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La société algérienne et la strate asociale parasitaire
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 01 - 04 - 2010

C'est une vérité de Lapalisse d'affirmer que l'exacerbation des pressions et tensions des pouvoirs centraux finissent à la longue par engendrer des résultats tout à fait inverses de ceux auxquels ils s'attendent en général.
1ère partie
L'éminent philosophe Ali Harb aime à répéter cette boutade «les régimes et élites du monde arabe,en général, prônent souvent la démocratie et droits de l'homme mais pataugent sans cesse dans la dictature»: ils aspirent véhément à la justice mais c'est plutôt l'injustice et la corruption qui se propagent de façon angoissante, ils clament haut la liberté et dignité des citoyens et dans les faits c'est toujours la censure et le mépris autarciques cloisonnant les esprits infantilisés, ils ne s'arrêtent pas un instant de broder leurs discours de projets d'espoirs grandiloquents pour aboutir, au bout du compte, à de regrettables situations de désespérances et désolations en face desquelles ils n'ont même pas le courage de présenter de façon honorable leurs démissions.
Bref, pour le dire d'une manière crue, alors que de par le globe les sociétés évoluent et se démocratisent progressivement et sûrement, dans le monde arabe, et en Algérie tout particulièrement, les pouvoirs centraux redoublent de férocité, pour reprendre l'expression de feu Kateb Yacine. Et ce au moment où l'on s'attendait légitimement à une certaine évolution souple des choses, au détour des nouvelles perspectives annoncées auparavant à grands fracas, promettant notamment d'impulser sérieusement le processus national de démocratisation et décentralisation à différents niveaux de la vie active nationale, politiques, économiques, culturels, médiatiques, éducatifs, socio- environnementaux, jusqu'aux collectivités reculées de l'Algérie profonde…mais en vain!
C'est à croire que ceux qui handicapent le sain développement de l'Algérie feignent d'ignorer que ce sont justement les exacerbations de ces multiples contradictions sociales qui avaient auparavant grandement favorisé les graves dérives nationales (émeutes généralisées, conflits communautaires, terrorisme sanguinaire, dilapidation des deniers publics…) qu'a connues le pays. Ces dernières sont en effet- qui en disconviendra?- la résultante directe des complexes contradictions sociales minées par,entre autres, l'abus d'autoritarismes démesurés à différentes échelles du pouvoir, de son sommet à sa base, l'oppression ( hogra) et les restrictions arbitraires des libertés, la corruption et passe-droits divers, les agissements souterrains des trafics de la mafia politico- financière soutenue par des complicités des sphères apparatchiks parmi les barons de l'arrivisme et enrichissement illégal, etc.,etc. Et ce, parallèlement à l'appauvrissement croissant, le chômage des couches populaires et le laminage progressif de la classe moyenne, etc. Toute une série de calamités et de misères nationales découlant des contradictions du système du dictat de la pensée unilatérale et de l'exclusion, qui dans le passé récent, - on semble l'oublier- ont été les ferments et braises ardentes de la contestation populaire généralisée à travers l'Algérie entière (Octobre 1988).
Et malheureusement, le processus de démocratisation enclenché, à la suite de ces historiques événements, au lieu d'être sagement poursuivi comme cela était le cas dans les contrées qui avaient connu une situation presque similaire, a été court-circuité en Algérie et malheureusement détourné de ses objectifs par des apprentis sorciers irresponsables qui ont conduit le pays à l'impasse et au cauchemar terroriste. La doxa de ce dernier ayant vite fait, en l'absence de garde-fous et repères identitaires nationaux solides d'une politique culturelle et éducative conséquente , ( ni activités programmées familiarisant avec les repères historiques nationaux, tels que les vestiges millénaires en pleine nature ou dans les musées, les hauts lieux d'histoire amazighe et de civilisation culturelle et spirituelle maghrébo-arabo- andaloue musulmane, Nos grands personnages historiques,tels que Massinissa, Jugurtha, le savant Ahmed El Maqari, l'Emir Abdelkader, les poètes Mohamed Belkheir et Si M'Hand U M'hand, Fatma N'Soumer, Larbi Ben M'Hidi, Hassiba Benbouali, Ahmed Reda Houhou, Kateb Yacine, etc. Il n' y a eu rien de cela, et encore moins la mise en place, mille fois recommandée, d' infrastructures industrielles appropriées du livre, du cinéma , du théâtre, et entre autres l'encouragement des assemblées -débats, carrefours de la jeunesse, rencontres inter-villes via radio-tv favorisant l'ouverture sur l'universel ,notamment, autant d'initiatives se présentant comme éléments garants ou antidote efficace contre l'enfermement sur soi, les replis identitaires nocifs, susceptibles d'armer les esprits jeunes contre toute sort d'endoctrinement pervers. Situation regrettable qui les prend inéluctablement à la gorge, lorsqu' ils se trouvent totalement livrés à leur sort, ainsi prédisposés, de cette façon, par leurs sérieuses carences culturelles et éducatives, aux idéologies falsificatrices et dénégatrices de toutes sortes.
