La Suisse, un des pays les plus propres du monde, est un asile notoire pour tous les fraudeurs fiscaux de la planète. Ses banques, excipant du sacro-saint principe du secret bancaire, ont paisiblement recyclé l'argent sale de tout l'univers pendant des décennies. Pour la plupart, les grandes consciences occidentales, si promptes à donner des leçons, n'ont pas jugé utile de déplorer un état de fait moralement inacceptable. Le pays du recel a été longtemps exempt de tout reproche, sinon exprimé du bout des lèvres, presque à regret. La Confédération helvétique est l'Etat de droit par excellence et le pays neutre où siègent de très nombreuses organisations multilatérales. Seul ou presque, un député suisse, Jean Ziegler, quasiment traité d'irresponsable par la «bien-pensance» médiatique, s'est évertué à dénoncer cette peu glorieuse réalité. Mais depuis quelques années, d'autres pays avancés, contraints à des programmes de rigueur budgétaire, se retournent contre le pays si propre de Guillaume Tell. Ils demandent des comptes, ou plutôt les numéros de comptes de leurs citoyens fraudeurs. Le fisc américain, le redoutable IRS, avait obligé l'été dernier l'Union des banques suisses, UBS pour les intimes, à communiquer la liste des 5.000 déposants américains soupçonnés d'avoir illicitement placé leurs fortunes sur ses livres. On vient d'apprendre que l'UBS a accepté également de jouer le rôle d'assistant-expert des tribunaux américains pour la vérification de documents bancaires. L'Etat français a acheté dernièrement un listing comportant cent trente mille noms, dont plus de mille citoyens français, détenteurs de comptes auprès de la division «gestion de fortunes» de la banque HSBC à Genève. L'administration a acquis ainsi une volumineuse mine d'informations sur des dizaines de milliers de détenteurs étrangers de comptes auprès d'une banque réputée peu regardante sur l'origine des fonds de ses clients «exotiques». La France a fait une bonne affaire puisque le prix d'achat de la liste auprès d'un transfuge de la banque a été plus que largement compensé par les centaines de millions d'euros récupérées auprès des fraudeurs. C'est au tour de l'Allemagne d'être approchée par un informateur disposant d'un dossier substantiel sur les fortunes germaniques dissimulées en Suisse. Après avoir fait mine d'hésiter, le ministre allemand des Finances a annoncé la conclusion d'un accord avec le vendeur de listing. Ce pays avait déjà eu recours à cette méthode pour récupérer l'impôt sur des sommes considérables camouflées dans des sociétés financières et autres pseudo-banques du Liechtenstein, autre paradis alpin. La Suisse, harcelée de toutes parts, ne se reconnaît pas un rôle éminent dans la délinquance financière internationale. Les autorités helvétiques, au comble du désarroi, s'indignent que des informations «volées» soient rachetées par des Etats. La seule parade consiste pour les autorités helvétiques à envisager un accord de non-double imposition avec l'Allemagne. Pourtant, les médias épargnent curieusement le pays du chocolat, considéré indemne de toute corruption. La lutte contre ce fléau dans le monde en développement trouve là une limite de plus. Si les grands pays occidentaux peinent à obtenir des informations sur leurs fraudeurs cachés en Suisse, qu'en est-il de pays qui ne disposent pas des mêmes capacités de rétorsion ?