Allez savoir pourquoi le printemps est propice à bien des bouleversements et à d'inattendues audaces. Est-ce parce que, durant l'hiver, la nature, longtemps engourdie, s'est lentement endormie en sachant qu'un jour elle se réveillerait plus forte que jamais ? Qu'elle sortirait de son engourdissement pour sentir, qu'à nouveau, la sève furibonde envahirait les corps et les esprits afin que le monde renaisse plus beau qu'il ne s'était endormi? Que les courages tout aussi engourdis, se mettraient à reverdir, investis et trempés par de nouvelles vigueurs, une neuve énergie ? Allez savoir pourquoi le monde se découvre de fraiches ardeurs, des raisons d'espérer au sortir d'immondes pataugeoires, de glauques indécisions, de douloureux ou de douteux compromis. J'ai choisi de parler encore une fois du changement dont nous rêvons tous, dont nous parlons tous à bout de souffle, de clavier ou de blogues. D'en parler sans rond de jambes, ni faux-fuyants. Et si je me fourvoie, à moi la faute de n'avoir su porter une parole de simple vérité. Le changement, encore et toujours Commençons par enfoncer des portes ouvertes. Rien de plus naturel que le changement. Chaque année la nature nous en livre un exemple, elle que les hommes agressent et violentent au point d'en compromettre les rythmes, les équilibres et les souffles. Le changement est inscrit depuis la nuit des temps dans la naissance du monde et les cycles qui le réinventent indéfiniment au travers des millions de vies que les mères donnent et que la Pachamama dispense. Les hommes n'échappent pas aux lois de la nature, aux mystères de la vie et de la mort; à l'inéluctable processus de l'obsolescence, de la vieillesse et du dépérissement. Les œuvres humaines sont, elles aussi, frappées de fragilité, d'usure, et de lente entrée dans l'univers des finitudes, annonciatrices de nouvelles aurores. Des royaumes, des empires, et des civilisations se sont ainsi effondrés, souvent après de lentes dérélictions et d'insoutenables agonies. Sur leurs ruines, d'autres empires, d'autres civilisations se sont élevés. Un vieux philosophe de ma Thagaste, mon Souk Ahras natal, autodidacte et sentencieux, tels qu'en produisent nos villes et nos villages, se plaisait à nous enseigner, nous, jeunes d'avant le cataclysme, que «les civilisations naissent vivent et meurent comme les êtres humains.» Il soutenait, aussi, cette autre porte ouverte, que j'ouvre à mon tour, avec attendrissement, au souvenir de Ammi Sebti qui s'échinait à nous démontrer, lorsqu'il nous parlait des grands hommes ayant peuplé l'histoire, «Tuez les corps c'est facile, mais vous ne parviendrez jamais à tuer les idées que ces corps ont portées !» La violence, encore et toujours Ceux qui ont tué Abane Ramdane, ont certes enterré son corps, dans la hâte de leur ignominie ; mais ses idées et celles de Larbi Ben M'Hidi continuent à vivre, à inspirer et à être portées par celles et ceux qui y croient et veulent leur donner une nouvelle vie dans les cœurs et les esprits des jeunes. Boumediene est mort. Ceux qui l'ont tué ou aider à le faire, israéliens du Mossad, arabes ou américains de la CIA mourront à leur tour. Mais son œuvre, faite d'ombres et de lumières, continuera à vivre et à être portée par les jeunes qui se réunissent annuellement pour le célébrer, en l'absence de ses compagnons de route. Comme l'a si justement dit Frantz fanon, Boumediene et bien d'autres, avait «une relation névrotique au pouvoir». Au point de commettre des actes aussi incompréhensibles que la séquestration des dépouilles d'Amirouche et de Haouès. Ce que Said Saadi a assimilé, à juste titre, à une mort symbolique. En évoquant ces crocs en jambe de l'histoire, c'est tout simplement pour dire que lorsque les hommes sont petits par leurs idées, leurs actes et leurs vilénies, ils le demeureront à tout jamais dans la mémoire des hommes. Et lorsqu'ils sont grands, ils résisteront à toutes les morts symboliques que les petits ne manqueront pas de vouloir leur infliger. Cela me rappelle l'acharnement d'un membre des 21 à vouloir salir la mémoire de Boudiaf à coups de souvenirs agités pour la circonstance, soixante et dix années plus tard. Mais la si courte histoire de notre Révolution a déjà tranché. C'est à Boudiaf, avec son caractère autoritaire, irascible et probablement «anti démocratique» qu'elle donne raison. Parce qu'il a osé impulser, avec d'autres, le premier grand changement de l'histoire contemporaine de notre pays, mais aussi, par ricochet, de tous les damnés de la terre. Il savait qu'il fallait cesser de bégayer devant d'évidentes solutions. Ceux qui veulent le changement et en parlent à en perdre haleine, et en dissertent à longueur