Et c'est au départ, ce défaut fondamental, qui a incontestablement favorisé l'endoctrinement massif des jeunes qui ont pu être facilement éloignés de l'actualité évolutive de l'Algérie contemporaine, du monde moderne et exigences universelles, en général, en ce sens, qu'ils ont été mystifiés par l'idéologie extrémisme religieuse d'un autre âge qui les a totalement submergés. Cette doxa , sans rapport aucun avec l'Averroïsme éclairé du rationalisme musulman et ses implications modernes, s'étant substituée à la fragile rationalité acquise de ces infortunés jeunes au point qu'ils en sont arrivés à fabuler sur tout, donnant l'impression de vivre dans un temps autre que celui de leurs concitoyens musulmans pacifistes Algériens…qui ont été alors désignés par leurs criminels faux foqaha comme « apostats »: eux leurs frères croyants d'un même people musulman…mais que la bêtise humaine ,en l'absence de lanternes culturelles éclairantes,principalement en matière de tolérance en Islam et envers les autres, a vite fait de transformer les groupes d'obnubilés en véritables bêtes immondes, répandant partout meurtres et désolations. Au nom de l'Islam qui n'a absolument rien à voir avec ces pratiques ignobles attendant aux vies sacrées des personnes, ne recommande-t-il pas expressément: « Si vous tuez une seule personne c'est comme si vous tuez l'humanité toute entière», et « Si vous sauvez une seule personne c'est comme si vous sauvez toute l'humanité », et recommandation coranique importante: «Ne combattez que ceux qui vous ont sortis de vos foyers, n'oppressez point,Dieu n'aime pas les oppresseurs», le Saint Livre évoquant , par ailleurs, l'indispensable observation de l'esprit de tolérance : « Nous avons donné à chacun d'entre vous une Loi et une Règle. Si Dieu l'avait voulu, Il aurait fait une seule communauté. Mais Il a voulu vous éprouver par le don qu'Il vous a fait. Cherchez à vous surpasser les uns les autres dans les bonnes actions. Votre retour tous se fera vers Dieu Il vous éclairera alors au sujet de vos différences » (Coran, Sourate v, Verset 481); et s'adressant à l'humanité prônant la coexistence pacifiste entre les diverses populations du monde: «Nous avons fait de vous des tribus et des peuplades afin que vous vous connaissiez et sachiez que les plus dignes d'entre vous auprès de Dieu ce sont les plus pieux» (Sourate XLIX, les appartements)…
Espoirs déçus des projets grandioses des années soixante-dix
Malheureusement,comme indiqué ci-dessus, en l'absence de garde-fous prévenants (culturels et éducatifs,surtout), on en est fatalement arrivé à la désolante situation critique du terrorisme et déliquescence des valeurs patriotiques ,du civisme, du respect des droits du voisin et de celui sacré de sa vie , liberté et dignité personnelles, soit une situation totalement confuse ou tous les coups interdits et scandaleux des assassinats, viols, saccagements et vols de biens publics et privés, trafics en tous genres , écrasements des droits et des lois jusqu'à l'insulte indigne des valeureux martyrs de la Révolution, alors qu' auparavant ,à l'issue de la longue nuit coloniale, les ambitieux projets de développement du pays , entrepris sur tous les plans, laissaient espérer l'aboutissement à une société de justice sociale , de progrès général ,de confraternité et de bienfaits pour tous les enfants d'Algérie ? Tel par exemple, ce fameux projet très médiatisé à son époque de l'industrie industrialisante qui s'était résolument assigné la modernisation de l'Algérie mais dont le processus enclenché, au lieu d'aboutir à cette société développée attendue, et soi-disant progressiste et socialiste semeuse de justice sociale et porteuse des voeux de toute une génération des années soixante et soixante-dix du siècle écoulé, a abouti, contre toute attente , quelques deux décennies plus tard, à une crise majeure ,généralisée sur tous les plans .
