Comme par enchantement, les évènements qui ont émaillé la vie politique moldave, cette dernière semaine à la suite des élections législatives remportées haut la main et de façon démocratique par le parti communiste au pouvoir, ne font plus la Une des médias bien pensants… Mais qu'est-ce qui peut bien se passer en Moldavie, ce petit pays d'Europe de l'Est à peine plus grand que la Belgique avec un peu plus de quatre millions d'habitants, et coincé entre la Roumanie et l'Ukraine ? Pour le profane, il ne s'agit ni plus ni moins que d'une révolte populaire suite à des élections législatives dont une opposition boostée, comme par hasard, conteste depuis plus d'une semaine les résultats. Ainsi, et suite aux premiers jours de contestation violente, ce dimanche, des milliers de manifestants se sont rassemblés dans le centre de Chisinau, la capitale moldave, à l'appel de partis d'une opposition décidément résolue à faire tomber le gouvernement. Pauvreté et nouvelles technologies de propagande Les manifestants dont on sait aujourd'hui qu'ils ont été rameutés à force de SMS et d'appels via des sites connus d'internet tels que Facebook, Twitter ou autres blogs, continuent de dénoncer «la dictature des communistes» et poursuivent leur action de protestation. Une telle méthode cybernétique de ralliement est à l'évidence trop sophistiquée pour être l'œuvre de jeunes opposants, surtout quand on sait que la Moldavie est l'un des pays les plus pauvres de la région et que les difficultés sociales ont poussé un quart de la population à aller travailler en Europe ou en Russie. Ce malaise ainsi que le manque de perspectives pour la jeunesse semblent avoir été utilisés pour alimenter les troubles actuels. L'observateur averti ne peut manquer, dès lors, de s'interroger sur les raisons d'un tel mouvement, son organisation et conclure aisément qu'il est téléguidé. Mais par qui et comment ? That is the question ! On s'en souvient, au lendemain des résultats du scrutin qui a donné une large victoire au parti communiste du président Vladimir Voronine, des milliers de personnes s'étaient déjà rassemblées dans le centre de Chisinau, la capitale.
Elles avaient réussi à prendre le contrôle du Parlement et de la présidence, dont le toit était occupé par des manifestants agitant des drapeaux moldaves, roumains et européens. Les deux bâtiments avaient été saccagés et il y eut mort d'homme. Pousser l'armée à l'intervention musclée ? C'est ce qui a notamment poussé le président Vladimir Voronine à demander un nouveau comptage des voix, initiative saluée – tiens, tiens ! – par l'Union européenne et les Etats-Unis, mais qui n'a pas satisfait l'opposition qui avait pourtant été autorisée par la commission électorale à vérifier les listes pendant quatre jours. Mais ce qui est bizarre dans cette «révolte populaire contre la dictature communiste», ce sont ces vidéos qui circulent sur le net et qui, semble-t-il, font rager les autorités. En effet, certains films des émeutes montrent que les casseurs qui ont saccagé la présidence et incendié le Parlement étaient téléguidés par des forces obscures. «Les portes de la présidence et du Parlement se sont ouvertes comme par miracle, assure un témoin, et un peu partout, il était facile de reconnaître les agents des services secrets, crâne rasé et bodybuildés.» Des envoyés spéciaux rapportent que selon l'ancien député Igor Klipi, qui se trouvait lui aussi sur les lieux, «le saccage du Parlement a duré huit heures et la police n'est jamais intervenue». Tandis qu'une partie de l'immeuble brûlait, deux équipes de pompiers contemplaient le spectacle en souriant. «Un des films amateur (?) montre des policiers en uniforme cassant un claustra en béton et transportant dans des sacs des pavés déposés devant la présidence. Une autre vidéo suit les exploits d'un jeune homme en tee-shirt orange plantant, seul, sur le toit de la présidence des drapeaux européen et roumain devant deux policiers immobiles.» Un complot déstabilisateur bien orchestré ? Comme on peut le constater, il y a à boire et à manger dans cette histoire de révolte moldave. Pourtant, à bien y regarder, les choses sont plus simples qu'il n'y paraît. Il suffit de se rappeler que la Moldavie coincée entre la Roumanie et l'Ukraine revêt une importance géostratégique vitale. Situé entre les Balkans et les plaines continentales, et non loin du Danube, d'Odessa, des Carpates et de la mer Noire, ce territoire a constitué l'avant-poste russe pour le contrôle du Danube et des détroits tout au long du XIXe siècle. Au XXe siècle, il suscite des rivalités entre la Roumanie et la Russie, dans l'entre-deux guerres mais aussi pendant la période communiste. L'élargissement en 2007 de l'UE à la Roumanie ajoute à son intérêt stratégique. La Roumanie pourrait en effet être pour la Moldavie ce que la