de pages et de blogues, savent également pourquoi et comment s'est opéré le changement dans notre histoire. Ils savent que c'est par la rupture violente avec l'ordre colonial qu'il fut rendu possible. De ce point de vue, l'histoire de notre pays est fortement révélatrice. S'il y avait une typologie du changement à établir, toutes les variétés pourraient être sommairement réduites à deux grandes catégories, avec toutes les nuances de gris que l'on voudra. Le changement pacifique et le changement par la violence. Au commencement était l'action Car, face à notre volonté de libération nationale, nous n'avions qu'une alternative : la voie violente ou celle pacifique des urnes. Le 8 mai 1945 et le gouverneur Naegelen ont noyé dans le sang et le bourrage éhonté des urnes, le recours à la voie pacifique ; voie préconisée pratiquement par la majorité du mouvement nationaliste, à l'exception de l'aile radicale du PPA-MTLD. Dernièrement, sur un blogue, voilà comment un internaute traite l'option pacifique du changement «je m'en fous de l'histoire, des écrits, des paroles. C'est l'action qui compte, on en a marre du blabla, c'est le moment d'un autre langage, çà passe ou çà casse, que la fin du monde soit ainsi». Qu'il s'agisse de l'expression d'un ras le bol général face à la violation incessante et inadmissible des droits et libertés, l'essentiel du message, colle avec les réalités de notre pays. Les habitants de Diar Echems ont patienté, parlementé, introduit de multiples plaintes, négocié, utilisé toutes les voies que la raison commandait. Puis, face à la surdité affichée par les autorités, qui n'était rien d'autre que du mépris, les digues de la patience ont fini par rompre. Alors, ils sont passés à l'action. Ils ont envahi la rue, brulé les pneus de leur désespoir, jeté les pierres de leur intifadha. Et, ce faisant, ils ont obtenu, en l'espace de quelques mois, ce qu'ils ne cessaient de réclamer durant des années. Allons plus loin dans les exemples : le mouvement citoyen des archs n'a été admis à la table des négociations qu'après avoir envahi et occupé la rue, sacrifié 127 martyrs à la cause amazigh, pour réclamer des droits légitimes. Les islamistes ont d'abord pris les mosquées en otage, puis investi les urnes, avant de prendre le maquis. Ils sont redescendus individuellement ou par cohortes, à chaque étape d'une «réconciliation» qui n'en finit pas de trainer en longueur, de déchirer la société et d'obérer le développement du pays, toujours classé «pays à risque» dans les chroniques internationales et les annuaires de la mondialisation. Tout cela parce que les citoyennes et les citoyens ne comprennent pas qu'ayant «élus» ou laisser porter au pouvoir, sur le pavois des blindés, des hommes politiques qui promettaient monts et merveilles, aussitôt investis, leur tournaient le dos. Et si, par malheur, le peuple venait à les contester, ce qui est son droit absolu, pour lui avoir menti et «oublié» leurs engagements, ils se mettent alors, forfaiture des forfaitures, à l'agonir sous leurs matraques. Incompréhensible énigme et douloureux paradoxe du pouvoir absolu, et de «la servitude volontaire» des peuples. Entre eux, les «élus» du système savent comment se faire la guerre. Qu'il s'agisse de coup d'Etat par la force des armées, ayant d'abord permis, la défénestration du GPRA, puis le renversement de Ben Bella ou d'assassinats politiques. Et cet exemple aidant, tous les politiciens plaident, malgré tout, pour que le changement intervienne «pacifiquement». C'est comme si tout le monde se donnait ou obéissait au même mot d'ordre, sous la houlette de quelque invisible et puissant Mamamouchi. Faites ce que je vous dis, mais ne faites jamais ce que je fais. Et, encore une fois, tant pis pour la démocratie, considérée comme un luxe par les conservateurs impénitents, et une abomination, une monumentale «kofria» pour certains imams. Le printemps des impossibles réconciliations démocratiques Dans l'esprit des démocrates, le 20 avril semblait être une date sacrée à plus d'un titre. Une icône, une date phare pour la mouvance démocratique de notre pays, du fait que pendant longtemps, lutter pour tamazight c'était lutter pour la démocratie, face à l'absolutisme mortifère des constantes nationales. Et devant cette date phare qui appelle à tous les rassemblements, les démocrates viennent, une nouvelle fois, d'étaler - passe encore pour leurs différences - mais surtout leur désunion. Ils persistent et signent, enfermés dans leurs irrédentismes et leurs aveuglements narcissiques, chacun tirant la couverture vers sa chapelle. Autour des partis et mouvements traditionnels, FFS, RCD et MAK, peu d'autres se sont manifestés. Les