A chaque fois que tentent de se réchauffer les relations algéro-françaises ou franco-algériennes, selon l'angle de vue qui détermine le choix terminologique, apparaissent des tendances à les refroidir de part et d'autre de ce qu'il est convenu d'appeler les deux rives. Un amour platonique mais combien chargé d'émotions quand il s'agit d'alimenter les couloirs par lesquels passent les conflits latents. Une relation «charnelle» selon l'expression du Président Chirac en voyage triomphale en Algérie, lors de sa « visite du cœur ». « Retrouvailles » déclare le Président Bouteflika à l'assemblée nationale française en juin 2000. En toile de fonds d'une relation économique privilégiée pour le besoin des chiffres, une relation entre les personnes tanguant sur une mer en apparence houleuse. En apparence seulement. Dans l'arrière-scène une histoire commune mal assumée des deux côtés. Du côté français la guerre menée contre une volonté d'indépendance à coûté en moyens et en vies humaines de quoi mettre en œuvre un programme de coopération exemplaire dans le monde et dans le respect des souverainetés. Une tâche qui a embuée le regard des uns envers les autres pour ne laisser que l'image de la haine occuper les pages d'un livre qui reste à écrire. Du côté algérien cette guerre était un mal nécessaire et comme dans toute guerre chacun devait choisir son camp. Maintenant que les armes se sont tues, la parole s'est avérée plus meurtrière quand il s'agit de scruter l'horizon. A l'horizon pourtant, la France restera la porte de l'Europe et l'Algérie reste et demeurera une destination de choix pour passer aux choses sérieuses en Afrique. Celles qui permettent de tisser des rapports durables pour les générations à venir et mettre fin à une immigration non choisie. D'un autre côté les américains se disent disposés à améliorer la gouvernance africaine particulièrement depuis l'arrivée d'Obama au pouvoir, en approchant l'Algérie avec une certaine méfiance allant jusqu'à l'inscrire des pays à risques. Mais pour l'Europe et particulièrement la France les chantiers et l'argent ne manquent pas en Algérie et celui de la politique reste à explorer, indépendamment des gesticulations d'une Union pour la Méditerranée mal née et de mère inconnue. Rapprocher deux rives de plusieurs nations aussi conflictuelles les unes que les autres, pour ne construire qu'une entité économique, en occultant les aspects politiques, ne peut mener qu'à l'échec. La construction de l'Europe ne s'est pas faite sur le seul registre de la circulation des marchandises et a nécessité plusieurs années durant lesquelles il fallait d'abord se débarrasser de nombreux préjugés, souvent justifiés par les atrocités de guerre. En la matière l'expérience européenne n'a pas été mise à profit dans les rapports avec l'Algérie, ce qui laisse près de cinquante années après l'indépendance se rouvrir des plaies mal soignées. En France les lois semblent glorifier la colonisation, ce qui est en contradiction avec notre époque. En Algérie, la voix des anciens s'élève pour demander réparation. La rupture du dialogue incombe à une génération qui n'a pas solidifié les passerelles et permis une plus grande circulation d'idées constructives. Pourtant, à chaque fois que les rencontres officielles à un haut niveau se préparent dans les cabinets immédiats des présidences, on privilégie la dimension politique, comme un nouveau départ. Dès la fin des visites officielles, les fantômes du passé réapparaissent pour hanter les volontés de mieux faire. Dans ce jeu de renvoi de balles, il y a comme une intention délibérée de freiner tous les efforts de rapprochement des points de vue et surtout des intérêts. En bas, les choses semblent mieux aller. Au niveau des universités les accords donnent des résultats qui dépassent souvent les espoirs, même si l'Algérie y perd au passage des cadres qui ne reviendront pas au pays et qui n'auront pratiquement rien couté au contribuable français. Au niveau du commerce et selon un vice/président de Sonatrach « la France est le client dont les contrats ont progressivement augmenté pour atteindre 10 milliards de m3 et devenir ainsi notre premier client de GNL et notre deuxième client de gaz après l'Italie ». Notons bien, « après l'Italie » juste pour mesurer le recul de l'importance de la France dans la structure commerciale de l'Algérie. Les produits manufacturés français particulièrement prisés pour l'excellence de leur qualité sont en net recul devant les « chinoiseries » de qualité médiocre, mais à un prix abordable. D'autres factures pour couvrir les besoins du consommateur algérien, connu pour être dépensier, restent au stade de la seule intention d'achat, en attendant les signes d'une volonté d'investissement. Le mouvement des personnes obéit désormais aux règles édictées par une Union Européenne qui n'a pas le même regard que celui de la France sur l'Algérie. La communauté d'origine algérienne est devenue un enjeu électoral en même temps qu'une réserve de main d'œuvre avec laquelle il faut compter, mais qui n'a pas totalement coupé les ponts avec le parfum des ancêtres. En conclusion le « deux pas en avant, un pas en arrière » des politiques des deux bords, bute sur un mur aussi épais qu'une feuille de papier. Et si l'on s'en tient à ce que pensent les jeunes qui s'apprêtent à investir le champ politique, il y a tout lieu de croire que les deux pays encourent une condamnation à vivre ensemble en bonne intelligence, selon des règles propres à leur Histoire partagée et au-delà des barrières maritimes qu'il suffit de traverser y compris à la nage. Juste pour que cesse l'hypocrisie et pour que renaissent des Hommes qui savent solidifier des passerelles. Faute de quoi on ne pourra même pas se tourner le dos, tellement les fossés profonds.