On s'en souvient comme si c'était hier: les places principales de Kiev étaient occupées par des milliers de manifestants revêtus de tee-shirt de couleur orange ; les militants de la «démocratie» selon les télévisions occidentales enthousiastes avaient planté leurs tentes, également de couleur orange, et décidé d'occuper les lieux jusqu'à l'instauration de la démocratie. C'est-à-dire jusqu'au départ du dirigeant «pro-russe» Victor Ianoukovitch et l'intronisation de Ioulia Timochenko et de Viktor Iouchtchenko, le binôme moderne adoubé par la civilisation. C'était en 2004, il y a cinq ans à peine, il y a un siècle. A coups de millions de dollars, des «fondations» américaines et européennes avaient investi la société civile ukrainienne et suscité un immense mouvement de foule qui devait emporter le pouvoir pro-russe de Victor Ianoukovitch. Le quotidien londonien The Guardian signalait sans être démenti que l'USAID, le National Endowment for Democracy (NED), l'International Republican Institute, le National Democratic Institute for International Affairs et Freedom House aux côtés de la Fondation Soros étaient directement impliqués dans le soutien aux organisations antigouvernementales ukrainiennes. Le coup d'Etat par la rue avait fonctionné au-delà de toutes les espérances, les sponsors américains pouvaient être fiers ; mieux que le prototype de révolution des roses en Géorgie qui avait abouti au renvoi de Chevardnadze, la révolution de «couleur» avait parfaitement fonctionné. Il ne s'agissait à présent que d'améliorer le modèle et de l'adapter aux conditions locales des pays ciblés par l'administration américaine. Mais hélas pour ses concepteurs, que ce soit en Biélorussie ou plus récemment en Iran, la révolution colorée made in Washington semble faire long feu. Au grand désespoir des grands médias occidentaux, qui ont bien du mal à masquer leur dépit et qui déplorent, entre autres griefs, le fait que bien des électeurs ne soient motivés que par des considérations matérielles ! Les dirigeants portés par l'étranger pour mettre en œuvre des politiques décidées ailleurs ont naturellement échoué, leurs agendas politiques ne coïncidant pas avec les attentes de la population. La révolution orange ukrainienne répondait principalement à la préoccupation américaine d'encercler la Russie, toujours représentée comme un adversaire et un obstacle pour les objectifs étasuniens. La logique d'affrontement avec Moscou, voulue par le président Iouchtchenko, n'a servi en rien les intérêts du peuple ukrainien. Au contraire, l'hostilité manifestée au puissant voisin et fournisseur exclusif d'énergie n'a fait que détériorer sans contrepartie la position de Kiev. Plus gravement, le soutien occidental, notamment celui de l'Europe, a été plus que parcimonieux. Malgré toutes ses dispositions favorables à l'Ouest, l'Ukraine s'est retrouvée sans réel soutien au plus fort de la crise financière de 2008. Les élections présidentielles de dimanche dernier viennent fermer la parenthèse des ingérences électorales et la manipulation par des officines relevant de services de renseignement. Il faut espérer que le retour à des logiques démocratiques endogènes réponde enfin aux espérances de la population ukrainienne.