Les relations entre Alger et Paris traversent, depuis au moins deux années, de fortes turbulences. C'est pratiquement le froid entre les deux pays, n'étaient-ce les échanges économiques et commerciaux qui font marcher la machine de la coopération algéro-française. Et, pour relancer, sinon réparer cette panne qui perdure dans les relations souvent tumultueuses entre Alger et Paris, le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, a annoncé sa décision de venir à Alger dans une lettre transmise début février, selon le quotidien «Le Monde», à son homologue algérien, M. Mourad Medelci. A Alger, aucun écho de cette lettre n'a été, officiellement, donné par le ministère des Affaires étrangères. Il n'empêche que le ministre français des Affaires étrangères a proposé dans ce message transmis à M. Medelci d'effectuer, en mars le déplacement à Alger, après une précédente visite, prévue à la mi-janvier, qui avait été reportée. Le moment n'est, semble t-il, pas tellement opportun pour une reprise du dialogue politique entre les deux pays, selon des observateurs qui insistent sur le fait que Paris s'est montré, «comme à son habitude, loin des préoccupations d'Alger». Et, pour donner toute son épaisseur à ce coup de froid des relations entre les deux pays, dont l'annulation ou le report du traité d'amitié qui devait être signé, il y a quelques années, en est le parfait exemple, c'est cette absence de visites de ministres des deux côtés de la Méditerranée. Ni à Alger ni à Paris, les visites officielles ne sont inscrites à l'agenda des deux pays. Le «coup de sang» de Bernard Kouchner qui veut venir à Alger dégeler l'atmosphère, en est, en outre, un indice palpable de ce coup de froid dont l'origine est à rechercher dans certaines prises de positions maladroites, sinon intentionnelles, de la France vis-à-vis de l'Algérie. Ainsi, à Alger, on se garde d'envoyer la moindre délégation officielle en France, alors que du côté de l'Hexagone, les rares ministres venus à Alger n'ont pas eu «le tapis rouge» qu'ils espéraient, et n'ont pratiquement pas été reçus par le chef de l'Etat, comme Pierre Joxe, membre du Conseil constitutionnel, ou l'ancien chef de gouvernement Edith Cresson, venue lors de la dernière Foire internationale d'Alger. A la proposition de M. Kouchner de venir à Alger début mars, M. Medelci a répondu à un journaliste du journal «Le Monde» que: «une visite ne vaut que par ses résultats». Il est clair qu'à Alger, on est terriblement remonté contre la France, qui refuse toujours de reconnaître «ses crimes en Algérie», ou par exemple reconnaître officiellement avoir testé les effets de la bombe atomique, dans la région de Reggane, sur des citoyens algériens. Et puis, il y a la dernière balle française lâchée contre l'Algérie, qui figure dorénavant dans une liste de pays à risques. Cette liste, qui a été dénoncée par l'Algérie, a rajouté une couche dans ces turbulences entre les deux pays, provoquées par la maladresse des politiques français. M. Medelci est catégorique: «L'Algérie n'a pas à être sur cette liste. C'est inacceptable et nous ne l'accepterons pas», a-t-il souligné à «Le Monde». A Alger, on pense même à des mesures de réciprocité, même si M. Medelci assure que si Alger «n'exercera pas de chantage», il est toutefois «hors de question d'accepter l'inacceptable». Bref, entre l'Algérie et la France, c'est vraiment la cassure. Car à Alger, les griefs, politiques comme économiques, sont nombreux : il y a d'abord le refus de la France de reconnaître ses crimes contre l'humanité en Algérie, la loi du 24 février 2005 glorifiant le colonialisme assimilé à une œuvre civilisatrice, et, surtout, le refus de repentance de la France vis-à-vis de l'Algérie, qui ont achevé de dégoûter les politiques, à Alger, sur la sincérité du pouvoir français d'effacer définitivement cette page peu glorieuse de l'histoire de la France. Et puis, sur le plan économique, les griefs sont également importants, comme cet entêtement du patronat français de faire commerce avec l'Algérie, mais pas en procédant à une politique de gros investissements durables et à long terme. Kouchner, qui avait eu, par le passé, des propos très durs envers l'Algérie, notamment avec son fameux «droit d'ingérence humanitaire» au plus fort des exactions terroristes, aura-t-il la chance de venir à Alger discuter d'un nouveau planning politique pour réchauffer les relations algéro-françaises? Alger ne devrait pas se départir de sa position ferme à l'égard de Paris tant que des signaux verts ne sont pas émis par les Français, notamment le retrait de l'Algérie de cette infâmante liste restrictive. Et puis, les sujets qui fâchent restent nombreux: de l'affaire «réchauffée» de l'assassinat des moines de Tibéhirine à celle du diplomate Hasseni, c'est toute cette politique anti-algérienne de certains groupes de pression français, à droite comme à gauche, qu'Alger dénonce en maintenant pratiquement un épais embargo politique sur la France. Comme le fait d'avoir invité certains ministres français, Brice Hortefeux et Erice Besson, en charge de l'identité nationale, de rester à Paris lorsqu'ils avaient émis le vœu, en 2009, de venir en visite de travail à Alger.