendent, que le projet est l'oeuvre de l'Architecte dont la production est essentiellement individuelle. Que le projet évolue depuis sa genèse à son inauguration et qu'il peut avoir plusieurs vies.
KAHN qui fut un enseignant remarquable, admirait les projets lors de leur construction et dans leur état de ruine(6). Il faut un sacré effort, l'effort de l'intelligence émotionnelle comme nous le disait récemment notre ami SILARBI (Hamid), pour comprendre KAHN qui disait que « l'architecture n'existe pas. Seul l'esprit de l'architecture existe et le projet d'architecture est offert en offrande à cet esprit.»(7).
Notre pays a favorisé l'ingénieur pour des raisons d'opérationnalité, et a eu la maladresse de ne pas voir qu'un ingénieur a peu de chances de saisir par exemple l'exception du complexe des Andalouses, aujourd'hui enveloppé de constructions et d'hôtels affreux, qui ne méritent pas plus que d'être rasés au bulldozer pour rendre au complexe son prestige architectural.
Par cette oeuvre remarquable, POUILLON (Fernand) nous a donné l'occasion d'admirer, en direct, une architecture pittoresque et authentique, mais aussi sublimée du fait qu'elle semble revenir de loin, de siècles de gloire andalouse à jamais perdue. Par des techniques de constructions métissées, tout en ayant la volonté de mettre de la poésie dans l'organisation spatiale du complexe, POUILLON a laissé exprimer sa sensibilité au site et sa capacité, pour ne reprendre que quelques propos de VON MEISS, de révéler le lieu.
L'architecture a besoin de structures autonomes pour son enseignement, et d'enseignants qui touchent dans la mesure du possible à la théorie et à la pratique. L'architecte ne doit pas être le bouffon du politique et encore moins l'exécutant du client. Il doit se démarquer par sa culture, par sa capacité à prendre du recul et surtout par sa liberté d'esprit.
*Architecte docteur en urbanisme, qualifié au corps des maitres de conférences des universités de France
1- J'ai beaucoup aimé la réflexion GUERID (Djamel) lorsqu'il notait à propos de l'université européenne ce qui suit : «C'est dire que la réflexion et la mise enoeuvre de l'université européenne commune s'insère dans une histoire globale, l'histoire de la construction de l'ensemble européen contemporain.», L'université algérienne a 100 ans, Le Quotidien d'Oran, mercredi 06 janvier 2010, p. 10.
2- De la centaine d'entretien direct (sous forme de débat), plus de 95% le pensent.
3- L'action syndicale a été presque totalement terrassée par les autorités administratives et l'implication des tribunaux en la faveur du pouvoir en place.
4- L'expérience semble toutefois appréciée par un certain nombre d'enseignants du département d'architecture d'Oran.
5- Pierre Prunet
6- Toujours en ce sens, HAMBURGER (Bernard) notait que «Si SARFATI critique «l'esthétique du permis de construire», c'est qu'elle suppose l'oeuvre arrêtée, terminée à un moment donné, alors qu'elle devrait se modifier, presque s'improviser à partir d'une structure au fur et à mesure de sa propre histoire, à laquelle beaucoup contribuent.», L'architecture de la maison, Pierre Mardaga, 1986, p. 49.
7- Dans Silence et lumière.


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