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L'intelligentsia passée au crible
Publié dans El Watan le 30 - 06 - 2007

La présence du professeur Mohamed Harbi y est sûrement pour beaucoup dans la grande affluence de jeudi dernier au grand hôtel Mercure.
L'homme, de par son parcours et sa trajectoire peu banals, a marqué des générations d'Algériens. Historien de référence et acteur de premier plan de cette même histoire d'Algérie, à qui il consacrera de nombreux ouvrages, Mohamed Harbi ne pouvait que ravir la vedette et braquer sur lui l'attention d'un public assoiffé de vérités historiques. La qualité reconnue des autres conférenciers : Nacer Djabi, sociologue et chercheur au Cread et Abdeslam Cheddadi —l'invité surprise des Débats d'El Watan —, historien et spécialiste d'Ibn Khaldoun et leurs remarquables exposés, ont donné lieu, tout comme l'exposé religieusement suivi de Harbi, à des débats parfois houleux. Le thème du jour consacré aux élites politiques algériennes s'y prête amplement aux débats passionnés et passionnants. Sous l'œil et l'ouïe attentifs des ex-chefs de gouvernement, Mouloud Hamrouche et Ahmed Benbitour, présents presque comme toujours au Mercure, d'universitaires, de militants de tous bords, de cadres de parti, de journalistes, les conférenciers se sont attelés quatre heures durant à passer au bistouri les origines et les soubassements socioculturels de l'intelligentsia politique algérienne, à disséquer sa conception du pouvoir et ses rapports avec ce dernier. Le tout dans un silence de cathédrale que viennent perturber, parfois, les réveils intempestifs des téléphones cellulaires. Première à déterrer la « hache de guerre » : Mme Anissa Boumediène. A Harbi, l'ancienne compagne du défunt président reprochera d'abord le qualificatif de « révolution passive » utilisé dans sa conférence. « Il est exact, dit-elle, que le rôle des trois B (Boussouf, Boumediène et Bentobbal) était prépondérant à la tête de la révolution, mais ce peuple n'a pas été que passif. Même quand il y avait des dissensions au sommet, le souci était toujours là, celui de ne pas trahir l'enthousiasme populaire et de lui renvoyer cette image idyllique d'un peuple qui croyait en son indépendance (…). »
Harbi, Boumediène et la Torture !
Pour illustrer ce « souci » Mme Boumediène citera un document des archives nationales, des « Directives à l'armée », signé en février 1962 par l'état-major général et dans lequel l'EMG indiquait souhaiter voir concrétisée, en plus de « l'indépendance du peuple », l'indépendance économique de l'Algérie, via un « programme économique » qui donne une place privilégiée à la nationalisation des richesses du pays, notamment les hydrocarbures… « Bien avant, déclare-t-elle, les énoncés du même type compris dans la charte de Tripoli que Ben Bella a fait sienne et fait voter comme programme à l'Assemblée. » L'allusion est, on ne peut plus directe, au soutien qu'avait apporté Mohamed Harbi à la démarche de Ben Bella. Mme Boumediène finira par lâcher le « reproche historique ». « Vous étiez, monsieur Harbi, directeur du Soir, et vous avez fait le panégyrique du pouvoir de Ben Bella à l'époque (…), oubliant que les députés étaient arrêtés à l'Assemblée nationale, des dérives qui ne vous touchaient pas. » La réaction de M. Harbi viendra dix minutes plus tard, à froid : « La révolution passive est un concept sociologique qui a été utilisé par nombre de révolutions, cela signifie qu'il y a une intense mobilisation populaire, sans que cela soit accompagné d'une quelconque influence sur les dirigeants de la révolution », répond Harbi en première séquence. Seconde séquence où l'histoire se découvre parfois nue. Je n'ai jamais été directeur du Soir, mais directeur de Révolution Africaine, et devant deux témoins, membres du Comité central (CC) du FLN présents ici, je vous dis que j'ai été le seul à poser la question de la répression et de la torture au CC, Boumediène m'avait répondu, et cela me gêne un peu de parler de quelqu'un pour qui nous avons du respect, même quand nous avons des divergences frontales avec lui. « Donnez-moi un autre moyen d'avoir des renseignements. » « Nous avons tort de ne pas avoir rendu publique notre opinion sur la question, ça c'est un tort », achève de répondre sous les applaudissements Mohamed Harbi.


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