Au lieu ,donc, des résultats escomptés, cette dynamique de développement tous azimuts a ainsi abouti , non pas à cette large reconfiguration sociale économiquement évoluée et détribalisée au point de vue socioculturel et environnemental ,- étant donné que la transformation du noyau traditionnel de la famille patriarcale élargie avait été conséquemment amorcé, contribuant à favoriser sensiblement l'émergence progressive d' un nouveau type de famille nucléaire, moderne , qui se répandait au niveau des villes et bourgs , ces lieux d'attraits d'exodes ruraux massifs induits par l'essor industriel-mais a abouti, plutôt, à une sorte de «réactualisation» de la famille traditionnelle transplantée , ailleurs , en zone urbaine, «rurbaine» notent les sociologues, et aussi, à ce type d'«ouvrier majeur», dont fait état Djamel Guerid, dans son ouvrage «L'exception Algérienne», (Casbah éditions, Alger 2007), où il mentionne à propos de la politique de l'industrie industrialisante en Algérie et ses implications socio-économiques, d'une manière générale, ce qui suit : « (…) Contre toute attente, l'expérience déboucha, moins de deux décennies plus tard, sur une profonde crise économique, sociale, politique et culturelle. Au milieu des années 90, cette crise sans précédent imposa au régime des révisions stratégiques déchirantes et le contraint à passer « sous les fourches caudines » des institutions monétaires internationales(…) En cette période des fins des certitudes, un autre mythe venait de tomber : l'Algérie rentre dans le rang ; elle est désormais «normalisée». C'est qu'entre ces deux dates , des évènements d'une importance majeure se sont produits: l'Intifada de la jeunesse marginalisée (octobre 1988) qui a cassé le système despotique du Parti unique et ouvert la voie à l'instauration d'une démocratie pluraliste, les premières élections libres (juin et décembre 1991) issues du nouveau cours politique qui ont donné une victoire sans appel aux adversaires les plus résolus du régime, les islamistes, qu'ils contribuèrent à constituer en acteurs politiques désormais incontournables, l'interruption du processus électoral ( janvier 1992) et les débuts de la rébellion des plus radicaux de ces mêmes islamistes…
Les derniers évènements n'ont pas été des coups de tonnerre dans un ciel serein mais ils ont été précédés, surtout dans les années 80, de toute une série de révoltes populaires ou les jeunes ont joué un rôle de premier plan (Tizi-Ouzou au centre en 1980, Oran à l'Ouest en 1982, Constantine et Sétif à l'Est en 1986). Ils expriment, en fait les limites du projet de développement national et en particulier l'impuissance de ses promoteurs industrialistes à construire la société moderne et homogène qu'ils avaient annoncée. Et loin d'avoir rassemblé l'ensemble des citoyens, ce projet a, au contraire, accentué et exacerbé les divisions jusqu'à pousser vers les marges la plus grande partie de la société réelle et jusqu'à rendre insupportable le statu quo instauré et qui faisait, du sous-développement de la majorité, la condition du développement de la minorité». Ainsi, poursuit plus loin le Dr Djamel Guerid, «(…) autant les années 60 et 70 furent celles de tous les espoirs autant les décennies 80 et 90 furent celles de toutes les désespérances et c'est durant ces dernières que le consensus national, né de la guerre de libération et de l'indépendance et reconduit par l'euphorie du développement, cessa de fonctionner. Les grands clivages, recouverts durant la première période, éclatèrent entraînant le pays dans l'instabilité et la violence ». (Djamel Guerid, in L'Exception Algérienne, p.313- 314, Casbah éditions, Alger 2007). Toute une stratégie de développement qui aboutit, en somme, à la débâcle, et pour cause…
« Les mésaventures du développement», nous éclaire l'universitaire en conclusion, «sont aussi les mésaventures des théories qui ont permis les analyses sur le développement et sur les réalités sociales contemporaines en général. L'examen auquel il a été procédé, (…), de l'idée et de la pratique industrialistes du développement puis l'examen de la société majoritaire réellement produite par ce développement pose, bien sur, un problème sérieux à la théorie de développement, en fait, à la théorie tout court. C'est le problème des superlunettes posé par Wallerstein. Cet auteur pense que « nous vivons tous –libéraux et marxistes, gens du centre et de la périphérie, bourgeois et prolétaires , noirs et blancs,-avec des superlunettes façonnées, pour l'essentiel par la révolution française et à la suite la révolution culturelle mondiale dont elle a été le point de départ. Ces superlunettes furent fabriquées sur la forge de la philosophie des Lumières et elles sont teintées de la quasi-certitude d'un progrès inévitable et prométhéen» (cf. Wallerstein I, Postface à Copans J., La longue marche de la modernité africaine, 2ème édition, Karthala, 1998, p.369). Et comme le dit au finish Djamel Guerid, longtemps toutes puissantes ces superlunettes ne sont plus aujourd'hui «qu'une paire parmi quelques autres» et c'est tout à fait compréhensible qu'il en appelle à entamer d'urgence une réflexion collective afin, dit-il, «de fabriquer un modèle de remplacement», (p.329, ibid.)…