internautes et les bloggeurs s'en sont donné à cœur joie. Ils se sont agonis d'abondance. Beau signe d'expression libre et démocratiquement plurielle. Les uns sur le RCD, les autres sur le FFS et le MAK. Le livre d'Arezki Ait Larbi n'a pas échappé à la curée. Autre signe de l'état de déréliction de la mouvance démocratique. Penser et écrire n'étant le monopole de personne, alors que ceux qui ont quelque chose à transmettre, produisent le ou les livres de leur vie, pour l'enrichissement de tous. Voilà donc une date majeure, une date flambeau qui aurait du unir, trente ans après, les rangs bien dispersés de ceux qui ont contribué à en faire un moment fort de notre histoire post indépendance. Et voilà donc que trente ans après, les choses sont bien pires qu'elles ne l'étaient dans les années quatre vingt. Faut-il comprendre par là que l'œuvre d'usure et de démantèlement menée par le pouvoir a fini par produire ses néfastes effets ? Est-ce à dire que les présidentielles qui s'annoncent comme celles d'une fin de règne ou de système tout le monde évoquant l'avènement de la deuxième République aient une certaine influence sur les divisions et l'atomisation de la mouvance démocratique. Pour qui connait la classe politique et ses leaders, rien d'étonnant que plusieurs fers soient mis au feu, pour crédibiliser une élection qui ne trompe plus personne, les dés étant pipés à l'avance. Ali Benflis croyant aux assurances qui lui furent données, fit les frais de ces élections de dupes, en 2004. Le débat citoyen libre : condition incontournable pour le changement Si le système persiste dans ses entêtements en continuant à produire des solutions fondées sur la force, lui faisant faire l'économie de la voix du peuple, les mêmes schémas ne manqueront pas de produire les mêmes effets. Sauf si, la voix de la raison se faisant entendre, le système qui prônerait la voie du changement pacifique, venait à en administrer la juste preuve, et les démocrates, dans la foulée, s'entendant sur une candidature unique. Les tenants du système gagneraient à lira et à méditer l'ouvrage de Slimane Medhar, docteur d'Etat en psychologie sociale : «La violence sociale en Algérie». Ce médersien sobre et appliqué, membre actif de l'Association des médersiens d'Algérie, donna ce dernier jeudi, une remarquable conférence sur le sujet. Cela permit à la nombreuse assistance, conviée par la dynamique association des anciens médersiens, de s'exprimer et d'échanger. Phénomène de plus en plus rare en Algérie. Dans la préface à la seconde édition de son ouvrage, Slimane Medhar s'appuyant sur les travaux de Marcel Mauss définit la violence comme «un phénomène social total à caractère universel.» Plus loin il écrit «Principe fondateur de la vie en société, la violence est à la fois subie et provoquée la preuve en est que la démocratie ne fut nulle part installé dans la paix. Ses restructurations et l'extension de son champ d'influence sont des produits de lutte où la violence prédomine sous une forme physique, sinon symbolique.»1 Le 20 avril de la dissidence Cependant, c'est cette date de tous les rassemblements possibles, qu'a choisie Ferhat Mehenni pour faire entendre, à nouveau, la voix de sa dissidence en lançant son appel du 20 avril 2010. Revêtant une toge qui ne lui appartient pas en propre et encore moins de manière exclusive, il ne se contente pas du Mouvement pour l'Autonome de la Kabylie, mais menace d'en assurer le prolongement militaire, en envisageant la création de l'Armée de Libération de la Kabylie. Comme hier le FIS s'était doté d'un bras armé, en propulsant l'AIS dans les maquis. Triste et fatale répétition de la violence. Les raisons invoquées par Ferhat Mehenni dans son appel à la jeunesse de Kabylie, constamment oubliée, constamment grugée, toujours en attente de quelque programme spécial qui rappellerait l'audace et la vision de Boumediene, semblent être partagées par bon nombre d'algériens. Mais pas les risques que ses solutions risquent de faire courir au pays, bien des fois déchiré, depuis l'indépendance. «Il faut dire la vérité au peuple» a lancé dernièrement Said Khellil, sur le blogue du «Quotidien d'Algérie», sachant que c'est le pouvoir lui-même qui crée les conditions de la révolte et de l'émeute, et sème les germes de la violence, de la haine et de la discorde dans les cœurs et les esprits. Non seulement «il faut dire la vérité au peuple», mais il faut lui laisser choisir, en toute liberté et souveraineté, celles et ceux appelés à le gouverner. C'est à ce moment là, et à ce moment seulement, que la voie pacifique du changement démocratique prévaudra. 1) Slimane Medhar. La violence sociale en Algérie. Edition Thalla.page8.