Plus de sanctions, plus de fermeté. Est-ce la bonne méthode pour réduire les drames de la route ? Il est permis d'en douter. Un nouveau code de la route est entré en vigueur au début de ce mois. Travaillant discrètement, des «spécialistes» ont élaboré de nouvelles dispositions destinées à lutter contre la tragédie vécue quotidiennement sur les routes. Ils ont abouti à des conclusions allant toutes dans un seul sens : il faut alourdir les sanctions contre les automobilistes fautifs, considérés parfois comme des criminels. Les mêmes spécialistes avaient déjà travaillé sur le sujet il y a quelques années. Leur réflexion avait déjà abouti aux mêmes résultats : renforcer essentiellement le caractère répressif de la loi. L'application de leurs recommandations a eu un seul effet positif, la généralisation de l'utilisation de la ceinture de sécurité. Mais les autres mesures ont eu un effet négatif ou pénible. Le retrait du permis de conduire a notamment fait des dégâts énormes, privant des gens de leur revenu, alors que d'autres en étaient réduits à supporter des conditions de transport épuisantes. Sans compter les effets sur l'administration, avec les passe-droits, les réseaux de corruption pour récupérer son permis, etc. La loi n'avait pas eu les mêmes effets pour tous les Algériens. Aucun officier supérieur, aucun wali, aucun ministre ne s'est jamais vu retirer son permis. C'est le signe que la loi s'applique aux Algériens d'en bas, pas à ceux du sommet de la hiérarchie. D'un autre côté, la loi n'a pas permis de réduire l'hécatombe sur les routes, selon les chiffres disponibles. Les routes d'Algérie restent parmi les plus meurtrières du monde, et rien ne permet de dire que la situation va s'améliorer avec la nouvelle règlementation. Ce n'est pas une campagne menée par la radio qui va renverser la tendance. La première réforme du code de la route, basée sur une vision strictement répressive, a mené à l'échec. Il n'y a aucune raison pour que la réforme introduite au début de ce mois ne mène pas, elle aussi, à l'échec, car elle répond à la même logique. Elle n'a donné lieu à aucun débat sérieux, ni à aucune étude de fond. Ce n'est pas avec un projet imaginé par un adjudant de gendarmerie et un brigadier de police que le drame de la route sera résolu. Dans l'intervalle, les institutions chargées de la question ont démissionné. Ministère des transports, parlement, secteur des assurances, travaux publics, se contentent de suivre les évènements, et de lancer des opérations bureaucratiques pour justifier les dépenses du budget «prévention». Le ministère des Transports semble même avoir abandonné l'idée du permis à points, annoncé pourtant pour 2010 : c'est que le permis à points est trop compliqué à mettre en place, il oblige à beaucoup d'imagination et à un vrai travail de pédagogie que personne ne peut mener. Il impose aussi un effort de modernisation de l'administration. C'est tellement plus simple d'énoncer de nouveaux interdits et d'alourdir les sanctions pénales ! Ce n'est pas M. Ahmed Ouyahia qui a mis en place le nouveau code de la route, mais les nouvelles dispositions cadrent parfaitement avec sa démarche. Le Premier ministre est en effet un habitué des décisions archaïques, inutiles, prises sans concertation, et un spécialiste des mesures répressives ou impopulaires. C'est un homme qui a toujours brillé par des mesures bureaucratiques, des décisions anachroniques et des interdits de toutes sortes. Mais dans un cas comme dans l''autre, qui paie la facture ? Qui est responsable de ces milliers de morts sur les routes, dont certains auraient pu être sauvés si une vraie réflexion avait précédé la promulgation de nouvelles mesures ? Qui, sur le plan économique, porte la responsabilité de cette stagnation économique, de ce formidable gaspillage d'argent et de temps, pendant que M. Ouyahia et les siens tournent en rond, en faisant semblant d'élaborer des stratégies alors qu'ils ne sont même pas au niveau de la petite épicerie ? L'accumulation des lois, arrêtés, décrets et autres circulaires inutiles devrait pourtant pousser les dirigeants du pays à se poser des questions sur la finalité de la loi. Pourquoi promulguer de nouveaux textes s'ils ne servent à rien ? Ne serait-il pas préférable de se demander pourquoi un Allemand, un Suédois ou un Japonais respecte le code de la route, et pas un Algérien ? Cette question ne peut cependant être posée en Algérie, car elle est subversive. Elle risque de mener à des conclusions dangereuses. Un Allemand croit à la loi, parce qu'elle le protège contre les abus du plus fort, de celui qui gouverne. Un Algérien ne croit pas à la loi parce qu'elle sert à réprimer les petits, alors que les puissants sont au-dessus de la loi. C'est sur ce terrain que la réforme s'impose. Et c'est par là que doit commencer la réforme du code de la route : convaincre les Algériens qu'ils sont tous égaux devant la loi, et que la loi les protège. Il reste juste à savoir si c'est vrai.