Au lendemain de la tragique décennie
Au lendemain de la tragique décennie qu'a connue le pays et aux séquelles résiduelles toujours persistantes , tout comme celles des stigmates indélébiles de la fracture mutationnelle politico - sociale d'Octobre 1988 , le nouveau dénominateur commun des Algériens stipulé par les textes fondamentaux d'orientation pluraliste des institutions , intervenant, ainsi, pour la première fois après l'avènement de cet important tournant de l'histoire contemporaine de l'Algérie post indépendance, et quoique revu avec certaines limitations par la suite, n'empêche désormais plus aucun Algérien, pourvu qu'il soit animé d'un idéal pacifiste, d'opter ou de se prononcer pour la tendance politique ou doctrinaire de son choix. Depuis, les Algériens arborent ouvertement diverses sensibilités, d'une manière générale, sans qu'ils soient forcément affiliés à des partis ou organismes politiques ou définitivement fixés à une option quelconque: ainsi apparaissent-ils, globalement, soit de tendance nationaliste - populiste, partisans de la démocratie spécifique à l'algérienne, soit prônant la démocratie libérale intégrale, ou s'apparentant à l' arabo-islamisme islahiste réformiste, ou bien culturalistes berbéristes identitaristes pluralistes , ou progressistes-syndicalistes algérianistes, ou autres prônant aussi, suivant les conjonctures, les volets révisés des thèses mondialistes, altermondialistes, panislamistes, etc., etc..Ces derniers, convient-il de préciser, divergeant évidemment sur le plan doctrinaire de la doxa religieuse des violents extrémistes,d'une manière essentielle, prônant publiquement et pacifiquement la tendance modérée, conciliatrice avec l'autre ,dite tendance «Djaz'ara» (algérianiste), partie prenante de la vie nationale aux cotés des larges couches populaires musulmanes de la nation dont ils se déclarent respecter les mœurs, coutumes spécifiques , libertés des choix et options idéologiques collectifs ou individuels, etc., dans le cadre de la concitoyenneté pluraliste de l'Algérianité consacrée par la constitution républicaine et démocratique moderne votée au suffrage universel.
D'une manière générale, les diverses catégories sociales des différents niveaux publics et privés bannissant toutes formes de violences, entretiennent entre elles divers rapports socioéconomiques, culturels, etc., et participent plus ou moins activement à l'évolution de la vie active nationale et le développement du pays. Ce qui leur confère- à l'opposé du rôle nuisible et entravant d'une certaine catégorie ou strate asociale de fortunés illicites - une légitimité officielle ,de même qu' une considération sociale populaire à toutes ces catégories et classes distinguées reconnues pour leur travail honnête, (elles existent) nombre de ses dignitaires aux consciences propres ne s'étant jamais coupés du menu peuple , contribuant souvent à des actions sociales, restant ,en bons musulmans ou humanistes, à l'écoute des préoccupations de l'environnement concitoyen-convivial. Quant aux autres membres de ces couches aisées, la partie majoritaire apparemment, même s'ils s'affairent exclusivement à fructifier leurs capitaux et projets souvent sans prêter aucune attention aux préoccupations sociales de leur environnement, ils demeurent, néanmoins, à la différence des « maniganceurs» de la caste ravageuse des prédateurs, des citoyens aux comportements honorables vis-à-vis de leurs compatriotes et de leur pays, auquel ils participent concrètement,via travaux en domaines publics ou privés, à la vie socioéconomique, en général.
Ce qui n'est pas du tout le cas pour cette micro-strate asociale vivotant en véritable parasite dans le tissu social Algérien, cette caste d'arrivistes malhonnêtes à laquelle aucune des catégories sociales , laborieuses ou aisées, n'est liée ou ne partage d'aucune façon, dans les faits du vécu social, son mode de vie importun des biens mal acquis , ou fastes et privilèges douteux.
A suivre
* Auteur- journaliste culturel indépendant


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