Il y a vingt ans, Nelson Mandela quittait définitivement la prison de Robben Island, à quelques kilomètres du Cap, ville phare du pays de l'apartheid. Le plus ancien prisonnier politique du monde avait passé vingt-sept ans dans les geôles racistes pour avoir défendu le droit des Noirs à la dignité et à la citoyenneté. Vingt ans ont passé depuis et le monde a changé profondément. L'URSS n'existe plus et celui que les militants de l'ANC appellent affectueusement Madiba a été le premier président noir du nouveau pays arc-en-ciel à l'autre extrémité du continent. L'Afrique du Sud n'est plus le pays du racisme institutionnel et de l'abject ordre colonial fondé par les colons boers. Mais la situation du pays est encore très difficile, l'organisation sociale reste encore très marquée par la ségrégation inaugurée en 1910. Les vieilles structures économiques évoluent lentement, trop lentement, et n'ont pas connu de transformations à la hauteur de la mutation politique de 1990. Les richesses restent concentrées entre des mains toujours aussi blanches et l'apparition d'une classe moyenne noire tarde à voir le jour même si quelques hommes d'affaires de cette communauté commencent à émerger. Les inégalités sociales qui continuent de se superposer avec la hiérarchie raciale officiellement révoquée sont de plus en plus mal ressenties par la jeunesse noire qui constate que peu de choses ont réellement changé. L'expérience de ces vingt années est celle d'une trop longue transition et de toutes les difficultés à effacer les très profondes distorsions d'une société coloniale. Les Blancs d'Afrique du Sud, à la différence de ceux de l'ex-Rhodésie du Sud le Zimbabwe actuel - ou des pieds-noirs de l'Algérie colonisée, ont compris que l'apartheid était un système condamné et que refuser sa disparition signifierait leur expulsion violente du pays. F.W. de Klerk, dernier chef d'Etat blanc, mandaté par les élites blanches regroupées au sein du Broederbond un pendant de l'OAS, en bien plus structuré et d'un niveau très supérieur a été chargé du démantèlement ordonné de l'apartheid. Nelson Mandela a accepté la transition en douceur et a assuré avec doigté et sans heurts un passage délicat entre deux systèmes. Très respecté pour l'opiniâtreté dont il a fait preuve tout au long de sa vie de militant, l'irréductible Madiba a mis la révolution de côté pour présider au changement le plus indolore possible. Véritable icône africaine, le vieux leader de 91 ans est une figure éminemment consensuelle, universellement admirée. La stature morale du personnage a largement contribué à faire accepter les lenteurs de la transition. Et même s'il s'est retiré de l'action politique, la sagesse qu'il incarne a largement contribué à apaiser des tensions au sein de l'ANC. Mais la patience de la base du mouvement, notamment de la Ligue de la Jeunesse, a atteint des limites sous le règne de Thabo Mbeki renvoyé en raison aussi de sa trop grande inertie vis-à-vis de l'organisation économique en place. Le discours d'anniversaire prononcé avant-hier à l'Assemblée nationale par le président Jacob Zuma est révélateur du cadre politique modifié qui s'installe peu à peu. L'hommage appuyé au père de la Nation s'est fondé sur un véritable programme de politique économique en direction des plus pauvres. Le processus de libération inauguré par Nelson Mandela se poursuit donc, la décennie qui vient sera peut-être celle des transformations sociales.