La fuite des capitaux des pays pauvres et en développement vers les pays riches, qui en profitent largement, est une véritable plaie. Même si ces pays riches ne dénoncent pas ouvertement ces trafics, ils disent par acquit de conscience qu'ils n'approuvent pas ce qui constitue pour les pauvres une maladie pour leurs économies. Lors du sommet sur le financement du développement tenu fin 2008, à Doha (Qatar), une déclaration finale adoptée sur cette question avait qualifié cette plaie d'«écueil majeur à l'accumulation des ressources locales nécessaires» et préconisé «la nécessité d'intensifier les efforts nationaux et multilatéraux de lutte contre les différents facteurs y contribuant». Dans un plaidoyer contre ces fuites de capitaux, œuvre de voleurs impénitents des richesses des peuples pauvres et appauvris, deux experts européens estiment que ces «trous noirs», comme les centres offshore, ne doivent plus exister. Leur disparition doit préluder à «une refondation du système financier international». Il faut rappeler que le 21 octobre 2008, à Paris, 17 ministres des Finances de l'Union européenne appelaient à la prise de mesures contre les territoires qui facilitent la fraude et l'évasion fiscale. Un mois plus tard, à Washington, le G20, qui planchait sur la crise financière, appelait de son côté à «protéger le système financier mondial contre les territoires non coopératifs et non transparents qui posent des risques d'activités financières illicites». A Doha, des experts avaient estimé que «les paradis fiscaux et judiciaires doivent maintenant devenir la cible des Nations unies, car les premières victimes en sont les Etats les plus pauvres de la planète et leurs population». Il faut savoir que pour chaque euro d'aide publique versé à l'Afrique, environ cinq euros sortent du continent pour s'abriter sur des comptes offshore. Et ce n'est pas nouveau : la fuite des capitaux subie par les pays africains de 1960 à 1990 représente près de deux fois le montant de la dette du continent. Dans le monde, la circulation de l'argent sale selon la Banque mondiale se situe entre 700 et 1000 milliards d'euros par an. La moitié de cet argent s'échappe des pays en développement. Elle représente plus de huit fois ce qui est dépensé pour l'éducation dans toute l'Afrique subsaharienne et plus de 94 fois les budgets nationaux cumulés du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Pour les spécialistes, l'argent sale provient de la corruption, mis à l'abri à Jersey, Singapour ou Monaco par les dictateurs et leur entourage. Le secret bancaire par exemple qui est encouragé dans certains pays comme la Suisse, qui masque le propriétaire véritable des fonds, rend quasiment impossible la localisation et le rapatriement de ces avoirs volés, faisant des paradis fiscaux un éden judiciaire. Il faut aussi compter les détournements, les activités provenant de l'économie informelle, des circuits parallèles d'exportation des ressources naturelles et des capitaux émanant de la criminalité organisée, mais aussi de la fraude fiscale. Les sociétés multinationales ont développé des mécanismes, comme la manipulation des prix de transfert entre filiales, pour rediriger leurs profits vers les paradis fiscaux et échapper massivement à l'impôt. Pour les experts de la chose, alors que les pays riches rechignent à honorer leur engagement de porter l'aide publique au développement à 0,7% de leur richesse nationale, l'urgence est de s'attaquer aux problèmes de fraude et de concurrence fiscales dans les pays du Sud. Ainsi, le contournement des lois, la destruction des mécanismes de redistribution, le report de la charge fiscale sur les plus pauvres et la dépendance financière contribuent à la perte de légitimité et à la faillite de ces Etats. Il faut donc que les Nations unies créent un véritable organisme international pour lutter contre ces phénomènes, en prenant notamment des mesures de rétorsion contre les territoires appelés paradis fiscaux qui maintiennent le secret bancaire ou qui refusent la coopération fiscale et judiciaire. Les sociétés et les banques qui opèrent dans ces territoires devraient se voir interdire l'accès aux marchés publics. En Europe, grâce aux paradis fiscaux, les plus riches du monde n'habitent pas forcément sur le Vieux continent, dit-on. Interrogé sur ces «trous noirs», un eurodéputé les qualifie de «réelle menace pour le modèle social européen». C'est surtout une menace pour les pays africains où la corruption, l'informel et les détournements de l'argent public sont des sports nationaux. L'Algérie n'y échappe pas et les centaines de scandales financiers qui ont secoué le pays et continuent de s'y observer ont permis à des rapaces de faire fuir à l'étranger des millions de dollars, heureusement rattrapés par la justice. Les paradis fiscaux sont actuellement dans la ligne de mire des Européens. Depuis Bruxelles, lundi dernier, le président français, Nicolas Sarkozy, menaçait devant la presse de plaider auprès de ses pairs européens pour l'inscription de la Suisse sur la liste noire des paradis fiscaux des pays industrialisés. «Les pays du G20, qui se réuniront en sommet le 2 avril à Londres pour discuter d'une plus grande transparence du système financier international pour éviter de nouvelles crises, entendent aborder à cette occasion la question des pays jugés non coopératifs», rapportaient les médias. Aussitôt, des dirigeants financiers suisses répliquaient à cette menace, en annonçant qu'une «inscription de la Suisse sur une liste noire des paradis fiscaux serait une décision excessive et injustifiée. Cela équivaudrait à punir la Suisse pour une situation juridique qui est en conformité et relève de notre souveraineté». Et aux médias de s'en donner à cœur joie : «Après la révélation par la première banque du pays UBS des noms de près de 300 de ses clients américains au fisc des Etats-Unis, une brèche a été ouverte dans le sacro-saint secret bancaire qui a fait la fortune du pays», écrit-on à ce sujet. La Suisse n'est pas le seul pays qui accueille les fortunes suspectes. Le Liechtenstein a le triste record d'abriter quelque 70 000 fondations, et 110 milliards d'euros sont déposés sur des comptes bancaires dont les titulaires sont un secret bien gardé. Il y a un an, la plus grande affaire d'évasion fiscale de l'histoire de l'Allemagne était dévoilée dans la petite principauté du Liechtenstein, territoire sous protection de l'Autriche, pays membre de l'UE. On découvrit alors une liste de potentats européens, principalement allemands, qui utilisaient des comptes chiffrés pour cacher l'argent qu'ils ne déclaraient pas au fisc. On sait aujourd'hui que le groupe terroriste espagnol ETA détient lui aussi des comptes secrets sur ce territoire, selon les médias européens. Il y a aussi la Suisse, «véritable cheval de Troie du dumping fiscal en Europe», où se «concentre un tiers de la richesse offshore mondiale». Ce chiffre s'élève, chaque année, à 5 milliards d'euros, selon les experts. Au Luxembourg, les habitants savent bien que leur économie nationale est devenue florissante grâce à un secteur financier attrayant. «Toutes les entreprises qui veulent économiser leur argent connaissent le Luxembourg en Europe», dit-on. Dans cet Etat, la non-dénonciation des rentrées d'argent sale n'est pas considérée comme un délit, comme c'est le cas dans d'autres paradis fiscaux. Il existe aussi d'autres îlots du genre dans les Caraïbes et le Pacifique où foisonne l'argent sale volé aux pays pauvres par leurs ressortissants sans foi ni loi. Les îles Caïman en font figure de leader.