Pologne a été pour l'Ukraine : un avocat au sein des 27, à même d'attirer l'attention sur son voisin. Les enjeux sont donc importants pour l'Europe et l'Occident qui aimeraient bien ramener sous leur giron ce pays, ce qui leur permettrait de placer sinon un pion dans la région, du moins de poser un gros clou dans la botte du Kremlin. La Transnistrie, as de pic ou carte maîtresse ? La Fédération de Russie a pris ses devants depuis longtemps, grâce à la mainmise officieuse de son armée sur une région importante : la Transnistrie (*), une zone tampon entre l'Ukraine et la Moldavie qui a autoproclamé en 1991 son indépendance. La Transnistrie a son gouvernement, sa monnaie, son armée et ses postes-frontières mais n'est pas reconnue par la communauté internationale. La Russie, dont l'armée a appuyé les séparatistes durant la brève tentative des autorités moldaves de reprendre par les armes le contrôle de la région en 1992, joue parfois cette carte. Surtout avec quelque 1500 soldats russes toujours postés en Transnistrie qui bénéficie de la part de Moscou d'une «aide humanitaire» vitale. Le Kremlin utilise, en fonction de ses besoins stratégiques, cette région séparatiste surtout occupée par des russophones qui lui sont acquis, notamment en faisant pression sur la Moldavie, quand cela est nécessaire. La Moldavie dépend beaucoup de la Russie La Moldavie est, en effet, complètement dépendante des exportations russes, tant en pétrole qu'en gaz. Chisinau est donc particulièrement sensible aux menaces de Moscou. La difficulté vient de l'absence de source alternative d'approvisionnement. Ainsi, la principale centrale électrique du pays, Cuciurgan, se situe en Transnistrie. Les autorités moldaves essaient toujours de ramener la Transnistrie dans leur sphère d'influence mais Moscou veille au grain grâce au pouvoir en place à Tiraspol, pouvoir autoritaire et qui lui est largement acquis. En effet, cette carte maîtresse permet au Kremlin de peser sur la balance des négociations avec l'Occident. D'un côté, nous avons donc l'Europe qui, par le biais de la Roumanie, veut faire basculer le peuple moldave dans le giron européen et occidental et de l'autre, la Russie qui ne veut surtout pas se faire souffler encore une fois une de ses anciennes républiques soviétiques. La Moldavie doit toujours et à n'importe quel prix rester dans la sphère d'influence de Moscou, surtout après le coup de l'Ukraine et de la Géorgie. Et ce, malgré tous les appels du pied de l'Occident. Les évènements vécus ces jours-ci montrent combien les enjeux sont importants dans cette région. Si les autorités moldaves accusent Bucarest d'être l'instigateur de ces manifestations et renvoyé l'ambassadeur roumain chez lui, c'est que la situation tourne au vinaigre désormais. Que faut-il en effet penser de ces révolutions qui secouent de plus en plus cette zone que se disputent Russes et Européens (Américains ?). Une petite révolution par-ci, une autre par-là ? Celle qui se déroule actuellement aux portes de la Russie ressemble à s'y méprendre à toutes ces révolutions qui ont surgi en Géorgie (2003), en Ukraine (2004) et au Kirghizistan (2005) et joliment baptisées «roses», «orange» et «tulipe». Moscou a de quoi s'inquiéter et se rebiffer, surtout quand on sait que l'Union européenne, dans le cadre de sa politique européenne de voisinage, a octroyé depuis 1991 une aide financière à la Moldavie évaluée à près de 300 millions d'euros ! Quelque 210 millions d'euros étaient prévus pour la seule période 2007-2010. De quoi rallier à soi les plus récalcitrants des communistes. On comprend mieux pourquoi des ONG occidentales – hé oui, c'est un alibi de plus en plus utilisé ! –, soutenues par leurs pays et d'autres intérêts inavoués, jouent à cache-cache dans la région. Elles organisent, comme on vient de le voir, une résistance au pouvoir pro-russe en place à Chisinau. C'est un moyen comme un autre de taquiner Moscou.Utilisera-t-on toutes les couleurs de l'arc-en-ciel pour colorer les futures révolutions dans les anciennes capitales des pays de l'ex-Union soviétique ? En attendant, nous ne sommes pas surpris par le silence complice de nos confrères occidentaux et encore moins du sieur Liebermann dont c'est le pays d'origine, face à une situation qui risque de créer une déflagration aux effets dévastateurs dans une région mitoyenne des Balkans, cette fameuse chaîne de rochers glissante. A. M. (*) La République de Transistrie maintient son indépendance de facto grâce à des unités de volontaires cosaques russes ou ukrainiens, à la 14e armée russe, qui ont empêché la République de Moldavie d'exercer sa souveraineté sur cette partie de son territoire (guerre de Transnistrie). Depuis le cessez-le-feu de 1992, le Conseil de l'Europe considère la région de Transnistrie comme une région de conflit larvé.